Mgr Josémaria Escriva est né à Barbastro (Espagne), le 9 janvier 1902 et mort à Rome, en odeur de sainteté, le 26 juin 1975.
Ordonné prêtre le 28 mars 1925, il commence son travail pastoral dans des paroisses rurales, et le poursuit dans les quartiers pauvres et dans les hôpitaux de Madrid, ainsi que parmi les étudiants. Le 2 octobre 1928 il fonde l’Opus Dei, fort dès le début de l’approbation de l’autorité diocésaine, et à partir de 1943 des approbations nécessaires du Saint-Siège, qui a érigé l’Opus Dei en Prélature personnelle le 28 novembre 1982. A partir de 1928 la vie de Mgr Escriva coïncide avec l’histoire et le développement de l’Opus Dei. A sa mort, l’Opus Dei s’étendait déjà aux cinq continents et comptait plus de 60. 000 membres de plus de 80 nationalités.
Mgr Escriva était docteur en droit de l’Université de Madrid, docteur en théologie de l’Université du Latran à Rome, docteur honoris causa de l’Université de Saragosse, Grand Chancelier des Universités de Navarre (Pampelune, Espagne) et de Piura (Pérou). Il a été également Supérieur du séminaire de Saint François de Paule de Saragosse, professeur d’éthique générale et de morale professionnelle à l'École de journalisme de Madrid et professeur de droit canon et de droit romain à Saragosse et à Madrid. Prélat d’honneur de Sa Sainteté et membre de l’Académie Pontificale romaine de théologie, il a travaillé comme consulteur de la S. Congrégation des Séminaires et Universités et de la Commission Pontificale pour l’interprétation authentique du Code de droit canon.
Outre l’étude théologico-juridique La Abadesa de las Huelgas, ses écrits publiés comprennent des livres de spiritualité qui ont été traduits en de nombreuses langues: Chemin, Saint Rosaire, Quand le Christ passe, Amis de Dieu, Chemin de Croix, Sillon. Le livre Entretiens avec Mgr Escriva recueille quelques-uns des entretiens qu’il a accordés à la presse.
Depuis 1946, Mgr Escriva résidait à Rome, en tant que Président général de l’Opus Dei. Son corps repose dans la crypte de l’église prélatice, à Rome, continuellement entouré de la prière et de la reconnaissance de nombreuses personnes du monde entier, qui se sont approchées de Dieu, attirées par l’exemple et par les enseignements du fondateur de l’Opus Dei.
La réputation de sainteté dont il jouissait durant sa vie s’est étendue après sa mort aux extrémités de la terre, ainsi qu’en témoignent les abondantes relations de faveurs spirituelles et matérielles, attribuées à l’intercession du fondateur de l’Opus Dei, parmi lesquelles quelques guérisons médicalement inexplicables.
Très nombreuses ont été aussi les lettres provenant des cinq continents, parmi lesquelles celles de 69 cardinaux et de près de mille trois cents évêques — plus d’un tiers de l’épiscopat mondial —, demandant au pape l’ouverture de la Cause de béatification et de canonisation de Mgr Escriva. La S. Congrégation pour les Causes des Saints a concédé le nihil obstat pour l’ouverture de la Cause le 30 janvier 1981. Jean Paul II l’a ratifié le 5 février 1981. L’acte d’ouverture du procès a eu lieu à Rome le 12 mai 1981. Le 8 novembre 1986, le cardinal Vicaire du diocèse de Rome a clôturé dans cette ville l’enquête sur la vie et les vertus du Serviteur de Dieu.
En commençant ces pages de présentation du premier volume d’homélies de Mgr Josémaria Escriva , ces paroles, prononcées en tant d’occasions, devant des personnes de si nombreux pays et de toutes conditions sociales, me reviennent en mémoire: Je suis un prêtre qui ne parle que de Dieu. Le fondateur de l’Opus Dei a reçu le sacrement de l’ordre le 28 mars 1925. Au cours de près d’un demi-siècle, ex hominibus assumptus, pro hominibus constituitur (Hb 5,1), choisi parmi les hommes, élu par Dieu pour le bien des âmes, il a fait en sorte que la vie chrétienne soit une réalité quotidienne attachante, dans l’intelligence et dans le cœur d’un nombre incalculable de personnes.
La fécondité de son sacerdoce chrétien, dont l’origine est proprement surnaturelle, s’est manifestée par une prédication inlassable. C’est avec raison qu’il a écrit que la grande passion des prêtres de l’Opus Dei est la prédication. Depuis 1925, Mgr Escriva réalise un intense travail pastoral: d’abord — pendant peu de temps — dans des paroisses rurales; plus tard, à Madrid, dans les quartiers pauvres et les hôpitaux; durant les années 30, dans toute l’Espagne; et, à partir de 1946, alors qu’il a fixé sa résidence à Rome, avec des personnes du monde entier.
Parler de Dieu, rapprocher les hommes du Seigneur: c’est ce que je l’ai vu faire, depuis que je l’ai connu, en 1934. Catéchèse, récollections et retraites spirituelles, direction de consciences, lettres brèves et incisives, dont l’écriture vive et ramassée apportait la paix à bien des âmes. Au cours des premiers mois de 1936, il tomba malade; les médecins diagnostiquèrent une simple fatigue. Il prêchait parfois jusqu’à dix heures par jour. Le clergé de presque tous les diocèses espagnols a bénéficiée de sa prédication; les évêques l’appelaient et il parcourait le pays, à ses propres frais — dans les trains d’alors —, mû seulement par l’aimable devoir de parler de Dieu.
Parmi les souvenirs qui me viennent en mémoire de la façon la plus vive — a-t-il écrit un jour —, il en est un du temps où j’étais un jeune prêtre. J’ai reçu alors assez souvent deux conseils identiques pour « faire carrière »: d’abord, ne pas travailler, et ne pas faire beaucoup d’apostolat, car cela provoque des jalousies et suscite des ennemis; en second lieu, ne pas écrire, car tout ce que l’on écrit — même si on l’écrit avec précision et clarté — est souvent mal interprété. Je rends grâce à Dieu Notre Seigneur de ne jamais avoir suivi ces conseils, et je suis content de ne pas m’être fait prêtre pour « faire carrière ».
Je pourrais dire que Mgr Escriva, qui n’a suivi aucun de ces conseils, a surtout négligé le premier: celui de « ne pas travailler». Et c’est précisément ce travail apostolique quotidien qui l’a empêché d’écrire davantage pour le bien de tant d’âmes. Auteur de livres de spiritualité répandus dans le monde entier, tels que Chemin et Saint Rosaire, et d’études juridiques et théologiques pertinentes — comme La Abadesa de Las Huelgas —, il a écrit surtout de nombreuses et longues lettres, des instructions, des gloses, etc. adressées aux membres de l’Opus Dei, et qui traitent exclusivement de thèmes spirituels. Opposé à toute forme de propagande, il n’a répondu que rarement aux demandes d’interviews nombreuses et constantes émanant de la presse, de la radio et de la télévision de nombreux pays. Avec les quelques entrevues qui constituent une exception à cette règle, un livre, Entretiens avec Mgr Escriva , a été publié et traduit lui aussi dans les langues les plus courantes.
La grande catéchèse que fut sa prédication pendant près de cinquante ans de sacerdoce représente une somme importante de textes inédits. Ce volume en contient une petite partie: il s’agit de quelques-unes des homélies qu’il a prononcées à l’occasion de fêtes liturgiques.
Il n’est pas nécessaire de présenter ces Homélies. La parole et l’âme sacerdotale de leur auteur sont suffisamment connues, et, pour ma part, je ne pourrais rien en dire qui ne se déduise immédiatement de la lecture de l’une d’entre elles. Mais on peut sans doute en souligner quelques caractéristiques constantes. D’abord la profondeur théologique. Ces Homélies ne constituent pas un traité de théologie, au sens courant du terme. Elles n’ont pas été conçues comme une étude ou comme une recherche sur des thèmes concrets; elles ont été prononcées à haute voix, devant des personnes de formation et d’origine très diverses, avec ce don de langues qui les rend accessibles à tous. Mais les pensées et les considérations qu’elles contiennent sont imprégnées d’une connaissance amoureuse et assidue de la parole divine.
On remarquera, par exemple, comment l’auteur commente l'Évangile. Il n’est jamais pour lui un texte pour érudits, ni le lieu commun d’une citation. Chaque verset a été médité bien souvent et, de cette contemplation, des lumières nouvelles ont surgi, des aspects qui, pendant des siècles, étaient restés voilés. La familiarité avec Notre Seigneur, avec sa Mère, sainte Marie, avec saint Joseph, et les douze premiers apôtres, avec Marthe, Marie et Lazare, avec Joseph d’Arimathie et Nicodème, avec les disciples d’Emmaüs et avec les saintes femmes, est quelque chose de vivant, conséquence et résultat d’une conversation ininterrompue, de la volonté de s’introduire dans les scènes du saint Évangile pour y être un personnage de plus.
Il n’est donc pas surprenant que les commentaires de Mgr Escriva coïncident avec ceux qui ont été faits plus de quinze siècles plus tôt par les premiers écrivains chrétiens. Les citations des Pères de l'Église semblent s’insérer tout naturellement dans le texte des Homélies, dans le même ton de fidélité à la Tradition de l'Église.
La seconde caractéristique en est la relation qui s’établit immédiatement entre la doctrine de l'Évangile et la vie du chrétien courant. En aucun moment, les Homélies ne se situent à un niveau désincarné, abstrait; si la théorie est toujours présente, elle est continuellement en rapport avec la vie. Mgr Escriva ne s’adresse pas — il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit là de textes parlés — à des esprits spéculatifs ou curieux de la spiritualité chrétienne. Il parle à des personnes de chair et d’os, dont l’âme vit déjà la vie de Dieu ou qui, pressentant l’amour divin, sont disposées à s’approcher de Lui.
Il ne parle pas non plus à un public spécialisé — femmes, hommes, étudiants, ouvriers, personnes exerçant un métier précis —; il parle toujours à tout le monde à la fois, tant il est convaincu que la parole de Dieu, quand elle est prêchée avec l’amour du Christ, trouve toujours son chemin pour parvenir à chaque cœur, un à un, et que le Saint-Esprit met en chaque âme ces motions intimes, qui passent inaperçues et qui font que la semence tombe dans la bonne terre et donne cent pour un.
La troisième caractéristique concerne le style. C’est peut-être moins important, mais il n’est pas possible de passer sous silence cette langue directe, simple et d’une rare aménité. On remarque toujours le soin apporté par l’auteur à la correction grammaticale et littéraire de ses textes, sans pour autant subordonner le contenu à la forme. La force, la vigueur de ce qui est dit aboutissent à ce style serein et clair, qui évite les effets trop facilement affectifs. Il ne cherche pas non plus à éblouir; il ne veut être que le moyen indispensable permettant à chaque âme de se situer en face de Dieu et d’en tirer des conséquences, des résolutions concrètes pour sa vie quotidienne.
Les Homélies rassemblées dans ce volume embrassent toute l’année liturgique, de l’Avent jusqu’à la fête du Christ-Roi. Il n’est guère possible de résumer en quelques mots un contenu si vaste et, en même temps, si riche de nuances. Mais peut-être peut-on signaler les fils conducteurs de toutes ces méditations faites à haute voix.
Le thème central est celui de la filiation divine thème qui apparaît constamment dans la prédication du fondateur de l’Opus Dei. L’auteur se fait continuellement l’écho de cet enseignement de saint Paul: Tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont des enfants de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba, Père! L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers, héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui pour être aussi glorifiés avec Lui (Rm 8, 14-17).
Dans ce texte trinitaire — la Très Sainte Trinité est l’un des autres thèmes qui reviennent fréquemment dans ces Homélies —, le chemin nous est signalé qui, par l’Esprit Saint, mène au Père. Ce chemin, c’est Jésus-Christ, qui est Frère, Ami, Seigneur, Roi, Maître. La vie chrétienne consiste alors à rester continuellement en rapport avec le Christ; et ce rapport a lieu dans la vie quotidienne, sans que personne ne s’éloigne de sa place. Comment? Mgr Escriva le résume en deux mots: par le Pain et par la Parole.
Le Pain, c’est l’Eucharistie. Le fondateur de l’Opus Dei considère la sainte Messe comme le centre et la racine de la vie chrétienne. Elle n’est pas un fait qui passe, mais une réalité surnaturelle et éternelle qui imprègne tous les moments de notre journée. Deux homélies ont justement pour thème ce mystère central du christianisme: L’Eucharistie, mystère de foi et d’amour et Le jour de la Fête-Dieu. Notre Dieu — écrit-il — a décidé de demeurer dans le Tabernacle pour nous alimenter, pour nous fortifier, pour nous diviniser, pour rendre efficace notre tache et notre effort. Jésus est en même temps le semeur, la semence et le fruit des semailles: Il est le Pain de la vie éternelle.
La Parole, c’est la prière. Dieu parle, et nous l’écoutons; Dieu écoute, et nous Lui parlons. Prière constante, comme les battements du cœur, comme la respiration de l’âme d’un amoureux. C’est pourquoi, quand un chrétien s’engage dans ce chemin qui le conduit à un rapport ininterrompu avec le Seigneur — et ce chemin est fait pour tous, ce n’est pas un sentier pour privilégiés — la vie intérieure croit, sûre et ferme, et s’affermit dans l’homme cette lutte, aimable et exigeante à la fois, pour réaliser pleinement la volonté de Dieu.
Voici l’homme dépositaire de tant de trésors divins: il reçoit réellement le Christ, avec son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité; il est le temple du Saint-Esprit; la Très Sainte Trinité demeure en lui. Mais il porte ce trésor in vasis fictilibus (2Co 4,7), dans des vases d’argile. Comme en sourdine, mais inlassablement, l’auteur y insiste: l’humilité n’est pas une vertu triste, désespérée. L’humilité, c’est la vérité: la connaissance de la faiblesse humaine comparée à l’infinie grandeur de Dieu. Mais c’est aussi savoir que le Seigneur trouve sa joie dans sa créature, et qu’Il veut que le chrétien se divinise selon une bonne divinisation.
La vie humaine – la vie courante, avec ses joies et ses peines, avec ses rires et ses petites tragédies quotidiennes et domestiques – acquiert une nouvelle dimension: la hauteur et, avec elle, le relief, le poids et le volume (Chemin, n. 279). Tel est l’enseignement constant du fondateur de l’Opus Dei: je vous assure, mes enfants – dit-il, dans une homélie prononcée en 1967 devant 40 000 personnes –, que lorsqu’un chrétien réalise avec amour les actions quotidiennes les moins transcendantes, ce qu’il fait déborde de transcendance divine. Voilà pourquoi je vous ai dit et répété, jusqu’à le ressasser, que la vocation chrétienne consiste à convertir en alexandrins la prose de chaque jour (Entretiens avec Mgr Escriva , n. 116).
Les Homélies sont pleines de ce souci de lier les préoccupations les plus communes et, pour cette raison, les plus humaines à la transcendance de Dieu. Ces textes se situent – sereinement, sans polémique loin de ces visions schizophréniques qui conçoivent la sainteté comme un équilibre instable, entre deux vies: la vie normale et la vie spirituelle. En même temps, les Homélies repoussent également la tentation de spiritualiser ce qui est humain jusqu’à le priver de sa complexité, ce que Mgr Escriva appelle le risque de la liberté: sur la ligne de l’horizon, mes enfants, le ciel et la terre semblent s’unir. Mais cela n’est pas vrai: la où ils se réunissent, c’est dans vos cœurs, lorsque vous vivez saintement la vie quotidienne (ibid., n. 116).
Vivre saintement la vie ordinaire: avec une honnêteté humaine et chrétienne, avec un sens surnaturel. Si toute la vie est faite de prière – faite de rapports avec Dieu dans le Pain et la Parole –, l’homme peut se rendre compte que le travail – son activité ordinaire, ce qui remplit la presque totalité des heures de sa journée – est également une prière continuelle. Ce travail, s’il est sanctifié, sanctifie également, et il est une occasion pour nous de coopérer, avec la grâce de Dieu, à la sanctification d’autrui.
La vie chrétienne ordinaire – ce travail qui est prière, cette prière qui est travail – se transforme tout entière en apostolat. Le rapport personnel avec Dieu – face à face, sans anonymat –, non seulement n’empêche pas de s’occuper des autres, mais constitue un réservoir qui ne peut que déborder, pour le bien de tous les hommes. Certains essaient de construire la paix dans le monde sans mettre l’amour de Dieu dans leur propre cœur. Comment une mission de paix peut-elle se réaliser ainsi? La paix du Christ, c’est celle du Royaume du Christ; et le royaume de Notre Seigneur doit se fonder sur notre désir de sainteté, sur notre humble disposition à recevoir la grâce, sur notre effort constant en vue d’obtenir la justice, sur une profusion d’amour divin.
Voilà quelques-unes des idées principales des Homélies rassemblées dans ce volume. Mais il serait injuste d’en passer sous silence d’autres aspects. Un texte écrit ne peut refléter qu’imparfaitement les qualités de la prédication du fondateur de l’Opus Dei: son humanité, sa sincérité spontanée et séduisante. La manière dont il se donne à ceux qui l’écoutent, son insistance à répéter que chacun doit adresser – en écoutant ses paroles – une prière personnelle à Dieu, qui sera comme un cri silencieux. Et ce réalisme cordial, nullement naïf ni pragmatique. Un bon sens peu répandu. Une bonne humeur qui affleure toujours et une joie contagieuse, comme celle des enfants de Dieu.
Il y a des dizaines de milliers de personnes qui ont entendu directement la prédication de Mgr Escriva. Car s’il n’aime pas la propagande et la publicité, il ne voit pas d’inconvénient, par contre, à répondre à tous ceux qui l’interrogent sur les choses de Dieu. En 1972, au cours d’un voyage en Espagne et au Portugal, et qui a commencé en France, plus de 150 000 personnes ont pu l’écouter, en groupes plus ou moins nombreux; en 1970, au Mexique, il a rencontré environ 40 000 personnes de ce pays, des États-Unis et de nombreuses autres nations américaines; et à Rome, plusieurs milliers de personnes, venant d’Europe et d’autres continents, ont eu l’occasion de l’entendre dire que tout travail humain honnête, intellectuel ou manuel, doit être exécuté par le chrétien avec la plus grande perfection possible... Car, s’il est accompli de la sorte, ce travail humain, pour humble et insignifiante que cette tâche paraisse, contribue à ordonner chrétiennement les réalités temporelles et à manifester leur dimension divine. Ainsi il est assumé et intégré par et dans l’œuvre prodigieuse de la création et de la Rédemption du monde: le travail est alors élevé à l’ordre de la grâce, il est sanctifié, il devient œuvre de Dieu, « operatio Dei, opus Dei ».
Il faut lire ces Homélies en pensant à la chaleur de ces moments passés près d’un prêtre qui ne sait parler que de Dieu. C’est alors que l’on comprendra d’autres traits attachants du travail pastoral de Mgr Escriva: la conscience aiguë de n’être qu’un instrument dans les mains du Seigneur; la conviction surnaturelle que nos faiblesses et nos misères personnelles – car, ne cesse-t-il de rappeler, nous en aurons tant que nous vivrons – ne peuvent être un obstacle qui nous éloigne du Christ, mais doivent constituer, au contraire, un stimulant qui nous attache davantage à Lui. Dans l’une des Homélies qui sont encore inédites, il dit: En aucune façon je ne supporte le Seigneur, c’est Lui qui me supporte et qui m’aide, qui me stimule et qui m’attend. Et, s’adressant à ceux qui l’écoutaient: Comment ne comprendrai-je pas vos misères, alors que j’en suis rempli!
Partout, comme en contrepoint, apparaît un motif de fond: l’amour de la liberté. Je suis très attaché à la liberté... L’esprit de l’Opus Dei, esprit que je me suis efforcé de pratiquer et d’enseigner depuis plus de trente-cinq ans – disait-il en 1963 –, m’a fait comprendre et aimer la liberté personnelle. Lorsque Dieu Notre Seigneur accorde aux hommes sa grâce, lorsqu’Il les appelle en vertu d’une vocation spécifique, c’est comme s’Il leur tendait une main, une main paternelle pleine de force, et surtout remplie d’amour, car Il vient à notre recherche un à un, parce que nous sommes ses filles et ses fils, et parce qu’Il connaît notre faiblesse. Le Seigneur attend que nous fassions l’effort de prendre sa main, cette main qu’Il approche de nous; Dieu nous demande un effort, qui est la preuve de notre liberté.
Si Dieu respecte notre liberté personnelle, comment ne respecterions-nous pas, nous aussi, la liberté des autres? Et, spécialement quand il s’agit de ce vaste domaine qui admet une immense diversité d’opinions et de comportements Il n’y a pas de dogme dans les affaires temporelles. Il n’est pas conforme à la dignité des hommes de vouloir fixer des vérités absolues, sur des questions ou forcément chacun doit voir les choses de son propre point de vue, en fonction de ses intérêts particuliers, de ses préférences culturelles, de sa propre expérience. Prétendre imposer des dogmes dans le domaine temporel conduit inévitablement à contraindre les consciences des autres à ne pas respecter son prochain.
J’espère que l’on publiera bientôt un second volume d’Homélies. Nous aurons alors l’occasion de considérer de nouveau la réalité éternelle de la Rédemption dans les paroles de celui qui se dit convaincu que dans la vie spirituelle, il n’est pas de nouvelle époque à venir. Tout est déjà donné dans le Christ qui est mort, qui est ressuscité, qui vit et demeure toujours. Mais il nous faut nous unir à Lui, par la foi, en laissant sa vie se manifester en nous, de telle sorte que l’on puisse dire que chaque chrétien est non plus « alter Christus », un autre Christ, mais « ipse Christus », le Christ lui-même!
Alvaro del Portillo.
1 L’année liturgique commence et l’idée que l’introït de la Messe nous propose est en rapport étroit avec le principe de notre vie chrétienne: la vocation que nous avons reçue. Vias tuas, Domine, demonstra mihi, et semitas tuas edoce me Seigneur, montre-moi tes chemins, apprends-moi tes sentiers. Nous demandons au Seigneur qu’Il nous guide, qu’Il nous mette sur son chemin, pour que nous puissions nous diriger vers la plénitude de ses commandements, la charité.
Lorsque vous pensez aux circonstances qui ont accompagné votre décision de vivre entièrement votre foi, j’imagine que, comme moi, vous rendez profondément grâces au Seigneur, sincèrement convaincus sans fausse humilité – qu’il n’y a là aucun mérite de votre part. Nous avons appris, d’ordinaire, à invoquer Dieu depuis notre enfance des lèvres de parents chrétiens. Plus tard, ce sont des maîtres, des camarades, des personnes de notre entourage qui nous ont aidés, de multiples manières, à ne pas perdre de vue Jésus-Christ.
Un jour – je ne veux pas parler en termes généraux: ouvre ton cœur au Seigneur et raconte-Lui ton histoire – un ami peut-être, un chrétien ordinaire comme toi, t’a fait découvrir un panorama immense et nouveau, et pourtant vieux comme l'Évangile. Il t’a suggère que tu pouvais t’engager sérieusement à la suite du Christ, en te faisant apôtre d’apôtres. Dès lors, tu as sans doute perdu la tranquillité, pour ne la retrouver, sous la forme d’une paix profonde, que lorsque, librement, parce que tu en avais envie – ce qui est la plus surnaturelle des raisons – tu as répondu « oui » à Dieu. Alors est venue la joie, forte, constante, qui ne disparaît que si tu t’éloignes de Lui.
Je n’aime guère parler de personnes choisies ou privilégiées. C’est le Christ qui parle, c’est Lui qui choisit. Tel est le langage de l'Écriture: elegit nos in ipso ante mundi constitutionem –dit saint Paul– ut essemus sancti. Il nous a élus des avant la création du monde, pour être saints. Je sais que pour toi cela ne te remplit pas d’orgueil, ne t’incite pas à te considérer comme supérieur aux autres. Ce choix, qui est la racine de l’appel, doit être aussi le fondement de ton humilité. A-t-on jamais élevé un monument aux pinceaux d’un grand peintre? Même s’ils ont servi à faire des chefs-d’œuvre, le mérite en revient à l’artiste. Or nous, chrétiens, nous sommes les instruments du Créateur du monde, du Rédempteur de tous les hommes.
2 Cela me stimule de considérer un fait que raconte en détail l'Évangile: la vocation des douze premiers apôtres. Nous allons la méditer lentement, en demandant à ces saints témoins du Seigneur de nous apprendre à suivre le Christ comme ils ont su le faire.
Ces premiers apôtres – j’ai pour eux une grande dévotion et une grande tendresse – étaient, si l’on en juge selon des critères humains, bien peu de chose. Leur condition sociale, à l’exception de Matthieu qui, certainement, gagnait bien sa vie et abandonna tout quand Jésus le lui demanda, était celle de pêcheurs vivant au jour le jour, en peinant la nuit pour assurer leur subsistance.
Mais peu importe leur condition sociale. Ils n’étaient ni cultivés, ni même très intelligents, du moins pour ce qui est des réalités surnaturelles. Ils ne comprenaient même pas les exemples et les comparaisons les plus simples, et ils avaient recours au maître: Domine, edissere nobis parabolam, Seigneur explique-nous la parabole. Lorsque Jésus, s’aidant d’une image, faisait allusion au ferment des pharisiens, ils croyaient qu’Il les réprimandait pour n’avoir pas acheté de pain!
Quoique pauvres et ignorants, ils n’étaient ni simples ni dépourvus de présomption: malgré leurs limites, ils étaient ambitieux. Il leur arrivait souvent de discuter pour savoir qui serait le plus grand lorsque, conformément à leur optique, le Christ aurait instauré définitivement sur terre le royaume d’Israël. Dans l’intimité du Cénacle, ils se disputaient et s’échauffaient en ce moment sublime où Jésus allait s’immoler pour l’humanité.
Leur foi? Elle était plutôt faible! C’est Jésus Lui-même qui le dit Ils ont vu ressusciter des morts, guérir toute sorte de maladies, multiplier des pains et des poissons, calmer des tempêtes et chasser des démons, et pourtant saint Pierre, choisi pour être la tête, fut le seul à savoir répondre avec promptitude:
Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Mais c’était une foi qu’il interprétait à sa manière; c’est pourquoi il se permettait de s’opposer à Jésus, pour qu’Il ne s’offrît pas en Rédemption pour les hommes. Et Jésus devait lui répondre: passe derrière moi, Satan: tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. Pierre raisonnait humainement, commente saint Jean Chrysostome, et il pensait que tout cela – la Passion et la Mort – était indigne du Christ, et méritait le blâme. Aussi Jésus le reprit-Il et lui dit: non, souffrir n’est pas indigne de moi: tu le juges ainsi parce que tu raisonnes avec des idées charnelles, humaines.
Peut-être ces hommes de peu de foi se distinguaient-ils par leur amour pour le Christ? Sans aucun doute, l’aimaient-ils, au moins en paroles. Parfois ils se laissaient emporter par l’enthousiasme: allons et mourons avec Lui. Mais, à l’heure de la vérité, ils fuirent tous, sauf Jean, qui L’aimait véritablement et savait le prouver. Seul cet adolescent, le plus jeune des apôtres, demeura près de la Croix. Les autres ne ressentirent pas cet amour fort comme la mort.
Et c’étaient eux les disciples élus par le Seigneur! C’est ainsi que les avait choisis le Christ; voilà comme ils apparaissaient avant que, remplis de l’Esprit Saint, ils ne se transformassent en colonnes de l'Église.
Des hommes ordinaires, avec leurs défauts, leurs faiblesses, plus prodigues de paroles que d’actes. Et pourtant, Jésus les a appelés pour en faire des pêcheurs d’hommes, des corédempteurs, des dispensateurs de la grâce de Dieu.
3 C’est un peu ce qui s’est passé pour nous. Sans aucun mal, nous pourrions trouver dans notre famille, parmi nos amis et nos camarades, sans parler du panorama immense du monde, bien d’autres personnes plus dignes que nous de recevoir l’appel du Christ: des gens plus simples, plus savants, plus influents, plus importants, plus capables de reconnaissance et plus généreux.
Pour moi, en pensant à tout cela, j’ai honte. Mais je mesure aussi à quel point notre logique humaine est insuffisante pour expliquer les réalités de la grâce. Dieu a coutume de rechercher des instruments faibles, pour qu’apparaisse avec clarté et évidence que œuvre est la sienne. C’est timidement que saint Paul évoque sa vocation: Il m’est apparu après tous les autres, à moi qui suis comme l’avorton, le plus petit des apôtres, pas même digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l'Église de Dieu. Ainsi écrit Saul de Tarse avec sa personnalité et son énergie que l’histoire n’a fait qu’amplifier.
Sans qu’il y ait eu le moindre mérite de notre part, vous disais-je; en effet, à la base de notre vocation, nous trouvons la connaissance de notre misère et la conscience que les lumières qui illuminent notre âme (la foi), l’amour avec lequel nous aimons (la charité) et le désir qui nous soutient (l’espérance) sont des dons gratuits de Dieu C’est pourquoi ne pas croître en humilité revient à perdre de vue ce qui était l’objectif du choix divin: ut essemus sancti, notre sainteté personnelle.
Maintenant, à partir de cette humilité, nous pouvons comprendre ce que l’appel divin a de merveilleux. La main du Christ nous a saisis dans un champ de blé: le semeur presse dans sa main blessée une poignée de grains. Le sang imbibe la semence, l’imprègne. Puis le semeur jette à la volée ce blé pour qu’en mourant il devienne vie, et pour qu’en pénétrant dans la terre, il puisse se multiplier en épis dorés.
4 L'Épître de la Messe nous rappelle que nous devons assumer cette responsabilité d’apôtres avec un esprit neuf, avec courage et vigilance. L’heure est déjà venue de sortir du sommeil. Car aujourd’hui le salut est plus proche que lorsque nous avons embrasse la foi. La nuit est avancée, le jour approche. Rejetons donc les œuvres de ténèbres pour revêtir les armes de la lumière.
Vous me direz que ce n’est pas facile, et vous n’aurez pas tort. Les ennemis de l’homme, qui sont les ennemis de sa sainteté, tentent d’entraver cette vie nouvelle, de l’empêcher de se revêtir de l’esprit du Christ. Il n’y a pas de meilleure énumération, à mon avis, des obstacles à la fidélité chrétienne que celle que nous donne saint Jean: concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum, et superbia Vitae. Dans le monde, tout est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, et orgueil.
5 La concupiscence de la chair ne consiste pas seulement dans les tendances désordonnées des sens en général ni dans l’appétit sexuel, qui doit être ordonné, mais qui n’est pas un mal en soi, car c’est une réalité humaine noble et sanctifiable. C’est pourquoi je ne parle jamais d’impureté, mais de pureté. Ces paroles du Christ s’adressent à tous: bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Par vocation divine, certains auront à vivre cette pureté dans le mariage et d’autres en renonçant à l’amour humain pour répondre uniquement et passionnément à l’amour de Dieu. Ni les uns ni les autres ne sont les esclaves de la sensualité; ils règnent en maîtres sur leur corps et sur leur cœur, afin de pouvoir les donner aux autres en se sacrifiant pour eux.
J’ai l’habitude, lorsque je parle de la vertu de pureté, d’ajouter le qualificatif de sainte. La pureté chrétienne, la sainte pureté, n’est pas l’orgueil de se sentir pur, sans tache, mais c’est de savoir que nous avons les pieds d’argile, même si la grâce de Dieu nous libère jour après jour des pièges de l’ennemi. Je tiens pour une déformation du christianisme l’insistance que mettent certains à écrire ou à prêcher presque exclusivement sur ce sujet, en oubliant les autres vertus qui sont capitales pour les chrétiens et, plus généralement, pour la vie en société.
La sainte pureté n’est ni la seule, ni la principale vertu chrétienne: elle nous est, cependant, indispensable pour persévérer dans notre effort quotidien de sanctification; et, si nous ne la conservons pas, notre engagement apostolique n’a pas de sens. La pureté est la conséquence de l’amour avec lequel nous avons fait don au Seigneur de notre âme et de notre corps, de nos facultés et de nos sens. Elle n’est pas une négation, mais une affirmation joyeuse.
Je disais que la concupiscence de la chair ne se limite pas exclusivement au désordre de la sensualité, mais qu’elle comprend aussi la commodité, le manque d’enthousiasme, qui nous font rechercher ce qu’il y a de plus facile, de plus agréable, le chemin apparemment le plus court, quitte à faire des concessions dans notre fidélité à Dieu.
Un tel comportement équivaudrait à nous abandonner inconditionnellement à l’empire d’une des lois – celle du pêche – contre laquelle saint Paul nous met en garde: moi qui voudrais faire le bien, je trouve la loi qui s’y oppose, parce que le mal est à mes côtés. Car, selon l’homme intérieur, je me complais dans la loi, mais je sens dans mes membres une autre loi, qui s’oppose à la loi de mon esprit et m’emprisonne dans le pêche... Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? Écoutez la réponse de l’apôtre: c’est la grâce de Dieu, par Notre Seigneur Jésus Christ. Nous pouvons et nous devons lutter contre la concupiscence de la chair car, si nous sommes humbles, la grâce du Seigneur nous sera toujours accordée.
6 Notre autre ennemi, écrit saint Jean, c’est la convoitise des yeux, c’est une avarice radicale, qui nous pousse à n’attacher de prix qu’a ce qui peut se toucher. Nos yeux demeurent comme colles aux choses de la terre et, de ce fait, sont incapables de découvrir les réalités surnaturelles. C’est pourquoi nous pouvons employer les mots de la Sainte Écriture pour nous référer non seulement à l’avarice des biens matériels, mais aussi à cette déformation qui consiste à n’observer tout ce qui nous entoure – les autres, les événements de notre vie et de notre époque – qu’avec une vision humaine.
Les yeux de notre âme se troublent; notre raison croit pouvoir tout comprendre par elle-même sans avoir besoin de Dieu. Tentation subtile, s’abritant derrière la dignité de cette intelligence que Dieu notre Père a donnée à l’homme pour Le connaître et L’aimer librement. Entraînée par une telle tentation, l’intelligence humaine finit par se considérer comme le centre de l’univers, par croire une nouvelle fois au vous serez comme des Dieux et, toute remplie d’amour pour elle-même, par tourner le dos à l’amour de Dieu.
C’est ainsi que notre existence peut se livrer totalement aux mains de son troisième ennemi: la superbia vitae. Elle ne concerne pas seulement les pensées éphémères de vanité ou d’amour-propre: il s’agit plutôt ici d’une enflure générale. Ne nous y trompons pas, c’est bien la le pire des maux, la racine de tous nos égarements. Notre lutte contre l’orgueil doit être constante, car ce n’est pas pour rien que l’on dit, de façon imagée, que cette passion meurt un jour aptes notre mort. C’est la morgue du pharisien, que Dieu refuse de justifier, parce qu’Il se heurte en lui à une barrière de suffisance. C’est l’arrogance qui nous amène à mépriser les autres, à les dominer, à les maltraiter: car là où il y a orgueil, il y a offense et déshonneur.
7 Aujourd’hui commence le temps de l’Avent, temps opportun pour penser aux pièges que nous tendent ces ennemis de notre âme que sont les désordres de la sensualité et de la légèreté; cette folie de la raison quand elle s’oppose au Seigneur; la présomption hautaine, qui rend impossible l’amour de Dieu et des créatures Tous ces états d’esprit sont des obstacles certains, et leur pouvoir de perturbation est grand. C’est pourquoi la liturgie nous fait implorer la miséricorde divine: vers Toi, Seigneur, j’élève mon âme, c’est en Toi que j’espère; fais que je ne sois pas confondu, que mes adversaires ne se réjouissent pas: telle est la prière que nous avons faite à l’Introït. Et, dans l’antienne de l’Offertoire, nous répéterons: j’espère en Toi, Seigneur, que je ne sois pas confondu!
Maintenant qu’approche le moment du salut, il est consolant d’entendre, de la bouche de saint Paul, que, lorsque Dieu le Père, notre Sauveur, a daigné nous révéler sa bonté et son amour pour les hommes. Il nous a sauvés, non pour nos prétendues œuvres de justice, mais dans sa miséricorde.
Si vous parcourez l'Écriture Sainte vous y découvrirez la présence constante de la miséricorde de Dieu: elle remplit la terre, elle s’étend à tous ses enfants, super omnem, elle nous entoure, elle va au-devant de nous , elle se multiplie pour nous aider, et elle a constamment reçu confirmation.
Dieu, qui s’occupe de nous comme un Père très aimant, nous considère dans sa miséricorde: une miséricorde douce, belle comme une image de pluie,
Jésus résume et définit toute cette histoire de la miséricorde divine: bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde En une autre occasion, Il dit: soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux. Bien des scènes de l'Évangile restent gravées dans notre mémoire: la clémence à l’égard de la femme adultère; la parabole du fils prodigue; celles de la brebis perdue et du débiteur pardonné; la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Que de motifs de justice pour expliquer ce grand prodige. Le fils unique de cette pauvre veuve est mort, lui qui donnait un sens à sa vie, lui qui pouvait l’aider dans sa vieillesse. Cependant le Christ ne fait pas de miracles par justice mais par compassion, parce que, intérieurement, Il s’émeut devant la douleur humaine.
Quel sentiment de sécurité doit produire en nous la compassion du Seigneur! Il m’appellera et je l’entendrai, car je suis miséricordieux. Cette invitation, cette promesse, Il n’y faillira pas. Approchons-nous donc avec confiance du trône de grâces pour recevoir la miséricorde et la grâce en temps opportun. Les ennemis de notre sanctification ne pourront rien, parce que la miséricorde de Dieu nous préserve. Et si, par notre faute, et par faiblesse, nous tombons, le Seigneur viendra à notre secours et nous relèvera. Tu as appris à éviter la négligence, à éloigner de toi l’arrogance, à acquérir la piété, à ne pas être prisonnier des affaires du monde, à ne pas préférer le périssable à l’éternel. Mais, puisque la faiblesse humaine empêche tes pas d’êtres fermes dans ce monde au sol glissant, le bon médecin t’a indique aussi les remèdes contre l’égarement, et le juge miséricordieux ne t’a pas refusé l’espérance du pardon.
8 C’est dans ce climat de miséricorde de Dieu que se déroule l’existence du chrétien. C’est dans ce cadre que se situent ses efforts pour se comporter en fils du Père Et quels sont les principaux moyens qui permettent à la vocation de s’affermir? je t’en signalerai aujourd’hui deux, qui sont comme les axes vivants de la conduite chrétienne: vie intérieure et formation doctrinale – connaissance profonde de notre foi.
Vie intérieure, tout d’abord: bien peu comprennent encore ce mot. Quand on entend parler de vie intérieure, on pense à l’obscurité du temple, quand ce n’est pas à l’atmosphère raréfiée de certaines sacristies. Depuis plus d’un quart de siècle, je dis que ce n’est pas cela. Je parle de la vie intérieure des chrétiens courants, que l’on rencontre habituellement en pleine rue, à l’air libre, et qui, dans la rue, à leur travail, dans leur famille, dans leurs moments de loisir demeurent, tout au long du jour, attentifs à Jésus-Christ. Qu’est-ce que cela, sinon une continuelle vie de prière? N’as-tu pas compris qu’il te fallait être une âme de prière, grâce à un dialogue avec Dieu qui finit par t’assimiler à Lui? Voilà la foi chrétienne telle que les âmes de prière l’ont toujours comprise: devient Dieu celui qui’ veut les mêmes choses que Dieu.
Au début, cela te coûtera: il faut faire un effort pour se tourner vers le Seigneur, pour Le remercier de sa tendresse paternelle de chaque instant, envers nous. Mais, peu à peu, l’amour de Dieu devient sensible bien que ce ne soit pas une question de sentiment comme une empreinte dans notre âme. C’est le Christ qui nous poursuit amoureusement: voici que je suis à ta porte, et que je t’appelle. Comment va ta vie de prière? N’éprouves-tu pas le besoin, pendant la journée de parler plus calmement avec Lui? Ne Lui dis-tu pas: tout à l’heure je Te raconterai, tout à l’heure je parlerai de cela avec Toi?
Dans les moments que nous consacrons spécialement à ce dialogue avec le Seigneur, notre cœur s’élargit, notre volonté s’affermit, notre intelligence, aidée par la grâce, imprègne de réalités surnaturelles les réalités humaines. Tu en tireras toujours des résolutions claires, pratiques, pour améliorer ta conduite et faire preuve envers tous les hommes d’une délicatesse pleine de charité, et te consacrer à fond, avec la ténacité des bons sportifs, à cette lutte chrétienne faite d’amour et de paix.
La prière devient constante, comme le battement du cœur, ou celui du pouls. Il n’y a pas de vie contemplative sans cette présence de Dieu et, sans vie contemplative, il ne sert pas à grand-chose de travailler pour le Christ, car les efforts de ceux qui construisent sont 43 vains si Dieu ne soutient la maison.
9 Le chrétien ordinaire – qui n’est pas un religieux et qui ne se retire pas du monde, parce que le monde est le lieu de sa rencontre avec le Christ – n’a pas besoin pour se sanctifier d’un vêtement particulier ou de signes distinctifs. Ses signes sont intérieurs: présence constante de Dieu et esprit de mortification. En réalité ils ne font qu’un, car la mortification n’est rien d’autre que la prière des sens.
La vocation chrétienne est faite de sacrifice, de pénitence et d’expiation. Nous devons réparer pour nos fautes – combien de fois n’avons nous pas détourné notre visage pour ne pas voir Dieu? – et pour tous les péchés des hommes. Nous devons suivre de près les traces du Christ: nous portons toujours en nous la mortification, l’abnégation du Christ, son humiliation sur la Croix, pour que, dans nos cœurs aussi, se manifeste la vie de Jésus.
Notre chemin est celui de l’immolation et c’est dans ce renoncement que nous trouverons le gaudium cum pace, la joie et la paix.
Ne jetons pas sur le monde un regard de tristesse. Ces hagiographes qui voulaient, coûte que coûte, découvrir des traits extraordinaires chez les serviteurs de Dieu, et ce dès leurs premiers vagissements, ont rendu, sans le vouloir, un mauvais service à la catéchèse. Et ils racontent que certains d’entre eux, encore nourrissons, ne pleuraient pas, et que, par mortification, ils ne tétaient pas le vendredi... Toi et moi sommes nés en pleurant, comme Dieu l’a établi; et nous sucions le sein de notre mère sans nous soucier du Carême ni des Quatre-Temps.
Maintenant, avec l’aide de Dieu, nous avons appris à découvrir, tout au long de journées apparemment toujours semblables, un spatium verae poenitentiae, un temps de véritable pénitence, au cours duquel nous prenons des résolutions d’améliorer notre vie: emendatio vitae. C’est là le chemin qui nous disposera à recevoir dans notre âme la grâce et les inspirations du Saint-Esprit. Or cette grâce, je le répète, s’accompagne du gaudium cum pace, de la joie, de la paix et de la persévérance dans le chemin.
La mortification est le sel de notre vie. Et la meilleure des mortifications est celle qui, s’appuyant sur des petits détails tout au long de la journée, s’attaque à la concupiscence de la chair, à la concupiscence des yeux et à l’orgueil. Mortifications qui ne mortifient pas les autres, mais qui nous rendent plus délicats, plus compréhensifs, plus ouverts à tous. Tu ne seras pas mortifié si tu es susceptible, si tu n’écoutes que ton égoïsme, si tu t’imposes aux autres, si tu ne sais pas te priver du superflu et parfois même du nécessaire, si tu t’attristes quand les choses ne vont pas comme tu l’avais prévu; en revanche, tu es mortifié si tu sais te faire tout à tous, pour les gagner tous.
10 Une vie de prière et de pénitence et la considération de notre filiation divine font de nous des chrétiens profondément pieux, semblables à des petits enfants devant Dieu. La piété est la vertu des enfants et, pour qu’un enfant puisse se confier aux bras de son père, il doit être et se sentir petit, dépendant. J’ai souvent médité cette vie d’enfance spirituelle; elle n’est pas incompatible avec la force d’âme, car elle exige une volonté rigoureuse, une maturité confirmée, un caractère ferme et ouvert.
Soyons donc pieux comme des enfants, mais pas ignorants. Chacun de nous doit s’efforcer, dans la mesure de ses moyens, d’approfondir sa foi avec sérieux et avec une rigueur scientifique: c’est cela la théologie. Nous devons allier une piété d’enfants à une doctrine sûre de théologiens.
Notre zèle pour acquérir cette science théologique, la bonne et solide doctrine chrétienne, vient d’abord du désir de connaître et d’aimer Dieu, et ensuite de la préoccupation de toute âme fidèle d’atteindre la signification la plus profonde de ce monde, qui est œuvre de Dieu. Périodiquement, certains tentent, de façon monotone, de ressusciter une soi-disant incompatibilité entre la foi et la science, entre l’intelligence humaine et la Révélation divine. Cette incompatibilité ne peut être qu’apparente, et elle s’explique par une connaissance incomplète des données réelles du problème.
Puisque le monde est sorti des mains de Dieu, puisque Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance et qu’Il lui a donné une étincelle de sa lumière, notre intelligence doit s’attacher, fût-ce au prix d’un rude effort, à dégager le sens divin qui réside naturellement en toute chose et, à la lumière de la foi, à en percevoir aussi le sens surnaturel, celui qui résulte de notre élévation à l’ordre de la grâce. Nous n’avons pas à avoir peur de la science, car tout travail, s’il est véritablement scientifique, tend vers la vérité Et Jésus a dit: Ego sum veritas: je suis la vérité.
Le chrétien doit avoir soif de savoir. Maniement des sciences les plus abstraites ou habileté technique, tout peut et doit conduire à Dieu. Car il n’est pas de tâche humaine qui ne soit sanctifiable, qui ne soit une occasion de se sanctifier personnellement et de collaborer, avec Dieu, à la sanctification de tous ceux qui nous entourent. Ce n’est pas au fond d’une vallée mais au sommet de la montagne que doit briller la lumière de ceux qui suivent Jésus-Christ: pour que l’on voie vos bonnes œuvres et que l’on glorifie votre Père qui est dans les cieux .
Travailler ainsi, c’est prier. Étudier ainsi, c’est prier. Faire ainsi de la recherche, c’est prier; nous n’en sortons jamais; tout est prière, tout peut et doit nous mener à Dieu, nourrir ce dialogue continuel avec Lui, du matin au soir. Tout travail digne peut être prière; et tout travail qui est prière est apostolat. C’est ainsi que l’âme s’affermit, dans une unité de vie simple et solide.
11 Je ne voulais pas vous en dire davantage en ce premier dimanche de l’Avent, où nous commençons à compter les jours qui nous séparent de la Nativité du Sauveur. Nous avons considéré la réalité de notre vocation chrétienne: nous avons vu comment le Seigneur nous a fait confiance pour rapprocher les âmes de la sainteté, pour les approcher de Lui, pour les unir à l'Église, pour étendre le règne de Dieu à tous les cœurs. Le Seigneur nous veut sacrifiés, fidèles, délicats et amoureux. Il nous veut saints et tout à Lui.
D’un côté: l’orgueil, la sensualité, l’ennui et l’égoïsme; de l’autre: l’amour, le dévouement, la miséricorde, l’humilité, le sacrifice et la joie. Tu dois choisir. Tu as été appelé à une vie de foi, d’espérance et de charité. Tu ne peux pas viser moins haut et rester seul et médiocre.
J’ai eu, un jour, l’occasion de voir un aigle enfermé dans une cage de fer: il était sale, à demi déplumé et tenait entre ses serres un bout de charogne. Alors, j’ai pensé à ce qu’il adviendrait de moi si l’abandonnais la vocation que j’ai reçue de Dieu. Cet animal solitaire me faisait de la peine, ainsi enfermé, lui qui était né pour monter bien haut dans le ciel, pour regarder le soleil en face. Nous pouvons nous élever jusqu’aux humbles sommets de l’amour de Dieu et du service de tous les hommes. Mais pour qu’il en soit ainsi, il ne doit y avoir dans notre âme aucun recoin où ne puisse pénétrer le soleil de Jésus. Il nous faut rejeter loin de nous toutes les préoccupations qui nous séparent de Lui: le Christ dans ton intelligence, le Christ sur tes lèvres, le Christ dans ton cœur, le Christ dans tes œuvres. Toute ta vie –cœur et œuvres, intelligence et paroles – sera remplie de Dieu.
Ouvrez les yeux et relevez la tête, car le jour de votre Rédemption est proche, avons-nous lu dans l'Évangile. Le temps de l’Avent est un temps d’espérance. Tout le panorama de notre vocation chrétienne, cette unité de vie dont l’axe est la présence de Dieu, Notre Père, peut et doit être pour nous une réalité quotidienne.
Demande cela avec moi à Notre Dame, en imaginant comment elle vivait ces mois dans l’attente du Fils qui allait lui naître. Et Notre Dame, Sainte Marie, fera en sorte que tu sois alter Christus, ipse Christus: un autre Christ, le Christ lui-même!
12 Lux fulgebit hodie super nos quia natus est nobis Dominus: une lumière brillera aujourd’hui sur nous, car le Seigneur nous est né. C’est la grande nouvelle qui émeut les chrétiens en ce jour et qui s’adresse, par eux, à l’humanité tout entière. Dieu est la. Cette vérité doit remplir nos vies: chaque fête de Noël doit être pour nous une nouvelle rencontre toute spéciale avec Dieu, et nous devons faire en sorte que sa lumière et sa grâce pénètrent jusqu’au fond de notre âme.
Arrêtons-nous devant l’enfant, Marie et Joseph; nous sommes là à contempler le Fils de Dieu revêtu de notre chair. Il me revient maintenant à l’esprit le voyage que j’ai fait à Lorette pour visiter la sainte maison, le 15 août 1951, pour une raison qui m’était chère. J’y ai célébré la Messe. Je voulais la dire avec recueillement, mais je ne m’attendais pas à la ferveur de la foule. Je n’avais pas prévu que, en ce jour de grande fête, beaucoup de gens des alentours accourraient à Lorette, avec la foi bénie de cette région et l’amour que l’on y porte à la Madonna. Leur piété les poussait à des manifestations un tant soit peu inopportunes, si l’on s’en tient – comment dirais-je? – au strict point de vue des rites liturgiques.
C’est ainsi que, lorsque je baisais l’autel, aux moments où les rubriques de la Messe le prescrivent, trois ou quatre paysannes le baisaient en même temps. J’en fus distrait, mais cela me toucha. Mon attention fut également attirée par la pensée que dans cette sainte maison – où, assure la tradition, vécurent Jésus, Marie et Joseph –sur la table d’autel, sont gravés ces mots: Hic Verbum caro factum est. Là, dans une maison construite de main d’homme, sur un morceau de la terre où nous vivons, Dieu a habité.
13 Le Fils de Dieu s’est fait chair et il est perfectus Deus, perfectus homo, Dieu parfait et homme parfait. Il y a dans ce mystère quelque chose qui devrait émouvoir les chrétiens. J’en fus et j’en demeure ému: j’aimerais retourner à Lorette. J’y vais, par la pensée, revivre les années d’enfance de Jésus, en répétant et en considérant que hic Verbum caro factum est.
Jesus Christus, Deus Homo, Jésus-Christ Dieu-Homme. C’est là une des magnalia Dei, une des merveilles de Dieu, que nous devons méditer et dont nous devons remercier ce Seigneur qui est venu apporter la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, et à tous les hommes qui veulent unir leur volonté à la Volonté suprêmement bonne de Dieu: pas seulement aux riches et aux pauvres mais à tous les hommes, à tous nos frères! car nous sommes tous frères en Jésus, fils de Dieu, frères du Christ: sa Mère est notre Mère.
Il n’y a qu’une seule race sur la terre: la race des enfants de Dieu. Nous devons tous parler la même langue, celle que nous apprend notre Père qui est aux cieux: la langue du dialogue de Jésus avec son Père, la langue que l’on parle avec le cœur et avec la tête, celle dont vous vous servez en ce moment dans votre prière. C’est la langue des âmes contemplatives, celle des hommes qui ont une vie spirituelle, parce qu’ils se sont rendu compte de leur filiation divine. C’est une langue qui se caractérise par mille motions de la volonté, par des lumières dans l’intelligence, par des élans du cœur, par des décisions de mener une vie droite dans le bien, la sérénité et la paix.
Il nous faut regarder l’enfant, notre Amour, dans son berceau. Et il nous faut le regarder en nous sachant devant un mystère. Nous devons, par la foi, accepter ce mystère et, par la foi également, en approfondir le contenu. Et pour cela, nous avons besoin des dispositions d’humilité d’une âme chrétienne – ne pas vouloir réduire la grandeur de Dieu à nos pauvres concepts, à nos explications humaines, mais comprendre que ce mystère, dans son obscurité, est une lumière qui guide la vie des hommes.
Nous voyons – dit saint Jean Chrysostome – que Jésus est issu de nous et de notre substance humaine, et qu’il est ne d’une Mère vierge: mais nous ne comprenons pas comment ce prodige a pu se réaliser. Ne nous fatiguons pas à essayer de le découvrir, mais acceptons plutôt avec humilité ce que Dieu nous a révélé, sans scruter avec curiosité ce que Dieu nous tient cache. Si nous observons cette attitude de respect, nous saurons comprendre et aimer; et le mystère deviendra pour nous un magnifique enseignement, plus convaincant que tous les raisonnements humains.
14 J’ai toujours essayé, en parlant devant la crèche, de contempler le Christ Notre Seigneur enveloppé de langes, sur la paille d’une mangeoire; et lorsqu’Il est encore enfant et ne parle pas encore, de voir en Lui le Docteur et le Maître. J’ai besoin de Le considérer ainsi, car je dois L’écouter. Et pour écouter ce qu’Il a à me dire, il me faut m’efforcer de connaître sa vie: lire le Saint Évangile, méditer ces scènes que le Nouveau Testament nous rapporte, afin de pénétrer le sens divin du cheminement de Jésus sur la terre.
Nous devons, en effet, reproduire en nous le Christ vivant, en connaissant le Christ, à force de lire la Sainte Écriture et de la méditer, à force de prier, comme maintenant, devant la crèche. Il faut comprendre les leçons que nous donne Jésus dès son enfance, dès sa naissance, dès que ses yeux s’ouvrent sur la terre bénie des hommes.
En grandissant et en vivant comme l’un d’entre nous, Jésus nous révèle que l’existence humaine, nos occupations courantes et ordinaires, ont un sens divin. Même si nous avons largement médité ces vérités, nous devons toujours admirer ces trente années de vie obscure qui constituent la plus grande partie de la vie de Jésus parmi ses frères les hommes. Années obscures, mais, pour nous, claires comme la lumière du soleil. Ou mieux, splendeur qui illumine nos journées et leur donne leur véritable dimension, puisque nous sommes des chrétiens courants, qui menons une vie ordinaire, semblable à celle de millions de gens dans les coins les plus divers du monde.
C’est ainsi que vécut Jésus durant trente ans: il était fabri filius, le fils du charpentier. Viendront ensuite les trois années de vie publique, avec les cris des foules. Les gens s’étonnent: qui est cet homme? Où a-t-il appris tant de choses? Car sa vie avait été celle de tous dans son village natal. C’était le faber, filius Mariæ le charpentier, le fils de Marie. Et c’était Dieu, et voici qu’Il réalisait la Rédemption du genre humain, en attirant toute chose à Lui.
15 Comme pour tous les autres événements de la vie de Jésus, jamais nous ne devrions considérer ces années cachées sans nous sentir concernés, sans les reconnaître pour ce qu’elles sont: des appels que nous adresse le Seigneur pour que nous sortions de notre égoïsme, de notre confort. Le Seigneur connaît nos limites, notre attachement à nous-mêmes et à nos ambitions; Il connaît la difficulté que nous avons à nous oublier nous-mêmes et à nous donner aux autres. Il sait ce que c’est que de ne pas rencontrer d’affection, de constater que ceux-là mêmes qui prétendent vous suivre, ne le font qu’à moitié Souvenons-nous de ces tristes scènes que nous décrivent les évangélistes où nous voyons les apôtres encore pleins d’aspirations temporelles et de projets purement humains. Mais Jésus les a choisis; Il les garde près de Lui et leur confie la mission qu’Il avait reçue du Père.
Nous aussi, Il nous appelle, et nous demande, comme à Jacques et à Jean: potestis bibere calicem quam ego bibiturus sum?: pouvez-vous boire le calice que je vais boire – ce calice du don absolu à l’accomplissement de la volonté du Père? – Possumus!; oui, nous le pouvons! Voilà la réponse de Jean et de Jacques. Vous et moi sommes-nous sérieusement disposes à accomplir, en toute chose, la volonté de Dieu notre Père? Avons-nous donne au Seigneur tout notre cœur, ou continuons-nous à être attachés à nous-mêmes, à nos intérêts, à notre confort, à notre amour-propre? N’y aurait-il pas en nous quelque chose qui ne serait pas en accord avec notre condition de chrétien et qui nous empêcherait de nous purifier? C’est pour nous l’occasion de rectifier tout cela aujourd’hui.
D’abord il nous faut nous convaincre que c’est Jésus en personne qui nous pose ces questions: c’est Lui qui les formule, et pas moi. Je n’oserais même pas me les poser à moi-même. Mais je continue ma prière à voix haute, tandis que vous, que chacun d’entre vous, confesse intérieurement au Seigneur: « Seigneur, comme je vaux peu de chose! Comme j’ai été lâche, tant de fois! Que d’erreurs, en cette occasion-ci, en celle-là, ici et là! » Et nous pouvons aussi nous exclamer: « Heureusement, Seigneur, que tu m’as soutenu de ta main, car moi, je me sens capable de toutes les infamies. Ne me lâche pas, ne m’abandonne pas, traite-moi toujours comme un enfant. Fais que je sois fort, courageux, constant. Mais aide-moi comme on aide un enfant sans expérience; conduis-moi par la main, Seigneur, et fais que Ta mère soit aussi à mes cotés pour me protéger. Et ainsi, possumus!, nous pourrons, nous serons capables de Te prendre pour modèle.
Ce n’est pas présomption de notre part que d’affirmer ce possumus. Jésus-Christ nous apprend ce chemin divin et nous demande de l’entreprendre, car Il l’a rendu humain et accessible à notre faiblesse. C’est pourquoi, Il s’est tellement humilié. Voilà la raison pour laquelle Il s’est abaisse, en prenant forme d’esclave, ce Seigneur qui, en tant que Dieu, était égal au Père; mais Il s’est abaisse en majesté et en puissance, il non en bonté et en miséricorde.
La bonté de Dieu veut nous rendre le chemin facile. Ne repoussons pas l’invitation de Jésus. Ne lui disons pas non, ne soyons pas sourds à son appel: en effet, il n’y a pas d’excuse, nous n’avons pas de raison de continuer à penser que nous ne pouvons pas. Il nous a montré le chemin par son exemple. Je vous le demande donc avec insistance, mes frères: ne permettez pas que ce soit en vain que l’on vous ait montre un modèle si précieux, mais conformez-vous à Lui et renouvelez-vous au plus profond de votre âme.
16 Voyez-vous comme il est nécessaire de connaître Jésus, d’observer sa vie avec amour? Bien souvent je suis allé chercher la définition, la biographie de Jésus dans l'Écriture. Et je l’ai trouvée en lisant ce que dit en deux mots l’Esprit Saint: pertransiit benefaciendo. Toutes les journées de Jésus-Christ sur la terre, de sa naissance à sa mort, se résument en ceci: pertransiit benefaciendo, Il les a remplies en faisant le bien. Et ailleurs, l'Écriture observe: bene omnia fecit: Il a bien fait tout, Il a bien achevé toute chose, Il n’a rien fait d’autre que du bien.
Mais, toi et moi, où en sommes-nous? D’un coup d’oeil voyons si nous n’avons pas quelque chose à rectifier. Pour ma part, je trouve en moi beaucoup à reprendre. Étant donné que le me vois incapable de faire le bien tout seul, et que Jésus lui-même nous a dit que sans Lui nous ne pouvons rien faire, nous allons, toi et moi, implorer l’assistance du Seigneur, par l’intercession de sa Mère, dans ces conversations intimes, propres aux âmes qui s’expriment en fonction de leurs besoins. Au moment même où je vous donne ces conseils, intérieurement et sans bruit de paroles, le me les applique personnellement, en fonction de mes propres faiblesses.
17 Pertransiit benefaciendo. Qu’a fait Jésus pour répandre tant de bien, et seulement du bien, partout où il est passé? Les Saints Évangiles nous ont transmis une autre biographie de Jésus, résumée en trois mots latins, qui nous donnent la réponse: erat subditus illis, il obéissait. Alors qu’aujourd’hui le climat est à la désobéissance, à la protestation, à la désunion, il nous faut estimer spécialement l’obéissance.
je suis très attaché à la liberté, et c’est précisément pour cela que j’aime tant cette vertu chrétienne. Nous devons nous sentir enfants de Dieu et vivre avec le désir d’accomplir la volonté de notre Père; réaliser les choses en fonction du vouloir de Dieu, parce que nous en avons envie – la raison la plus surnaturelle qui soit.
L’esprit de l’Opus Dei, esprit que je m’efforce de pratiquer et d’enseigner depuis plus de trente-cinq ans, m’a fait comprendre et aimer la liberté personnelle. Lorsque Dieu Notre Seigneur accorde sa grâce aux hommes, lorsqu’Il les appelle à une vocation spécifique, c’est comme s’Il leur tendait la main, une main paternelle, pleine de force et, surtout, remplie d’amour; en effet, Il vient nous chercher un par un, en nous considérant comme ses filles et ses fils, et Il connaît notre faiblesse. Le Seigneur attend que nous fassions l’effort de prendre sa main, cette main qu’Il met à notre portée: Dieu nous demande un effort, effort qui est la preuve de notre liberté. Et pour pouvoir le réaliser nous devons être humbles, nous devons nous considérer comme des petits enfants et aimer l’obéissance bénie avec laquelle nous répondons à la paternité bénie de Dieu.
Il convient que nous laissions le Seigneur s’introduire dans nos vies, y entrer avec confiance, sans y rencontrer d’obstacles ni de détours. Nous autres hommes, nous avons tendance « à nous défendre », à nous attacher à notre égoïsme. Nous essayons toujours d’être des rois, même si ce n’est que du royaume de notre misère. Que cette considération vous aide à comprendre pourquoi nous avons besoin de recourir à Jésus: pour qu’Il nous rende véritablement libres, et qu’ainsi nous puissions servir Dieu et tous les hommes. Ce n’est qu’alors que nous nous rendrons compte de la vérité de ces paroles de saint Paul: Mais aujourd’hui, libérés du péché et devenus esclaves de Dieu, vous avez pour fruit la sainteté et pour fin la vie éternelle. Car le salaire du péché, c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus Notre Seigneur.
Soyons donc prévenus, car notre tendance à l’égoïsme ne meurt pas, et la tentation peut s’insinuer en nous de bien des manières. Dieu exige qu’en obéissant, nous exercions notre foi, car sa volonté ne se manifeste pas avec fracas. Il arrive en effet au Seigneur de suggérer son vouloir comme à voix basse, tout au fond de la conscience: il faut alors l’écouter avec attention, pour percevoir cette voix et lui être fidèles.
Mais, bien souvent, c’est à travers les autres qu’Il nous parle, et il peut arriver que la vue de leurs défauts, ou l’idée que peut-être ils ne sont pas bien informés, ou qu’ils n’ont pas compris toutes les données du problème, soit pour nous comme une invitation à ne pas obéir.
Or tout cela peut avoir une signification divine, car ce n’est pas une obéissance intelligente, et nous devons ressentir la responsabilité d’aider les autres avec la lumière de notre intelligence. Soyons toutefois sincères envers nous-mêmes: examinons, dans chaque cas, si c’est l’amour de la vérité qui nous pousse, ou bien l’égoïsme et l’attachement à notre propre jugement. Lorsque nos idées nous séparent des autres, lorsqu’elles nous amènent à rompre la communion, l'unité avec nos frères, c’est là un signe évident que nous n’agissons pas selon l’esprit de Dieu.
Ne l’oublions pas: pour obéir, je le répète, il faut l’humilité. Considérons de nouveau l’exemple du Christ: Jésus obéit et Il obéit à Joseph et à Marie. Dieu est venu sur terre pour obéir, pour obéir aux créatures. Certes ce sont deux créatures très parfaites: sainte Marie, notre Mère – au-dessus d’elle, il n’y a que Dieu – et l’homme très chaste qu’est Joseph. Mais ce sont des créatures. Et Jésus, qui est Dieu, leur obéissait. Il nous faut aimer Dieu, afin d’aimer sa volonté, et d’avoir le désir de répondre aux appels qu’Il nous adresse à travers les obligations de notre vie courante: dans notre devoir d’état, dans notre profession, dans notre travail, dans notre famille, dans nos relations sociales, dans nos propres souffrances et dans celles des autres, dans l’amitié, dans notre désir de réaliser ce qui est bon et juste.
18 Lorsque Noël arrive, j’aime contempler les représentations de l’enfant Jésus. Ces images qui nous montrent l’anéantissement du Seigneur, me rappellent que Dieu nous appelle, que le Tout-Puissant a voulu se présenter démuni, qu’Il a voulu avoir besoin des hommes. Dès le berceau de Bethléem, le Christ me dit, et te dit, qu’Il a besoin de nous; Il nous invite à mener une vie chrétienne, sans compromission, une vie de générosité, de travail, de joie.
Jamais nous n’obtiendrons la véritable bonne humeur si nous n’imitons pas vraiment Jésus; si nous ne sommes pas humbles comme Lui. J’insiste à nouveau: avez-vous vu où se cache la grandeur de Dieu? Dans une étable, dans les langes, dans une grotte. L’efficacité rédemptrice de nos vies ne peut s’exercer qu’avec humilité, parce qu’alors, nous cessons de penser à nous-mêmes et nous sentons que nous avons le devoir d’aider les autres.
Il arrive couramment que même des âmes bonnes se créent des problèmes personnels, qui peuvent déboucher sur des préoccupations sérieuses, mais qui manquent entièrement de base objective. Ces problèmes ont leur origine dans un manque de connaissance de soi, qui conduit à l’orgueil: désir de devenir le centre de l’attention et de l’estime de tous, souci de faire bonne figure, résistance à faire le bien en passant inaperçu, préoccupation pour la sécurité personnelle. C’est ainsi que beaucoup d’âmes qui pourraient goûter une joie immense, deviennent, par orgueil et présomption, malheureuses et stériles.
Le Christ fut humble de cœur. Tout au long de sa vie, Il ne voulut aucune faveur, aucun privilège. Il commença par rester neuf mois dans le sein de sa Mère, comme tous les hommes, de la façon la plus naturelle qui soit. Le Seigneur savait trop bien que l’humanité avait un immense besoin de Lui. Il aspirait donc à venir sur terre pour sauver les âmes; mais Il ne précipita pas les choses. Il vint à son heure, comme viennent au monde les autres hommes. De sa conception à sa naissance, personne – sauf saint Joseph et sainte Élisabeth – ne remarqua cette merveille: Dieu venant habiter parmi les hommes.
De plus, Noël est entouré d’une simplicité admirable: le Seigneur vient sans ostentation, inconnu de tous. Sur terre, seuls Marie et Joseph participent à l’aventure divine; puis ces bergers, que préviennent les anges; et plus tard, ces sages d’Orient. Ainsi se réalise l’événement transcendant où le ciel et la terre, Dieu et l’homme se réunissent.
Comment avons-nous le cœur assez dur pour nous habituer à ces scènes? Dieu s’humilie pour que nous puissions nous approcher de Lui, pour que nous puissions répondre à son amour par le nôtre, pour que notre liberté cède, non seulement devant le spectacle de son pouvoir, mais aussi devant la merveille de son humilité.
Grandeur d’un enfant qui est Dieu: son Père est le Dieu qui a fait le ciel et la terre, et Lui le voilà dans une étable, quia non erat eis locus in diversorio, car il n’y avait pas d’autre endroit sur terre pour le maître de toute la création.
19 Je ne m’écarte pas de la vérité la plus rigoureuse, si je vous dis que, maintenant, Jésus continue à chercher une place dans notre cœur. Nous devons lui demander pardon pour notre aveuglement, pour notre ingratitude. Nous devons lui demander la grâce de ne jamais plus lui fermer notre âme.
Le Seigneur ne nous cache pas que cette obéissance soumise à la volonté de Dieu exige renoncement et générosité, car l’Amour ne demande pas de droits: ce qu’il veut, c’est servir. C’est le Seigneur qui, le premier, a parcouru ce chemin avec amour. Jésus, comment as-tu obéi? Usque ad mortem, mortem autem crucis: jusqu’à la mort, et à la mort sur la croix. Il faut sortir de soi-même, se compliquer la vie, la perdre par amour de Dieu et des âmes. Voici que tu voulais vivre et tu voulais que rien ne t’arrive; mais Dieu en a décidé autrement. Il y a deux volontés: la tienne doit être corrigée, pour s’identifier à la volonté de Dieu, et non pas celle de Dieu infléchie pour s’accommoder à la tienne.
J’ai vu avec joie beaucoup d’âmes risquer leur vie comme toi Seigneur, usque ad mortem –, pour accomplir ce que la volonté de Dieu leur demandait: elles ont mis leurs idéaux et leur travail professionnel au service de l'Église, pour le bien de tous les hommes.
Apprenons à obéir, apprenons à servir: il n’y a pas de plus grande dignité que de vouloir s’adonner volontairement au service des autres. Lorsque nous sentons bouillonner en nous l’orgueil, cette superbe qui nous fait voir en nous des surhommes, c’est alors qu’il faut dire non, dire que notre seul triomphe doit être celui de l’humilité. C’est ainsi que nous nous identifierons au Christ sur la Croix – non pas irrités, inquiets ou de mauvais gré, mais joyeux –, car cette joie dans l’oubli de soi-même est la meilleure preuve d’amour qui soit.
20 Permettez-moi de revenir au naturel, à la simplicité de la vie de Jésus, que je vous ai déjà fait considérer tant de fois. Ces années cachées de la vie du Seigneur ne sont pas sans signification; elles ne sont pas non plus une simple préparation des années à venir, celles de sa vie publique. Depuis 1928, j’ai clairement compris que Dieu désire que les chrétiens prennent pour exemple la vie du Seigneur tout entière. J’ai compris tout spécialement sa vie cachée, sa vie de travail courant au milieu des hommes; le Seigneur veut, en effet, que beaucoup d’âmes trouvent leur vole dans ces années de vie cachée et sans éclat. Obéir à la volonté de Dieu est toujours, par conséquent, sortir de son égoïsme; mais cela ne doit pas se réduire essentiellement à s’éloigner des circonstances ordinaires de la vie des hommes, nos égaux par l’état, la profession, la situation dans la société.
Je rêve – et le rêve est devenu réalité – d’une foule d’enfants de Dieu en train de se sanctifier dans leur vie de citoyens ordinaires, de partager les soucis, les idéaux et les efforts des autres créatures. J’ai besoin de leur crier cette vérité divine: si vous demeurez au milieu du monde, ce n’est pas que Dieu vous ait oublies, ce n’est pas que le Seigneur ne vous ait pas appelés. Mais Il vous a invités à poursuivre votre route parmi les activités et les soucis de la terre; car Il vous a fait savoir que votre vocation humaine, votre profession, vos qualités, loin d’être étrangères à ses divins desseins, ont été sanctifiées comme une offrande très agréable au Père.
21 Rappeler à un chrétien que sa vie n’a d’autre sens que d’obéir à la volonté de Dieu, ce n’est pas le séparer des autres hommes. Au contraire, dans bien des cas, le commandement reçu du Seigneur est de nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés, en vivant auprès des autres et comme les autres, en nous mettant au service du Seigneur dans le monde, pour faire mieux connaître l’amour de Dieu à toutes les âmes, pour leur dire que se sont ouverts des chemins divins sur la terre.
Le Seigneur ne s’est pas contente de nous dire qu’Il nous aimait, Il nous l’a montré par ses œuvres. N’oublions pas que Jésus s’est incarné pour nous enseigner, pour que nous apprenions à vivre la vie des enfants de Dieu. Souvenez-vous de ce préambule de l’évangéliste saint Luc dans les Actes des Apôtres: primum quidem sermonem feci de omnibus, O Theophile, quæ cœpit Iesus facere et docere: je t’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et prêché de remarquable. Il est venu pour enseigner, mais en agissant. Il est venu enseigner, mais en tant que modèle, en tant que Maître, donnant l’exemple par sa conduite.
Maintenant, devant l’enfant Jésus, nous pouvons continuer notre examen personnel: sommes-nous décidés à faire en sorte que notre vie serve de leçon aux hommes, nos frères et nos semblables? Sommes-nous disposés à être d’autres Christ? Il ne suffit pas de le dire avec des mots. Toi – je le demande à chacun d’entre vous et je me le demande à moi-même – toi qui, en tant que chrétien, es appelé à devenir un autre Christ, mérites-tu que l’on répète de toi que tu es venu facere et docere, faire les choses comme un fils de Dieu, attentif à la volonté de son Père, pour qu’ainsi tu puisses stimuler toutes les âmes à participer à tout ce qu’il y a de bon, de noble, de divin et d’humain dans la Rédemption? Es-tu en train de vivre la vie du Christ, dans ta vie ordinaire au milieu du monde?
Réaliser les œuvres de Dieu, ce n’est pas un joli jeu de mots, mais une invitation à se dépenser par Amour. Il faut mourir à soi-même, pour renaître à une vie nouvelle. Car c’est ainsi que Jésus a obéi jusqu’à la mort sur la Croix, mortem autem crucis. Propter quod et Deus exaltavit illum Et c’est pourquoi Dieu l’a exalté. Si nous obéissons aux volontés de Dieu, la Croix sera, pour nous aussi, résurrection, exaltation. La vie du Christ s’accomplira en nous pas à pas: on pourra assurer que nous avons vécu en nous efforçant d’être de bons enfants de Dieu, que nous sommes passés sur la terre en faisant le bien, malgré notre faiblesse et nos erreurs personnelles, si nombreuses soient-elles.
Et lorsque viendra la mort – qui viendra inexorablement – nous l’attendrons, avec joie, comme j’ai vu tant de personnes saintes l’attendre, dans leur existence ordinaire. Avec joie, parce que, si nous avons imite le Christ en faisant le bien – en obéissant et en portant la croix malgré nos misères –, nous ressusciterons comme le Christ: surrexit Dominus Vere, qui est vraiment ressuscité.
Jésus, qui s’est fait enfant – méditez bien cela a vaincu la mort. Par son anéantissement, par sa simplicité, par son obéissance, par la divinisation de la vie courante et vulgaire des créatures, le Fils de Dieu s’est rendu vainqueur.
Voila quel a été le triomphe de Jésus-Christ. C’est ainsi qu’Il nous a élevés à sa hauteur, celle des enfants de Dieu, en descendant à notre niveau, celui des enfants des hommes.
22 Nous sommes à Noël. Tous les faits, toutes les circonstances qui ont entouré la naissance du Fils de Dieu nous reviennent en mémoire, tandis que notre regard s’arrête sur la grotte de Bethléem, sur le foyer de Nazareth. Marie, Joseph, Jésus enfant, sont particulièrement présents au plus intime de notre cœur. Que nous dit, que nous apprend la vie à la fois simple et admirable de la sainte Famille?
Nous pourrions faire à son propos de nombreuses considérations. Mais je veux, aujourd’hui, en tirer surtout un enseignement. La naissance de Jésus signifie, comme le rapporte l'Écriture, l’inauguration de la plénitude des temps, le moment choisi par Dieu pour manifester pleinement son amour pour les hommes, en nous livrant son propre Fils. Cette volonté divine s’accomplit au milieu des circonstances les plus normales et les plus courantes: une femme qui enfante, une famille, une maison. La toute-puissance divine, la splendeur de Dieu passent par l’humain et s’unissent à l’humain. Depuis lors, nous autres chrétiens, nous savons qu’avec la grâce de Dieu nous pouvons et nous devons sanctifier toutes les réalités nobles de notre vie. Il n’y a pas de situation terrestre, aussi petite et aussi banale qu’elle paraisse, qui ne puisse être une occasion de rencontrer le Christ, qui ne puisse être une étape dans notre cheminement vers le Royaume des Cieux.
Il n’est donc pas étonnant que l'Église se réjouisse, se récrée en contemplant la demeure modeste de Jésus, de Marie et de Joseph. Il est bon, dit l’hymne des Matines de cette fête, de penser à la petite maison de Nazareth et à l’existence simple qu’on y mène, de célébrer en chantant l’humble simplicité qui entoure Jésus, sa vie cachée; c’est là qu’enfant, il apprit le métier de Joseph; c’est là qu’il grandit et qu’il partagea son travail d’artisan. Près de Lui s’asseyait sa douce Mère; près de Joseph vivait son épouse très aimée, heureuse de pouvoir l’aider et de lui offrir ses services.
J’aime imaginer les foyers chrétiens, lumineux et joyeux, comme le fut celui de la Sainte Famille. Le message de la Nativité résonne de toute sa force: Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Que la paix du Christ triomphe dans vos cœurs, écrit l’apôtre. La paix de nous savoir aimés de Dieu notre Père, incorporés au Christ, protégés par la sainte Vierge Marie, protégés par saint Joseph. Voilà la grande lumière qui illumine nos vies et qui, au milieu de nos difficultés et de nos misères personnelles, nous pousse à aller de l’avant avec courage. Chaque foyer chrétien devrait être un havre de sérénité où l’on perçoit, au-delà des petites contradictions quotidiennes, une affection vraie et sincère, une profonde tranquillité, fruit d’une foi réelle et vécue.
23 Pour un chrétien le mariage n’est pas une simple institution sociale, et encore moins un remède aux faiblesses humaines: c’est une authentique vocation surnaturelle. Un grand sacrement dans le Christ et dans l'Église, dit saint Paul et en même temps, et inséparablement, un contrat qu’un homme et une femme concluent pour toujours. Car, que nous le voulions ou non, le mariage institue par Jésus-Christ est indissoluble: signe sacré qui sanctifie, action de Jésus qui envahit l’âme de ceux qui se marient et les invite à Le suivre, en transformant toute leur vie matrimoniale en un chemin divin sur la terre.
Les époux sont appelés à sanctifier leur union et à se sanctifier dans cette union. C’est pourquoi ils commettraient une grave erreur s’ils édifiaient leur conduite spirituelle en marge de leur foyer, ou en lui tournant le dos. La vie familiale, les relations conjugales, le soin et l’éducation des enfants, l’effort pour maintenir, assurer et améliorer la situation financière de sa famille, les rapports avec les autres personnes qui constituent la communauté sociale, tout cela correspond à des situations courantes auxquelles les époux chrétiens doivent donner un caractère surnaturel.
La foi et l’espérance doivent se manifester par la paix avec laquelle on envisage les problèmes, petits ou grands, qui surviennent dans tous les foyers et par l’ardeur qui permet de persévérer dans l’accomplissement de son propre devoir. C’est ainsi que la charité inondera tout et aidera à partager les joies et les peines qui peuvent se présenter. Elle aidera à sourire et à oublier ses propres préoccupations pour servir les autres. Elle aidera à écouter son conjoint ou ses enfants, afin de leur montrer qu’on les aime et qu’on les comprend vraiment. Elle aidera à négliger les petites frictions sans importance mais dont l’égoïsme pourrait faire des montagnes. Elle aidera enfin à mettre beaucoup d’amour dans les petits services qui tissent la vie commune de chaque jour.
Sanctifier son foyer jour après jour, créer avec amour un authentique climat familial: voilà ce dont il s’agit. Pour sanctifier cette journée, il faut mettre en œuvre de nombreuses vertus chrétiennes; en premier lieu les vertus théologales, et ensuite toutes les autres: la prudence, la loyauté, la sincérité, l’humilité, le travail, la joie... Mais on ne saurait parler du mariage et de la vie matrimoniale sans parler d’abord clairement de l’amour entre conjoints.
24 L’amour pur et sans tache des époux est une réalité sainte que, en tant que prêtre, le bénis de mes deux mains. La tradition chrétienne a vu fréquemment une confirmation de la valeur divine du mariage dans la présence de Jésus-Christ aux noces de Cana: Notre Seigneur est allé aux noces – écrit saint Cyrille d’Alexandrie – pour sanctifier le principe de la génération humaine.
Le mariage est un sacrement qui fait de deux corps une seule chair; comme la théologie le souligne avec force, les corps mêmes des conjoints en constituent la matière. Le Seigneur sanctifie et bénit l’amour du mari envers sa femme et celui de la femme envers son mari: c’est Lui qui a disposé non seulement la fusion de leurs âmes, mais aussi celle de leurs corps. Aucun chrétien, qu’il soit ou non appelé à la vie matrimoniale, ne peut la sous-estimer.
Le Créateur nous a donné l’intelligence: elle est comme une étincelle de l’entendement divin et nous permet avec notre volonté libre – autre don de Dieu – de connaître et d’aimer. Il a en outre donné à notre corps la possibilité d’engendrer, autrement dit de participer en quelque sorte à son pouvoir créateur. Dieu a voulu se servir de l’amour conjugal pour faire venir au monde de nouvelles créatures et augmenter le corps de son Église. Le sexe n’est pas une réalité honteuse, mais un don divin dont la juste finalité est la vie, l’amour, la fécondité.
Voila dans quelle perspective se situe la doctrine chrétienne sur la sexualité. Notre foi ne méconnaît rien de ce qu’il y a de beau, de généreux, d’authentiquement humain ici-bas. Elle nous apprend que la règle de notre vie ne doit pas être la recherche égoïste du plaisir, car seuls le renoncement et le sacrifice conduisent au véritable amour. Dieu nous a aimés; Il nous invite à L’aimer et à aimer les autres avec la vérité et l’authenticité avec lesquelles Il nous aime. Qui aura trouve sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera, a écrit saint Matthieu dans son Évangile, en une phrase qui semble paradoxale.
Les personnes trop attachées à elles-mêmes, agissant avant tout en vue de leur propre satisfaction, risquent leur salut éternel et ne peuvent qu’être infortunées et malheureuses. Celui-là seul qui s’oublie soi-même et qui se donne à Dieu et aux autres – et dans le mariage aussi – peut être heureux sur la terre, d’un bonheur qui est la préparation et l’anticipation de celui du ciel.
Au long de notre chemin sur la terre, la douleur est la pierre de touche de l’amour. Dans l’état de mariage, en considérant les choses d’une manière descriptive, nous pourrions affirmer qu’il y a un endroit et un envers. D’une part le bonheur de se savoir aimé, la joie d’édifier et de maintenir un foyer, l’amour conjugal, la consolation de voir grandir ses enfants. De l’autre des peines et des contrariétés, le passage du temps qui consume les corps et menace d’aigrir les caractères, l’apparente monotonie des jours apparemment toujours semblables.
Celui qui estimerait qu’amour et bonheur sont réduits à néant par ces difficultés aurait une piètre idée du mariage et de l’amour humain. C’est précisément quand les sentiments qui animaient les créatures révèlent leur véritable nature, que– le don de soi et la tendresse s’enracinent et apparaissent comme une affection authentique et profonde, plus forte que la mort.
25 Cette authenticité de l’amour requiert fidélité et rectitude dans toutes les relations matrimoniales. Dieu, commente saint Thomas d’Aquin, a joint aux diverses fonctions de la vie humaine un plaisir, une satisfaction. Ce plaisir et cette satisfaction sont donc bons. Mais si l’homme, inversant l’ordre des choses, recherche cette émotion comme une fin en soi, en méprisant le bien et la fin auxquels elle doit être liée et ordonnée, il la pervertit et la dénature, la transforme en péché ou en occasion de péché.
La chasteté – non pas la simple continence mais l’affirmation décidée d’une volonté pleine d’amour est une vertu qui maintient la jeunesse de l’amour dans n’importe quel état de vie. Il y a la chasteté de ceux qui sentent s’éveiller en eux la montée de la puberté, la chasteté de ceux qui se préparent à se marier, la chasteté de ceux que Dieu appelle au célibat, la chasteté de ceux qui ont été choisis par Dieu pour vivre dans le mariage.
Comment ne pas rappeler ici les paroles fortes et claires rapportées dans la Vulgate et qui concernent la recommandation que l’archange Raphaël fit à Tobie avant qu’il n’épousât Sarah. L’ange l’avertit en ces termes: écoute-moi et je te dirai qui sont ceux contre lesquels le démon peut se prévaloir. Ce sont ceux qui embrassent le mariage de telle façon qu’ils excluent Dieu d’eux-mêmes et de leur esprit, et se laissent entraîner par la passion comme le cheval et le mulet, qui n’ont pas de raison. Sur ceux-ci le diable a du pouvoir.
Il n’y a pas d’amour humain net, franc et joyeux dans le mariage, si l’on ne vit pas cette vertu de chasteté, qui respecte le mystère de la sexualité et l’ordonne à la fécondité et à la générosité. Jamais je n’ai parlé d’impureté, et j’ai toujours évité de tomber dans des casuistiques morbides et dénuées de sens; mais j’ai bien souvent parlé de chasteté et de pureté, de l’affirmation joyeuse de l’amour, et je dois continuer d’en parler.
En ce qui concerne la chasteté conjugale, j’assure aux époux qu’ils ne doivent pas avoir peur de manifester leur amour; au contraire, puisque cette inclination est la base de leur vie familiale. Ce que le Seigneur leur demande c’est de se respecter mutuellement, d’être loyaux l’un envers l’autre et d’agir avec délicatesse, avec naturel, avec modestie. Je leur dirai aussi que les relations conjugales sont dignes quand elles sont la preuve d’un véritable amour et, par conséquent, quand elles sont ouvertes à la fécondité, à la procréation.
Tarir les sources de la vie est un crime contre les dons que Dieu a concédés à l’humanité, la manifestation d’une conduite inspirée par l’égoïsme et non par l’amour. C’est alors que tout devient trouble entre des conjoints, qui en arrivent à se considérer comme des complices. Il se produit alors des dissensions qui, à la longue, deviennent presque toujours incurables.
Quand la chasteté conjugale est présente dans l’amour, la vie matrimoniale est l’expression d’une conduite authentique: mari et femme se comprennent et se sentent unis. Quand le bien divin de la sexualité se pervertit, l’intimité est détruite et le mari et la femme ne peuvent plus se regarder en face loyalement.
Les époux doivent édifier leur vie commune sur une affection sincère et pure et sur la joie d’avoir mis au monde les enfants que Dieu leur a donné la possibilité d’avoir Ils doivent savoir, s’il le faut, renoncer à des commodités personnelles et avoir foi dans la Providence divine: fonder une famille nombreuse, si telle est la volonté de Dieu, est une garantie de bonheur et d’efficacité, même si, dans leurs égarements, les défenseurs d’un triste hédonisme affirment le contraire.
26 N’oubliez pas qu’il n’est pas toujours possible d’éviter les disputes entre époux. Ne vous disputez jamais devant vos enfants: vous les feriez souffrir, et ils prendraient parti d’un côté ou de l’autre, contribuant ainsi inconsciemment à accroître votre désunion. Mais se disputer, à condition que cela ne soit pas fréquent, est aussi une manifestation d’amour, presque une nécessité. L’occasion, non le motif, se trouve généralement dans la fatigue du mari, épuisé par son travail professionnel, dans la fatigue – fasse le ciel que ce ne soit pas l’ennui – de la femme, qui a dû lutter avec les enfants, avec les personnes qui l’aident, ou avec son propre caractère, parfois fragile; bien que vous autres femmes soyez plus fortes que les hommes, si vous le voulez.
Évitez l’orgueil, qui est le plus grand ennemi de vos relations conjugales: dans vos petits différends, aucun des deux n’a raison. Celui qui est le plus maître de soi doit dire un mot qui permet de remettre à plus tard la manifestation de la mauvaise humeur. Plus tard, quand vous serez seuls, disputez-vous, et ensuite vous ferez la paix.
Vous, les femmes, pensez que vous négligez peut-être un peu le soin de votre personne, et souvenez-vous du proverbe qui dit que la femme qui s’arrange retient son mari à la maison. Votre devoir de paraître aimables est aussi actuel que lorsque vous étiez fiancées. C’est un devoir de justice, car vous appartenez à votre mari; et lui-même ne doit pas non plus l’oublier car il est à vous et il conserve pendant toute sa vie l’obligation d’être tendre comme un fiancé. Mauvais signe si, en lisant ce paragraphe, vous souriez avec ironie: ce serait la preuve évidente que votre affection familiale s’est transformée en une indifférence glacée.
27 On ne peut pas non plus parler de mariage sans évoquer en même temps la famille, fruit et continuation de ce qui commence avec le mariage. Une famille ne se compose pas seulement du mari et de la femme, mais aussi des enfants et, à des degrés divers, des grands-parents, des parents plus éloignés et des personnes qui travaillent à la maison. A tous doit parvenir la chaleur intime qui crée l’atmosphère familiale.
Certes, il est des ménages auxquels le Seigneur n’accorde pas d’enfants: c’est alors le signe qu’il leur demande de continuer à s’aimer avec la même affection et – s’ils le peuvent – d’employer leurs énergies à des services et à des tâches qui profitent à d’autres âmes. Mais ce qui est normal, c’est qu’un couple ait une descendance. Pour ces époux, leurs enfants doivent être au premier plan de leurs préoccupations. La paternité et la maternité ne s’arrêtent pas à la naissance: cette participation au pouvoir de Dieu qu’est la faculté d’engendrer doit se prolonger par la coopération avec l’Esprit Saint afin d’aboutir à la formation d’hommes et de femmes authentiquement chrétiens.
Les parents sont les principaux éducateurs de leurs enfants, tant sur le plan humain que sur le plan surnaturel. Ils doivent ressentir la responsabilité de cette mission, qui exige d’eux compréhension et prudence, don d’enseigner, et surtout d’aimer, et désir de donner le bon exemple. Le commandement autoritaire et brutal n’est pas une bonne méthode d’éducation. Les parents doivent plutôt chercher à devenir les amis de leurs enfants; des amis auxquels ceux-ci confient leurs inquiétudes, qu’ils consultent sur leurs problèmes et dont ils attendent une aide efficace et aimable.
Il est nécessaire que les parents trouvent du temps pour être avec leurs enfants et parler avec eux. Les enfants sont ce qu’il y a de plus important: ils sont plus importants que les affaires, que le travail, que le repos. Dans ces conversations, il faut les écouter avec attention, s’efforcer de les comprendre, savoir reconnaître la part de vérité – ou l’entière vérité – qu’il peut y avoir dans certaines de leurs révoltes. Il faut, en même temps, les aider à canaliser correctement leurs préoccupations et leurs idéaux, leur apprendre à observer et à raisonner; il ne faut pas leur imposer une conduite mais leur montrer les motifs, surnaturels et humains, qui l’inspirent. En un mot, il faut respecter leur liberté, puisqu’il n’est pas de véritable éducation sans responsabilité personnelle, ni de responsabilité sans liberté.
28 Les parents éduquent essentiellement par leur propre conduite. Ce que les fils et les filles attendent de leur père et de leur mère ce ne sont pas seulement des connaissances plus vastes que les leurs ou des conseils plus ou moins opportuns, mais quelque chose de plus élevé: un témoignage de la valeur et du sens de la vie, témoignage incarné dans une existence concrète et affirmé à travers les diverses circonstances et situations qui se succèdent au fil des années.
Si je devais donner un conseil aux parents, j’insisterais sur ceci: que vos enfants voient – ils le voient déjà tout petits, et ils jugent, ne vous y trompez pas – que vous vous efforcez de vivre en accord avec votre foi, que Dieu n’est pas seulement sur vos lèvres, mais aussi dans vos œuvres; qu’ils voient que vous vous efforcez d’être sincères et loyaux, que vous vous aimez et que vous les aimez vraiment.
C’est ainsi que vous contribuerez le plus efficacement à faire d’eux des chrétiens véritables, des hommes et des femmes intègres, capables d’affronter avec un esprit ouvert les situations auxquelles ils seront confrontés durant leur vie, de servir leurs concitoyens et de contribuer à la solution des grands problèmes de l’humanité, capables de porter le témoignage du Christ la où ils vont se trouver dans la société.
29 Écoutez vos enfants, consacrez-leur également le temps qui est à vous, traitez-les avec confiance, croyez tout ce qu’ils vous diront, même s’il leur arrive de vous tromper; ne vous effrayez pas de leurs révoltes, puisqu’à leur âge vous avez été vous-mêmes plus ou moins rebelles; parcourez la moitié du chemin qui vous sépare, et priez pour eux. Il est certain que si vous agissez de cette manière – c’est-à-dire en chrétiens c’est à leurs parents que vos enfants s’adresseront tout naturellement, et non à quelque camarade mal élevé ou brutal, pour satisfaire leurs curiosités légitimes. Vos enfants seront sincères avec vous dans la mesure où vous leur témoignerez confiance et affection. C’est cela la paix familiale, la vie chrétienne, même compte tenu des inévitables disputes et des incompréhensions de peu d’importance.
Comment décrirai-je – se demande un écrivain des premiers siècles – le bonheur de ce mariage que l'Église unit, que le don mutuel confirme, que la bénédiction scelle, que les anges proclament, et que Dieu le Père tient pour célébré?... Les deux époux sont comme des frères, serviteurs l’un de l’autre, sans qu’il y ait entre eux aucune séparation, ni dans la chair ni dans l’esprit. Car ils sont véritablement deux en une seule chair, et là où il y a une seule chair il doit y avoir un seul esprit. En contemplant ces foyers, le Christ se réjouit et Il leur envoie sa paix; là où deux se trouvent, là Il est également, et là où Il est, il ne peut y avoir aucun mal.
30 Nous nous sommes efforcés de résumer et de commenter quelques-unes des caractéristiques de ces foyers où se reflète la lumière du Christ et qui sont, pour cette raison – je le répète –, lumineux et joyeux, l’harmonie qui règne entre les parents se transmettant aux enfants, à la famille entière et à tout ce qui l’entoure. Ainsi, dans chaque famille authentiquement chrétienne, se reproduit d’une certaine manière le mystère de l'Église, choisie par Dieu et envoyée comme guide du monde.
A tout chrétien, quelle que soit sa condition prêtre ou laïc, marié ou célibataire – s’appliquent pleinement les paroles de l’apôtre qu’on lit précisément dans l’épître de la fête de la Sainte Famille: choisis par Dieu, saints et aimés. Voilà ce que nous sommes tous, chacun à notre place dans le monde: des hommes et des femmes choisis par Dieu pour rendre témoignage au Christ et pour faire parvenir à tous ceux qui nous entourent la joie de se savoir enfants de Dieu; et cela malgré nos erreurs et en nous efforçant de lutter contre elles.
Il est très important que le sens vocationnel du mariage ne soit jamais absent, tant de la catéchèse et de la prédication que de la conscience de ceux que Dieu veut voir prendre cette voie, puisque c’est réellement et véritablement qu’ils sont appelés à participer au plan de Dieu pour le salut des hommes.
Sans doute ne peut-on proposer aux époux chrétiens meilleur modèle de famille que celle des temps apostoliques: celle du centurion Corneille, qui fut docile à la volonté de Dieu, et dans la maison duquel s’est consommée l’ouverture de l'Église, aux Gentils; celle d’Aquila et de Priscille, qui diffusèrent le christianisme à Corinthe et à Ephèse et qui collaborèrent à l’apostolat de saint Paul; celle de Tabitha, qui, par sa charité, assista les nécessiteux de Joppé Sans oublier tous ces foyers de juifs et de Gentils, de Grecs et de Romains, dans lesquels la prédication des premiers disciples du Seigneur prit racine.
Des familles qui vécurent du Christ et qui firent connaître le Christ. Des petites communautés chrétiennes qui furent comme des centres de rayonnement du message évangélique. Des foyers apparemment semblables aux autres foyers de ce temps-là, mais animés d’un esprit nouveau, qui se communiquait à ceux qui les connaissaient et les fréquentaient. Voila ce que furent les premiers chrétiens et ce que nous devons être, nous, chrétiens d’aujourd’hui: des semeurs de paix et de joie, de la paix et de la joie que le Christ nous a apportées.
31 J’ai pu contempler récemment un bas-relief en marbre qui représentait l’adoration de l’Enfant-Dieu par les Mages. Autour de la scène, quatre anges tenaient chacun un objet symbolique: un diadème, le monde couronné par la croix, une épée, un sceptre. C’est sous cette forme artistique, faisant appel à des signes connus, que l’on avait représenté l’événement que nous commémorons aujourd’hui: quelques sages – la tradition dit qu’ils étaient rois – se prosternant devant un enfant, après avoir demandé à Jérusalem: « Où est le roi des juifs, qui vient de naître? ».
Et pour moi, une telle question m’incite maintenant à contempler Jésus, couché dans une crèche dans un lieu réservé aux bêtes. Où est, Seigneur, ta royauté: le diadème, l’épée, le sceptre? Ils lui appartiennent, et Il n’en veut pas, Il règne, enveloppé dans des langes. C’est un roi fragile, qui se montre à nous sans défense: c’est un petit enfant. Comment ne pas rappeler ces paroles de l’apôtre: Il s’anéantit Lui-même, en prenant la forme d’un esclave?.
Notre Seigneur s’est incarné, pour nous manifester la volonté du Père. Et voici que, dès sa naissance, Il nous instruit. Jésus-Christ nous cherche – et son appel est un appel à la sainteté – pour achever, avec Lui, la Rédemption. Considérez son premier enseignement: nous devons être corédempteurs, en recherchant la victoire, non pas sur notre prochain, mais sur nous-mêmes. Comme le Christ, nous avons besoin de nous anéantir, de nous sentir serviteurs des autres, pour les conduire jusqu’à Dieu.
Où est le roi? Jésus ne désire-t-il pas régner, avant tout, sur les cœurs, sur ton cœur? C’est pourquoi Il se fait enfant. Qui n’aimerait pas un petit être? Où est le Roi? Où est le Christ que l’Esprit Saint cherche à –former dans notre âme? Il ne peut être dans l’orgueil qui nous sépare de Dieu. Il ne peut être dans le manque de charité qui nous isole. Le Christ ne peut y être, car là, l’homme reste seul.
Aux pieds de Jésus Enfant, en ce jour de l'Épiphanie, devant un Roi dépourvu des signes extérieurs de la royauté, vous pouvez dire: Seigneur, supprime de ma vie l’orgueil; brise mon amour-propre, cette volonté de m’affirmer moi-même et de m’imposer aux autres. Fais que le fond de ma personnalité soit de m’identifier à Toi.
32 Le but n’est pas facile: nous identifier au Christ. Mais il n’est pas non plus difficile, si nous vivons comme le Seigneur nous l’a appris: si nous avons recours tous les jours à la Parole, si nous imprégnons notre vie de la réalité sacramentelle – l’Eucharistie qu’Il nous a laissée comme aliment, car le chemin du
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chrétien invite à la marche, comme le rappelle une vieille chanson de mon pays. Dieu nous a appelés d’une manière claire et sans équivoque. Comme les Rois Mages, nous avons découvert une étoile, lumière et chemin, dans le ciel de notre âme.
Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer. Notre expérience est la même. Nous aussi, nous avons remarqué que, peu à peu, une nouvelle lueur s’allumait dans notre âme: le désir d’être pleinement chrétiens; si vous me permettez l’expression, le souci de prendre Dieu au sérieux. Si chacun de nous se mettait maintenant à raconter à haute voix l’histoire intime de sa vocation surnaturelle, nous conclurions, nous autres, que tout ceci était divin. Remercions Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, et Sainte Marie, par laquelle nous parviennent toutes les bénédictions du ciel, de ce don qui, avec celui de la foi, est le plus grand que le Seigneur puisse accorder à une créature: la ferme détermination d’atteindre la plénitude de la charité, en étant convaincu que la sainteté au milieu des tâches professionnelles et sociales est non seulement possible, mais nécessaire.
Avec quelle délicatesse le Seigneur nous invite!
Il s’exprime au moyen de paroles humaines, comme un amoureux: je t’ai appelé par ton nom... tu es à moi. Dieu, qui est la beauté, la grandeur, la sagesse, nous annonce que nous sommes siens, que nous avons été choisis comme terme de son amour infini. Quelle vie de foi il faut avoir pour ne pas dénaturer cette merveille que la Providence divine met entre nos mains! Une foi comme celle des Rois Mages: la conviction que ni le désert, ni les tempêtes, ni la tranquillité des oasis ne nous empêcheront de parvenir à ce Bethléem éternel qu’est la vie définitive avec Dieu.
33 Un chemin de foi est un chemin de sacrifices. La vocation chrétienne ne nous change pas de place, mais elle exige que nous abandonnions tout ce qui entrave la volonté de Dieu. La lumière qui s’allume n’est qu’un commencement; nous devons la suivre si nous désirons que cette clarté soit étoile, puis soleil. Quand les Mages étaient en Perse – écrit saint Jean Chrysostome – ils ne voyaient qu’une étoile; mais, quand ils ont abandonne leur patrie, ils ont vu le soleil de la justice lui-même. On peut dire qu’ils n’auraient pas continué de voir l’étoile s’ils étaient restés dans leur pays. Dépêchons-nous donc, nous aussi; et, même si tous nous en empêchent, courons à la maison de cet enfant.
34 La vocation vient en premier lieu. C’est l’étoile qui a commencé à luire pour nous orienter sur notre chemin d’amour de Dieu. Il ne serait donc pas logique de douter si, parfois, à certains moments de notre vie intérieure, presque toujours par notre faute, il arrivait, comme dans le voyage des Mages, que l'Étoile disparaisse. Alors que nous connaissons déjà la splendeur divine de notre vocation et que nous sommes persuadés de son caractère définitif, il se peut que la poussière que nous soulevons en marchant – nos misères – forme un nuage opaque, qui empêche le passage de la lumière.
Que faire alors? Suivre les pas de ces hommes saints: demander. Hérode se servit de la science pour se comporter injustement; les Rois Mages l’utilisèrent pour faire le bien. Mais, nous autres chrétiens, nous n’avons pas besoin d’interroger Hérode ou les sages de la terre. Le Christ a donné à son Église la sécurité de sa doctrine, le courant de grâce des Sacrements; Il a prévu qu’il y ait des personnes pour nous orienter, pour nous conduire, pour nous rappeler constamment le chemin. Nous disposons d’un trésor infini de science: la Parole de Dieu gardée dans l'Église; la grâce du Christ, administrée dans les sacrements; le témoignage et l’exemple de ceux qui vivent à coté de nous avec droiture et qui ont su faire de leur vie un chemin de fidélité à Dieu.
Permettez-moi de vous donner un conseil: s’il vous arrivait de perdre la lumière, ayez toujours recours au bon Pasteur. Mais qui est le bon Pasteur? Celui qui entre par la porte de la fidélité à la doctrine de l'Église; celui qui ne se comporte pas comme le mercenaire qui, voyant venir le loup, abandonne les brebis et s’enfuit; et le loup les emporte et disperse le troupeau. Croyez que la parole divine n’est pas vaine; et l’insistance du Christ – ne voyez-vous pas avec quelle affection Il parle de pasteurs et de brebis, du bercail et du troupeau? – est une démonstration pratique de la nécessite d’avoir un bon guide pour notre âme.
S’il n’y avait pas de mauvais pasteurs, écrit saint Augustin, Il n’aurait pas précisé, et parle du bon. Qui est le mercenaire? Celui qui voit le loup et s’enfuit. Celui qui n’ose pas réprouver les pécheurs avec liberté d’esprit. Le loup saisit une brebis par le cou, le diable incite un fidèle à commettre un adultère. Et toi, tu te tais, tu ne réprouves rien. Tu es un mercenaire; tu as vu venir le loup et tu as fui. Peut-être dira-t-il: non, je suis ici, je n’ai pas fui. Et je réponds: non, tu as fui parce que tu t’es tu; et tu t’es tu parce que tu as eu peur.
La sainteté de l’épouse du Christ s’est toujours manifestée – comme elle se manifeste encore aujourd’hui – par une abondance de bons pasteurs Mais la foi chrétienne, qui nous apprend à être simples, ne fait pas de nous des naïfs. Il y a des mercenaires qui se taisent, et il y a des mercenaires qui prononcent des paroles qui ne viennent pas du Christ. C’est pourquoi, si le Seigneur permet que nous restions dans l’obscurité, même dans les petites choses; si nous sentons que notre foi n’est pas ferme, courons au bon Pasteur, à celui qui entre par la porte en exerçant son droit, à celui qui, en donnant sa vie pour autrui veut être, dans sa parole et sa conduite, une âme éprise de Dieu: un pécheur aussi, peut-être; mais qui a toujours confiance dans le pardon et la miséricorde du Christ.
Si votre conscience vous reproche quelque faute même si elle ne vous semble pas grave – si vous avez un doute, accourez au sacrement de la pénitence. Allez trouver le prêtre qui vous dirige, celui qui sait exiger de vous une foi robuste, une âme délicate, une véritable force chrétienne. Dans l'Église, chacun est absolument libre de se confesser avec n’importe quel prêtre, pourvu qu’il ait les pouvoirs requises; mais un chrétien à la vie claire accourra librement vers celui qu’il sait être le bon Pasteur, qui peut l’aider à lever les yeux pour voir de nouveau, là-haut, l’étoile du Seigneur.
35 Videntes autem stellam, gavisi sunt gaudio magno valde, dit le texte latin dans une admirable redondance: découvrant de nouveau l’étoile, ils se réjouirent avec une très grande joie. Pourquoi tant de joie? Parce que, eux, qui n’ont jamais douté, reçoivent du Seigneur la preuve que l’étoile n’avait pas disparu: ils avaient cessé de la contempler avec leurs yeux, mais ils l’avaient toujours conservée dans leur âme. Il en est ainsi de la vocation du chrétien: s’il ne perd pas la foi, s’il maintient son espérance en Jésus-Christ, qui sera avec nous jusqu’à la consommation des siècles, il voit réapparaître l’étoile. En constatant une fois de plus la réalité de sa vocation, il sent naître en lui une joie plus grande, qui augmente sa foi, son espérance et son amour.
Entrant dans la maison, ils virent L’Enfant avec Marie, sa Mère et, s’agenouillant, ils l’adorèrent Nous nous agenouillons, nous aussi, devant Jésus, Dieu caché sous son humanité: nous lui redisons que nous ne voulons pas tourner le dos à son appel divin, que nous ne nous éloignerons jamais de Lui; que nous enlèverons de notre chemin tout ce qui constitue un obstacle à notre fidélité; que nous désirons sincèrement suivre ses inspirations. Toi, dans ton âme, et moi aussi – dans ma prière intime, qui est comme un grand silence qui crie – nous racontons à l’Enfant Jésus que nous voulons être d’aussi bons exécutants que les serviteurs de la parabole, pour qu’Il puisse nous dire comme à eux: réjouis-toi, serviteur bon et fidèle.
Et, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents: de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Arrêtons-nous un peu pour comprendre ce passage du saint Évangile. Comment pouvons-nous, nous qui ne valons rien, offrir quelque chose à Dieu? L'Écriture dit: tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut. L’homme ne réussit peut-être même pas à découvrir entièrement la profondeur et la beauté des dons du Seigneur: Si tu savais le don de Dieu! répond Jésus à la Samaritaine. Jésus-Christ nous a appris à attendre tout du Père, à chercher, avant tout, le royaume de Dieu et sa justice, car tout le reste nous sera donné par surcroît, et Il sait bien, Lui, ce dont nous avons besoin.
Dans l’économie du salut, Notre Père soigne chaque âme avec une délicatesse pleine d’amour: chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Il peut paraître inutile, par conséquent, de s’efforcer d’offrir à Dieu quelque chose dont Il n’a pas besoin; dans notre situation de débiteurs insolvables, nos dons ressembleraient à ceux de l’Ancienne Loi, que déjà Dieu n’acceptait pas: Sacrifices, obligations, holocaustes pour les péchés, tu ne les as voulus ni agrées et cependant ils sont offerts d’après la Loi.
Mais le Seigneur sait que donner est le propre de ceux qui aiment, et Lui-même nous montre ce qu’Il désire de nous. Ni les richesses, ni les fruits, ni les animaux de la terre, de la mer ou de l’air, ne lui importent, parce que tout est sien; Il veut quelque chose d’intime, que nous devons librement Lui donner: mon fils, donne-moi ton cœur. Vous voyez? Il ne se satisfait pas du partage: Il veut tout. Il ne cherche pas ce qui nous appartient. Je le répète: c’est nous-mêmes qu’Il veut. C’est de là, et de là seulement que proviennent tous les autres présents que nous pouvons offrir au Seigneur.
Offrons-Lui, par conséquent, de l’or: l’or fin de notre détachement de la fortune et des biens matériels. N’oublions pas que ce sont des choses bonnes, puisqu’elles viennent de Dieu. Mais le Seigneur a voulu que nous les utilisions sans y attacher notre cœur, en les faisant fructifier pour le bien de l’humanité.
Les biens de la terre ne sont pas mauvais; ils se corrompent quand l’homme les érige en idoles, et quand il se prosterne devant eux; ils s’ennoblissent quand nous les utilisons pour faire le bien, en œuvrant chrétiennement pour la justice et la charité. Nous ne pouvons poursuivre les biens à la manière d’un homme qui va à la recherche d’un trésor; notre trésor, il est là, couché dans une crèche: c’est le Christ, et tous nos amours doivent se joindre en Lui, car là ou est notre 29 trésor, là aussi est notre cœur.
36 Nous lui offrons de l’encens: nos désirs, qui s’élèvent vers le Seigneur, de mener une vie noble, d’où se dégage le bonus odor Christi, le parfum du Christ. Imprégner nos paroles et nos actions de ce bonus odor, c’est semer la compréhension, l’amitié Que notre vie accompagne la vie des autres hommes, pour que personne ne se trouve ou ne se sente seul. Notre charité doit aussi être faite d’affection, de chaleur humaine.
Jésus-Christ nous l’enseigne. L’humanité attendait depuis des siècles la venue du Sauveur; les prophètes l’avaient annoncée de mille manières; et, jusqu’aux dernières extrémités de la terre – même si, à cause du péché et de l’ignorance, une grande partie de la Révélation de Dieu aux hommes se trouvait perdue – se conservaient le désir de Dieu et l’espérance du rachat.
La plénitude des temps arrive et, pour remplir cette mission, ce n’est pas un génie philosophe, comme Platon ou Socrate, qui apparaît; ce n’est pas un conquérant puissant, comme Alexandre, qui s’installe sur la terre. C’est un Enfant qui naît à Bethléem. Il est le Rédempteur du monde; mais, avant même de parler, Il montre son amour par des actes. Il n’apporte aucune formule magique parce qu’Il sait que le salut qu’Il offre doit passer par le cœur de l’homme. Ses premières actions sont des sourires, des pleurs d’enfant, le sommeil sans défense d’un Dieu incarné: et ceci pour nous inspirer de l’amour, pour que nous sachions L’accueillir dans nos bras.
Nous nous rendons compte maintenant, une fois de plus, de ce qu’est le christianisme. Si le chrétien n’aime pas avec des œuvres, il a échoué en tant que chrétien, et donc en tant que personne. Tu n’as pas le droit de penser aux autres comme s’ils étaient des numéros ou des marchepieds, tout juste bons à te permettre de monter; ou une masse à exalter ou à humilier, à adorer ou à mépriser, suivant les cas. Pense aux autres – et avant tout, à ceux qui sont près de toi –, comme à ce qu’ils sont: des enfants de Dieu, avec toute la dignité qui s’attache à ce titre merveilleux.
Nous devons nous comporter comme des enfants de Dieu avec les enfants de Dieu: notre amour doit être un amour qui se sacrifie, un amour quotidien, fait de mille détails de compréhension, de sacrifice silencieux, de don discret de soi. Voilà le bonus odor Christi, qui faisait dire aux compagnons de nos premiers frères dans la foi: voyez comme ils s’aiment!
Il ne s’agit pas la d’un idéal lointain. Le chrétien n’est pas un Tartarin de Tarascon, obstiné à chasser le lion là où il ne peut le trouver, dans les couloirs de sa maison. Je préfère toujours parler de la vie quotidienne dans ce qu’elle a de concret. de la sanctification du travail, des relations familiales et de l’amitié. Si nous ne sommes pas chrétiens, là, où le serons-nous? La bonne odeur de l’encens provient d’une braise qui brûle sans ostentation une multitude de grains; ce qui signale chez les hommes le bonus odor Christi ce n’est pas la flamme d’un feu de paille, mais l’efficacité d’un brasier de vertus qui se nomment justice, loyauté, fidélité, compréhension, joie...
37 Et voici qu’avec les Rois Mages, nous offrons aussi la myrrhe, c’est-à-dire le sacrifice indispensable à la vie chrétienne. La myrrhe nous rappelle le souvenir de la passion du Seigneur: sur la Croix on Lui donne à boire de la myrrhe mêlée à du vin, et c’est avec de la myrrhe que son corps est oint pour la sépulture. Mais ne pensez pas que de réfléchir à la nécessité du sacrifice et de la mortification puisse ajouter une note de tristesse à la joie de cette fête que nous célébrons aujourd’hui.
La mortification n’est ni pessimisme ni aigreur. La mortification ne vaut rien sans la charité: c’est pourquoi nous devons chercher des mortifications qui, en nous aidant à dominer les choses de la terre, ne mortifient pas ceux qui vivent avec nous. Le chrétien ne peut être ni un bourreau ni un misérable; c’est un homme qui sait à la fois aimer et le montrer, et pour qui la douleur est la pierre de touche de l’amour.
Mais j’ajoute, encore une fois, que cette mortification ne saurait consister en de grands renoncements, qui d’ailleurs se présentent rarement. Il doit s’agir plutôt de petites luttes: sourire à qui nous importune, refuser au corps les caprices de biens superflus, nous habituer à écouter autrui, faire fructifier le temps que Dieu met à notre disposition... Et tant d’autres détails, insignifiants en apparence, qui surgissent sans que nous les cherchions – contrariétés, difficultés, chagrins – au fil de chaque jour.
38 Je termine en reprenant quelques mots de l'Évangile d’aujourd’hui: entrant dans la maison, ils virent l’Enfant avec Marie, sa mère. Notre Dame ne se sépare pas de son Fils. Les Rois Mages ne sont pas reçus par un roi juché sur son trône, mais par un enfant dans les bras de sa mère. Demandons à la Mère de Dieu, notre Mère, de nous préparer le chemin qui conduit au plein amour: Cor Mariæ dulcissimum, iter para tutum! Son doux cœur connaît le chemin le plus sûr pour rencontrer le Christ.
Les Rois Mages ont une étoile; nous, nous avons Marie, Stella maris, stella Orientis. Nous lui disons aujourd’hui: Sainte Marie, Étoile de la mer, Étoile du matin, aide tes enfants. Notre zèle pour les âmes ne doit pas connaître de frontières, car personne n’est exclu de l’amour du Christ. Les Rois Mages ont été les précurseurs des gentils; mais, la Rédemption consommée, il n’y a plus désormais ni juif, ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme; il n’existe de discrimination d’aucun type, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.
Nous autres chrétiens, nous ne pouvons être exclusifs, ni séparer ou classer les âmes; beaucoup viendront d’Orient et d’Occident. Dans le Cœur du Christ, il y a de la place pour tous. Ses bras – nous en avons un exemple admirable dans la crèche – sont ceux d’un Enfant, mais ce sont les mêmes qui, étendus sur la croix, attireront tous les hommes.
Une dernière pensée pour notre Père et Seigneur saint Joseph, l’homme juste, qui, dans la scène de l'Épiphanie, est une fois de plus passé inaperçu. Je l’imagine recueilli dans la contemplation, protégeant avec amour l’Enfant Dieu qui, fait Homme, a été confié à ses soins paternels. Avec la merveilleuse délicatesse de celui qui ne pense pas à lui-même, le saint Patriarche se dépense dans un service aussi silencieux qu’efficace.
Nous avons parle aujourd’hui de vie de prière et de désir d’apostolat. Quel meilleur maître que saint Joseph? Si vous voulez un conseil, voici celui que je prodigue inlassablement depuis des années: Ite ad Ioseph, allez à saint Joseph. Il vous montrera des chemins concrets, des moyens humains et divins d’approcher Jésus. Et, comme il l’a fait, vous irez porter dans vos bras, embrasser, vêtir, soigner cet Enfant-Dieu qui nous est né. Avec l’hommage de leur vénération, les Mages offrirent à Jésus de l’or, de l’encens et de la myrrhe; Joseph, lui, a donné tout entier son cœur, jeune et plein d’amour.
39 L'Église tout entière reconnaît en saint Joseph son protecteur et son patron. On a parlé de lui tout au long des siècles, en soulignant divers aspects d’une vie de fidélité continuelle à la mission que Dieu lui avait confiée. C’est pourquoi, depuis bien des années, il me plaît de l’invoquer sous le titre affectueux de Notre Père et Seigneur.
Saint Joseph est vraiment Père et Seigneur. Il protège et accompagne dans leur chemin sur terre ceux qui le vénèrent, comme il a protégé et accompagné Jésus enfant et adolescent. En le connaissant mieux, on découvre que le saint Patriarche est aussi maître de la vie intérieure, car il nous apprend à connaître Jésus, à vivre avec Lui, et nous fait découvrir que nous appartenons à la famille de Dieu. Tout cela, saint Joseph nous l’apprend en étant un homme ordinaire comme il le fut, un père de famille, un travailleur qui gagnait sa vie à la sueur de son front; et cela aussi a un sens, un sens qui nous fait réfléchir et nous remplit de joie.
En célébrant aujourd’hui sa fête, je veux évoquer son visage et rappeler ce que l'Évangile nous dit de lui, afin de mieux découvrir ce que Dieu nous transmet à travers la vie pleine de simplicité de l'Époux de sainte Marie.
40 Saint Matthieu et saint Luc nous parlent de saint Joseph comme d’un homme qui descendait d’une lignée illustre: celle de David et Salomon, rois d’Israël. Historiquement, les détails de cette ascendance sont quelque peu confus. Des deux généalogies rapportées par les évangélistes, nous ne savons quelle est celle qui revient à Marie – Mère de Jésus selon la chair – et celle qui revient à saint Joseph, qui était son père selon la loi juive. Nous ne savons pas non plus si la ville natale de Joseph était Bethléem, où il alla se faire recenser, ou Nazareth, où il a vécu et travaillé.
Nous savons, par contre, qu’il n’était pas riche: c’était un travailleur comme des millions d’autres hommes du monde entier. Il exerçait l’humble métier que Dieu avait choisi pour Lui-même, lorsqu’Il prit notre chair et voulut vivre pendant trente ans comme l’un d’entre nous.
La Sainte Écriture nous dit que Joseph était artisan; plusieurs Pères de l'Église ajoutent qu’il était charpentier, et saint Justin, en parlant de la vie de travail de Jésus, affirme qu’il faisait des charrues et des jougs. C’est peut-être en se fondant sur ces dires que saint Isidore de Séville en conclut qu’il était forgeron. De toute façon, c’était un artisan qui travaillait au service de ses concitoyens et dont l’habileté était le fruit d’années de durs efforts.
La forte personnalité humaine de Joseph se détache des récits évangéliques: il n’apparaît jamais comme un homme timide ou craintif devant la vie; il sait au contraire faire face aux problèmes, sortir des situations difficiles et assumer avec responsabilité et initiative les taches qui lui sont confiées.
Je ne suis pas d’accord avec l’iconographie classique qui représente saint Joseph comme un vieillard, même si elle s’explique par l’excellente intention de mettre en valeur la virginite perpétuelle de Marie. Moi, le me l’imagine jeune, fort, avec quelques années de plus que la Vierge peut-être, mais dans la plénitude de l’âge et des forces humaines.
Pour vivre la vertu de la chasteté, il n’est pas nécessaire d’attendre d’erre vieux ou de manquer de force. La chasteté naît de l’amour et, pour un amour pur, la force et la joie de la jeunesse ne sont pas un obstacle. Saint Joseph était jeune, de cœur et de corps, quand il épousa Marie, quand il connut le mystère de sa Maternité divine et vécut près d’Elle, en respectant l’intégrité que Dieu voulait léguer au monde comme un signe de plus de sa venue parmi les créatures. Qui ne sait pas comprendre un tel amour est bien ignorant de ce qu’est l’amour véritable, et méconnaît le sens chrétien de la chasteté.
Joseph, nous l’avons dit, était un artisan de Galilée, un homme comme tant d’autres. Et que petit attendre de la vie un habitant d’un village perdu comme Nazareth? Rien d’autre que le travail, jour après jour, et toujours avec le même effort; et, à la fin de la journée, une maison petite et pauvre, pour y refaire ses forces et recommencer sa tâche le jour suivant.
Mais Joseph, en hébreu, signifie Dieu ajoutera. Dieu ajoute à la vie sainte de ceux qui accomplissent sa volonté des dimensions insoupçonnées: l’important, ce qui donne valeur à toute chose, le divin. A la vie humble et sainte de Joseph, Dieu ajoutera, si je puis dire, la vie de la Vierge Marie et celle de Jésus Notre Seigneur. Dieu ne se laisse jamais gagner en générosité. Joseph pouvait faire siennes les paroles de Sainte Marie, son Épouse, quia fecit mihi magna qui potens est: le Tout-Puissant a fait en moi des merveilles, quia respexit humilitatem, car il a remarqué ma petitesse.
Joseph était en effet un homme ordinaire, auquel Dieu fit confiance pour accomplir de grandes choses. Il sut vivre comme le Seigneur le lui demandait tous les événements qui composèrent sa vie, et c’est pourquoi la Sainte Écriture loue Joseph en disant qu’il était juste. Pour un Hébreu, juste veut dire pieux, serviteur irréprochable de Dieu, fidèle à la volonté divine;
d’autres fois, juste veut dire bon et charitable avec le prochain En un mot, le juste est celui qui aime Dieu et démontre cet amour en accomplissant ses commandements au service de ses frères, les hommes.
41 La justice n’est pas simple soumission à une règle. La droiture doit naître de l’intérieur, elle doit être profonde et source de vie, car le juste vit de la foi. Vivre de la foi! Saint Joseph a accompli pleinement ces mots, qui furent si souvent par la suite thème de méditation pour l’apôtre Paul. Il accomplit la volonté de Dieu sans routine ni formalisme, avec spontanéité et profondeur. La loi qu’observait tout juif pratiquant ne fut pas seulement pour lui un code ou un froid recueil de préceptes, mais l’expression de la volonté du Dieu vivant. Aussi sut-il reconnaître la voix du Seigneur quand elle se manifesta à lui de façon surprenante et inattendue.
Car l’histoire du saint Patriarche est celle d’une vie simple, mais non d’une vie facile. Il apprend, après des moments d’angoisse, que le Fils de Marie a été conçu du Saint-Esprit. Et cet enfant, le Fils de Dieu, descendant de David selon la chair, naît dans une grotte; des anges célèbrent sa naissance et de grands personnages viennent de terres lointaines pour l’adorer, mais le roi de Judée veut sa mort et il le fait fuir. Le Fils de Dieu est en apparence un enfant sans défense, qui va vivre en Égypte.
42 En rapportant ces faits dans son Évangile, saint Matthieu ne cesse de mettre en relief la fidélité de Joseph, qui accomplit sans hésiter ce que Dieu lui ordonne, bien que parfois le sens en ait pu lui paraître obscur et qu’il n’en voie pas le rapport avec le reste des plans divins.
Les auteurs spirituels et les Pères de l'Église ont mis en valeur, à bien des reprises, la fermeté de sa foi. En faisant allusion aux paroles de l’ange, qui ordonne à Joseph de fuir Hérode et de se réfugier en Égypte, Jean Chrysostome commente: A ces mots, Joseph ne s’étonna point ni ne s’exclama: c est à n’y rien comprendre! Tu annonçais Toi-même, il n’y a pas longtemps, qu’Il sauverait son peuple, et maintenant voilà qu’Il n’est pas capable de se sauver lui-même et que nous devons fuir, nous mettre en route et supporter un long voyage; ce n’est pas là ce que tu m’avais promis. Joseph ne parle pas ainsi, car c’est un homme fidèle. Il ne demande pas non plus l’époque du retour, bien que l’ange ne l’ait pas précisée quand il lui a dit: reste là-bas – en Égypte –jusqu’à ce que je te le dise. Et, sans se créer de difficultés pour autant, il obéit, il croit, et supporte avec joie toutes les épreuves.
La foi de Joseph ne chancelle pas, son obéissance est toujours stricte et prompte. Pour mieux comprendre la leçon que nous donne ici le saint Patriarche, il est bon que nous considérions combien sa foi est active, et combien son obéissance ressemble peu à celle d’un homme dépassé par les événements. Car la foi chrétienne s’oppose radicalement au conformisme ou à la passivité et à l’inertie intérieures.
Joseph s’abandonna sans réserve entre les mains de Dieu, mais il ne refusa jamais de chercher à comprendre le sens des événements: aussi put-il obtenir du Seigneur ce qui est la véritable sagesse, le don d’intelligence des œuvres de Dieu. Il apprit ainsi que les plans surnaturels ont une cohérence divine, parfois en contradiction avec les plans humains.
Le Patriarche ne renonce pas à penser, dans les diverses circonstances de sa vie; il n’abandonne pas non plus ses responsabilités; il met au contraire toute son expérience humaine au service de sa foi. Quand il revint d'Égypte, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y rendre. Il a appris à agir selon le plan divin et, pour confirmer que ce qu’il entrevoit est la volonté de Dieu, il reçoit l’indication de se retirer en Galilée.
Telle fut la foi de saint Joseph: totale, confiante, entière; elle se manifeste par une obéissance intelligente et une soumission active à la volonté de Dieu. Et, avec la foi, la charité, l’amour. Sa foi se confond avec l’amour: avec l’amour de Dieu, qui était en train d’accomplir les promesses faites à Abraham, à Jacob et à Moïse; avec son affection d’époux envers Marie, avec son affection de père envers Jésus. Foi et amour, dans l’espérance de la grande mission que Dieu, en se servant aussi de lui, charpentier de Galilée, entreprenait dans le monde: la Rédemption des hommes.
43 Foi, amour et espérance: tels sont les axes de la vie de saint Joseph et ceux de toute vie chrétienne. Un amour fidèle, une foi aimante, une espérance pleine de confiance, semblent constituer la trame de la générosité de saint Joseph. C’est pourquoi sa fête est une bonne occasion pour nous de renouveler notre don dans cette vocation chrétienne, que le Seigneur a donnée à chacun d’entre nous.
Quand on désire sincèrement vivre de foi, d’amour et d’espérance, renouveler ce don n’est pas reprendre quelque chose qui était tombé en désuétude. Quand il y a foi, amour et espérance, se renouveler, c’est se maintenir entre les mains de Dieu, malgré les erreurs personnelles, les chutes et les faiblesses; c’est confirmer un chemin de fidélité: renouveler le don c’est, je le répète, renouveler la fidélité à ce que le Seigneur nous demande: c’est aimer avec des œuvres.
L’amour a nécessairement des manifestations qui lui sont propres. On parle parfois d’amour comme si c’était un élan vers l’auto-satisfaction ou un simple moyen de compléter égoïstement sa personnalité Ce n’est pas cela! L’amour vrai, c’est sortir de soi, c’est se donner L’amour apporte la joie, mais c’est une joie dont les racines sont en forme de croix. Tant que nous sommes sur terre, et que nous ne sommes pas encore parvenus à la plénitude de la vie future, il ne peut y avoir d’amour véritable sans l’expérience du sacrifice et de la douleur; une douleur qui se savoure, qui est aimable, qui est la source d’une joie intime, mais une douleur réelle, car elle suppose la victoire sur l’égoïsme et que nous prenions l’amour pour règle absolue de toutes nos actions.
44 Les œuvres de l’Amour sont toujours grandes, même s’il s’agit de choses qui semblent de peu d’importance. Dieu s’est approche de nous, les hommes, pauvres créatures que nous sommes, et Il nous a dit qu’Il nous aimait: Deliciæ meæ esse cum filiis hominum, mes délices sont d’être parmi les enfants des hommes. Le Seigneur nous apprend que tout a de l’importance: les actions que notre vision humaine nous fait juger grandes, ou celles pour lesquelles, en revanche, nous avons peu d’estime. Rien ne se perd. Dieu ne méprise personne. Tous les hommes, dans l’accomplissement de leur vocation, que ce soit dans leur foyer, dans leur profession, dans la réalisation de leur devoir d’état ou dans l’exercice de leurs droits, sont appelés à participer au Royaume des cieux.
C’est cela que nous apprend la vie de saint Joseph: cette vie simple, normale et ordinaire, faite d’années de travail toujours pareilles, de journées humainement monotones, qui se succèdent les unes aux autres. Je l’ai pensé bien souvent en méditant sur la figure de saint Joseph, et c’est une des raisons pour lesquelles je ressens pour lui une dévotion spéciale.
Lorsque, dans le discours de clôture de la première session du Concile Vatican II, le 8 décembre 1962, le Saint Père Jean XXIII annonça que l’on ferait mention de saint Joseph dans le canon de la Messe, une très haute personnalité ecclésiastique m’appela aussitôt par téléphone pour me dire: Rallegramenti! Félicitations! en apprenant cette nouvelle, j’ai pense tout de suite à vous, à la joie qu’elle a dû vous procurer. Et c’était vrai: car dans l’assemblée conciliaire, qui représente l'Église entière réunie dans l’Esprit Saint, avait été proclamée l’immense valeur surnaturelle de la vie de saint Joseph, la valeur d’une simple vie de travail face à Dieu, dans l’accomplissement total de la volonté divine.
45 En décrivant l’esprit de l’Opus Dei, à qui j’ai consacré ma vie, j’ai dit qu’il se fonde sur le travail ordinaire, sur le travail professionnel exercé au milieu du monde, comme sur un pivot Notre vocation divine nous confère une mission et nous invite à participer à la tache unique de l'Église porter témoignage du Christ devant les hommes et ramener toute chose à Dieu.
La lumière que nous donne la vocation nous fait reconnaître le sens de notre existence. C’est la conviction, avec la splendeur de la foi, de la raison d’être de notre réalité terrestre. Notre vie tout entière, présente, passée, future, acquiert un nouveau relief et une profondeur auparavant insoupçonnée. Tous les faits, tous les événements, occupent maintenant leur véritable place: nous comprenons où le Seigneur veut nous conduire et nous nous sentons comme entraînes par cette charge qui nous est confiée.
Dieu nous tire des ténèbres de l’ignorance, de notre marche incertaine livrée aux hasards de l’histoire, et, quelle que soit notre place dans le monde, Il nous appelle d’une voix forte, comme Il appela un jour Pierre et André: Venite post me, et faciam vos fieri piscatores hominum, suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes.
Celui qui vit de foi peut rencontrer des difficultés, la lutte, la douleur, l’amertume même, mais jamais le découragement ni l’angoisse, car il sait que sa vie est utile, il sait pourquoi il est venu sur terre. Ego sum lux mundi – a affirmé le Christ –; qui sequitur me non ambulat in tenebris, sed habebit lumen vitae Je suis la lumière du monde; qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie.
Pour mériter de Dieu cette lumière, il faut aimer, avoir l’humilité de reconnaître que nous avons besoin d’être sauvés, et dire avec Pierre: Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de vie éternelle. Nous croyons, nous, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. Si telle est vraiment notre conduite, si nous laissons l’appel de Dieu pénétrer en nos cœurs, nous pourrons aussi vraiment répéter que nous ne marchons pas dans les ténèbres, car au-delà de nos misères et de nos défauts, brille la lumière de Dieu comme le soleil sur la tempête.
46 Notre foi et notre vocation de chrétiens déterminent entièrement, et pas en partie seulement, notre existence. Nos relations avec Dieu sont nécessairement des relations de générosité, et elles assument un sens plénier. L’attitude de l’homme de foi est de considérer la vie, avec toutes ses dimensions, dans une perspective nouvelle, qui est celle que Dieu nous donne.
Vous, qui célébrez avec moi aujourd’hui cette fête de saint Joseph, vous exercez diverses professions, vous formez différents foyers, vous êtes de nations, de races, de langues très variées. Vous vous êtes formes sur les bancs d’un collège, dans une usine ou un bureau, vous avez exercé pendant des années votre profession, vous avez noué des relations de travail et d’amitié avec vos compagnons, vous avez contribué à résoudre les problèmes communs de votre entreprise et de la société dans laquelle vous vivez.
Eh bien, je vous rappelle, une fois de plus, que tout ceci n’est pas étranger au plan divin. Votre vocation humaine est une partie, et une partie importante, de votre vocation divine. C’est pourquoi vous devez vous sanctifier, en aidant en même temps à la sanctification des autres, vos égaux, en sanctifiant précisément votre travail et votre milieu: cette profession ou ce métier qui occupe vos journées, qui donne à votre personnalité humaine sa physionomie particulière, qui est votre manière d’être dans le monde, ce foyer, cette famille qui est la vôtre, ce pays où vous êtes nés et que vous aimez.
47 Le travail est l’inévitable compagnon de la vie de l’homme sur terre. Il s’accompagne d’effort, de lassitude, de fatigue, manifestations de la douleur et de la lutte, qui font partie de notre vie présente et qui sont les signes de la réalité du péché et de la nécessité de la Rédemption. Mais le travail en soi n’est ni peine, ni malédiction, ni châtiment. Ceux qui le prétendent n’ont pas bien lu la Sainte Écriture.
Il est temps que nous, les chrétiens, nous proclamions bien haut que le travail est un don de Dieu, et qu’il n’est pas sensé de diviser les hommes en diverses catégories selon le travail qu’ils réalisent, en considérant certaines tâches plus nobles que d’autres. Le travail – tout travail – est témoignage de la dignité de l’homme et de son emprise sur la création. C’est une occasion de perfectionner sa personnalité. C’est un lien qui nous unit aux autres êtres, une source de revenus pour assurer la subsistance de sa famille, un moyen de contribuer à l’amélioration de la société et au progrès de l’humanité tout entière.
Pour un chrétien, ces perspectives s’élargissent et s’amplifient, car le travail lui apparaît comme une participation à l’œuvre créatrice de Dieu, qui, en créant l’homme, le bénit en lui disant: Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la; dominez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et tous les animaux qui rampent sur la terre. Car, pour avoir été assumé par le Christ, le travail nous apparaît comme une réalité qui a été rachetée à son tour. Ce n’est pas seulement le cadre de la vie de l’homme, mais un moyen et un chemin de sainteté, une réalité qui sanctifie et que l’on peut sanctifier.
48 Il convient donc de ne pas oublier que la dignité du travail se fonde sur l’Amour. Le grand privilège de l’homme est de pouvoir aimer et dépasser ainsi l’éphémère et le transitoire. L’homme peut aimer les autres créatures, prononcer un tu et un je qui ont un sens, et il peut aimer Dieu, qui nous ouvre les portes du ciel, qui nous fait membres de sa famille, et qui nous autorise à Lui parler personnellement, face à face.
C’est pourquoi l’homme ne peut se limiter à faire des choses, à fabriquer des objets. Le travail naît de l’amour, manifeste l’amour et s’ordonne à l’amour. Nous reconnaissons Dieu, non seulement dans le spectacle que nous offre la nature, mais aussi dans l’expérience de notre travail et de notre effort. Le travail est ainsi prière, action de grâces, parce que nous savons que c’est Dieu qui nous a placés sur terre, nous savons qu’Il nous aime et que nous sommes les héritiers de ses promesses. Il est juste qu’Il nous dise: Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu.
49 Le travail professionnel est aussi apostolat, occasion de se donner aux autres hommes pour leur révéler le Christ et les mener vers Dieu le Père, ce qui n’est qu’une conséquence de la charité que le Saint-Esprit répand dans nos âmes. Parmi les indications que donne Paul aux Ephésiens, sur la manière dont doit se manifester le changement que leur conversion, leur appel au christianisme, a supposé pour eux, nous trouvons celle-ci: que celui qui volait ne vole plus; qu’il prenne plutôt la peine de travailler de ses mains, de façon à pouvoir faire le bien en secourant les nécessiteux. Les hommes ont besoin du pain de la terre pour les nourrir, mais aussi du pain du ciel pour illuminer et réchauffer leur cœur. Dans votre travail, dans les initiatives qui en découlent, dans vos conversations, dans vos relations, vous pouvez et vous devez réaliser ce précepte d’apostolat.
Si nous travaillons dans cet esprit, notre vie, malgré toutes les limitations propres à la condition terrestre, sera une anticipation de la gloire au ciel, de cette communion avec Dieu et avec les saints où régneront seulement l’amour, la générosité, la fidélité, l’amitié et la joie Vous trouverez, dans vos occupations professionnelles ordinaires, le matériau réel, consistant et solide, qui vous permettra de réaliser toute votre vie chrétienne, et d’actualiser la grâce qui nous vient du Christ.
Dans cette tâche professionnelle, réalisée devant Dieu, interviendront la foi, l’espérance et la charité. Ses incidences, les relations avec les problèmes que comporte le travail, alimenteront votre prière. Votre effort pour mener à bien votre occupation ordinaire sera une occasion de porter cette Croix, essentielle pour le chrétien. L’expérience de votre faiblesse, les échecs qui accompagnent tout effort humain, vous donneront plus de réalisme, plus humilité, plus de compréhension envers les autres. Les succès et les joies vous inviteront à rendre grâce, et à penser que vous ne vivez pas pour vous, mais pour servir Dieu et les autres.
50 Pour vivre ainsi, pour sanctifier sa profession, il faut avant tout bien travailler, avec tout le sérieux humain et surnaturel nécessaire. Je veux vous rappeler maintenant, par contraste, ce que raconte l’un des anciens récits des évangiles apocryphes: Le père de Jésus, qui était charpentier, fabriquait des socs et des jougs. Un jour –continue le récit –, on lui commanda un lit pour une personne de haute condition. Mais il se trouva que l’un des cotés était plus court que l’autre, et Joseph ne savait que faire. Alors, l’Enfant Jésus dit à son père: Mets les deux bouts de bois par terre, au même niveau. Joseph fit ainsi. Jésus se mit de l’autre coté, prit le bois le plus court et l’étira à la même longueur que l’autre. A la vue du prodige, Joseph, son père, s’émerveilla, et serrant l’Enfant dans ses bras, le couvrit de baisers en disant: Que je suis heureux que Dieu m’ait donne cet Enfant.
Joseph n’a pas dû rendre grâce pour cela, car son travail ne pouvait être ainsi. Il n’est pas l’homme des solutions faciles et miraculeuses, mais de la persévérance, de l’effort et, si besoin est, de l’ingéniosité. Le chrétien sait que Dieu fait des miracles: qu’Il en a fait il y a des siècles, qu’Il a continué ensuite et qu’Il continue encore maintenant à en faire, car non est abreviata manus Domini, le pouvoir de Dieu n’a pas diminue.
Mais les miracles sont une manifestation de la toute-puissance salvatrice de Dieu, non un expédient pour réparer les conséquences de notre incompétence ou pour faciliter la commodité. Le miracle que vous demande le Seigneur c’est de persévérer dans votre vocation divine de chrétien, c’est de sanctifier le travail de chaque jour: le miracle de transformer en alexandrins, en vers héroïques, la prose de chaque jour, avec l’amour que vous mettez dans vos occupations habituelles. C’est là que Dieu vous attend. Il attend que vous soyez des âmes responsables, remplies de l’ardent désir de faire de l’apostolat, et compétentes dans leur travail.
C’est pourquoi je puis vous indiquer, pour votre travail, cette devise: pour servir, servir. Parce que, pour faire les choses, il faut d’abord savoir les achever. Je ne crois pas en la droiture d’intention d’une personne qui ne s’efforce pas d’acquérir la compétence nécessaire pour bien accomplir les tâches qui lui ont été confiées. Il ne suffit pas de vouloir faire le bien, il faut d’abord savoir le faire. Et si nous le voulons vraiment, ce désir se traduira par un souci d’employer les moyens adéquats pour atteindre au fini, à la perfection humaine, dans ce que nous faisons.
51 Mais ce service humain, cette capacité que l’on pourrait appeler technique, cette compétence dans le travail, doivent aussi être renforcés par un trait qui fut fondamental dans le travail de saint Joseph, et qui devrait l’être chez tout chrétien: l’esprit de service, le désir de travailler pour contribuer au bien des autres. Saint Joseph ne cherchait pas dans sa tache une occasion de s’affirmer, bien que sa consécration à une vie de travail ait forgé en lui une personnalité mûre et bien dessinée. En travaillant, le Patriarche avait conscience d’accomplir la volonté de Dieu; il pensait aux siens, à Jésus et à Marie, et il avait présent à l’esprit le bien de tous les habitants de la petite ville de Nazareth.
A Nazareth, Joseph devait être l’un des rares artisans, s’il n’était pas le seul. Charpentier, probablement; mais, comme il arrive habituellement dans les petits villages, il devait réaliser d’autres taches: remettre en marche le moulin en panne, ou réparer les fissures d’un toit avant l’hiver.
Sans aucun doute, Joseph, grâce à un travail soigné, tirait d’embarras bien des gens. Son travail professionnel avait pour but de servir et de rendre la vie agréable aux autres familles du village; il s’accompagnait d’un sourire, d’un mot aimable, d’un commentaire, fait comme en passant, mais qui rendait la foi et la joie à ceux qui étaient sur le point de les perdre.
52 Parfois, quand il s’agissait de personnes plus pauvres que lui, Joseph devait accepter pour salaire quelque chose de peu de valeur, qui pût laisser aux autres la satisfaction de penser qu’ils l’avaient payé. Joseph devait demander, normalement, ce qui était raisonnable, ni plus ni moins; il devait savoir exiger ce qui, en justice, lui était dû, car erre fidèle à Dieu ne suppose pas de renoncer à des droits qui sont en réalité des devoirs: Joseph devait demander ce qui lui revenait, car c’était du fruit de ce travail qu’il nourrissait la famille que Dieu lui avait confiée.
La volonté d’exiger ce qui vous est dû ne doit pas provenir de l’égoïsme et de l’individualisme. On n’aime pas la justice si l’on n’aime pas que les autres, eux aussi, en bénéficient. Et il n’est pas juste non plus de s’enfermer dans une religiosité commode et d’oublier les besoins d’autrui. Celui qui désire être juste aux yeux de Dieu, fait tout pour que la justice se réalise parmi les hommes, non seulement pour ne pas laisser bafouer le nom de Dieu, mais aussi parce que être chrétien veut dire assumer toutes les nobles aspirations que l’on trouve dans le cœur de l’homme. En paraphrasant un texte célèbre de l’apôtre Jean, on peut dire que celui qui se dit juste envers Dieu, sans l’être envers les autres hommes, est un menteur, et que la vérité n’est pas en lui.
Comme tous les chrétiens qui ont vécu ce moment, j 1 ai accueilli avec émotion et joie l’institution de la fête liturgique de saint Joseph ouvrier. Cette fête, qui est comme une canonisation de la valeur divine du travail, montre comment l'Église, dans sa vie collective et publique, se fait l’écho des vérités fondamentales de l'Évangile que Dieu veut nous faire méditer tout spécialement aujourd’hui.
53 Nous en avons déjà beaucoup parlé, en d’autres occasions, mais laissez-moi insister de nouveau sur le naturel et la simplicité de la vie de saint Joseph, qui ne s’isolait pas de ses concitoyens, ni ne dressait autour de lui d’inutiles barrières.
C’est pourquoi, bien que cela soit utile peut-être à certains moments ou dans certaines circonstances, le n’aime pas d’ordinaire parler d’ouvriers catholiques, d’ingénieurs catholiques ou de médecins catholiques, comme s’il s’agissait d’espèces à l’intérieur d’un genre, comme si les catholiques formaient un petit groupe à l’écart des autres! Car c’est créer l’impression qu’il y a un fossé entre les chrétiens et le reste de l’humanité Je respecte l’opinion contraire, mais je trouve plus exact de parler d’ouvriers qui sont catholiques, ou de catholiques qui sont ouvriers; d’ingénieurs qui sont catholiques, ou de catholiques qui sont ingénieurs. Car un homme qui a la foi, et qui exerce une profession intellectuelle, technique ou manuelle, est et se sent uni aux autres, avec les mêmes devoirs, avec le même désir de s’améliorer, avec la même soif d’affronter les mêmes problèmes et d’en trouver la solution.
Le catholique, en assumant tout cela, saura faire de sa vie quotidienne un témoignage de foi, d’espérance et de charité, un témoignage normal et simple, qui n’a pas besoin de manifestations voyantes. Il mettra ainsi en relief, par la cohérence de sa vie, la présence constante de l'Église dans le monde, puisque tous les catholiques sont eux-mêmes l'Église car ils sont de plein droit membres de l’unique peuple de Dieu.
54 Depuis longtemps déjà, J’aime réciter une émouvante prière à saint Joseph, que l'Église elle-même nous propose dans les oraisons préparatoires à la messe: Joseph, homme bienheureux et fortuné, à qui il fut concédé de voir et d’entendre le Dieu que de nombreux rois voulurent voir et entendre et n’ont ni vu ni entendu, et non seulement de Le voir et de L’entendre, mais aussi de Le porter dans tes bras, de L’embrasser, de Le vêtir et de veiller sur Lui: prie pour nous. Cette prière nous servira de préambule pour le dernier thème que je vais aborder aujourd’hui: les rapports ineffables de Joseph avec Jésus.
Pour saint Joseph, la vie de Jésus fut une continuelle découverte de sa propre vocation. Nous rappelions tout à l’heure ses premières années, pleines de circonstances contradictoires en apparence: glorification et fuite, majesté des Mages et pauvreté de la crèche, cantique des anges et silence des hommes. Quand arrive le moment de présenter l’Enfant au Temple, Joseph, qui apporte la modeste offrande d’un couple de tourterelles, voit comment Siméon et Anne proclament que Jésus est le Messie: Son père et sa mère écoutaient avec admiration, dit saint Luc. Plus tard, lorsque l’Enfant demeure dans le Temple sans que Marie ni Joseph le sachent, le même évangéliste nous rapporte qu’ils s’émerveillèrent, en le retrouvant après trois jours de recherche.
Joseph est surpris, il s’étonne. Peu à peu, Dieu lui révèle ses desseins, et il s’efforce de les comprendre. Comme toute âme qui veut suivre Jésus de près, il découvre tout de suite qu’il n’est pas possible de marcher avec nonchalance, qu’il n’y a pas de place pour la routine. S’arrêter à un certain niveau et se reposer sur ses lauriers ne satisfait pas Dieu. Il exige sans cesse davantage, et ses voies ne sont pas les nôtres.
Saint Joseph a appris de Jésus, comme jamais aucun homme ne l’a fait, à ouvrir son âme et son cœur, et à se maintenir en éveil pour reconnaître les merveilles de Dieu.
55 Mais si Joseph a appris de Jésus à vivre de manière divine, je me permettrai de dire que, sur le plan humain, c’est lui qui a enseigné beaucoup de choses au Fils de Dieu. Le titre de père putatif, sous lequel on désigne parfois saint Joseph, ne me plaît pas, car il risque de faire penser que les relations entre Joseph et Jésus étaient froides et superficielles. Notre foi, certes, nous dit qu’il n’était pas son père selon la chair. Mais cette paternité n’est pas la seule.
On doit non seulement donner à Joseph le nom de père – lisons-nous dans un sermon de saint Augustin – mais on doit le lui donner plus qu’à tout autre. Et il ajoute. Comment était-il père? Sa paternité était d’autant plus profonde qu’elle était plus chaste. Certains pensaient qu’il était le père de Notre Seigneur Jésus Christ de la même façon que le sont les autres, qui engendrent selon la chair, et ne reçoivent pas leurs enfants seulement comme fruits de leurs sentiments. D’où ces mots de saint Luc: on pensait qu’il était le père de Jésus. Pourquoi dit-il seulement qu’on le pensait? Parce que la pensée et le jugement humains se réfèrent à ce qui arrive d’ordinaire chez les hommes. Et le Seigneur n’est pas né de la semence de Joseph; et pourtant, de sa piété et de son amour, Joseph eut un fils de la Vierge Marie, qui était le Fils de Dieu.
Joseph a aimé Jésus comme un père son fils, et il prit soin de Lui, en Lui donnant ce qu’il avait de meilleur. Joseph s’occupa de cet Enfant comme il lui avait été ordonné, et fit de Jésus un artisan, en Lui transmettant son métier; c’est pourquoi, les voisins de Nazareth allaient parler de Jésus en l’appelant indistinctement faber ou fabri filius, l’artisan ou le fils de l’artisan. Jésus a travaillé avec Joseph, dans son atelier. Comment devait être Joseph, et comment la grâce avait dû agir en lui, pour qu’il fût capable de mener à bien la tâche d’éduquer, sur le plan humain, le Fils de Dieu?
Car Jésus devait ressembler à Joseph, par les traits de son caractère, par sa façon de travailler et de parler. Dans son réalisme, dans son esprit d’observation, dans sa manière de s’asseoir à table et de partager le pain, dans son goût pour exposer la doctrine d’une manière concrète, en prenant pour exemple les choses de la vie ordinaire, se reflète ce que furent l’enfance et la jeunesse de Jésus, ce que furent par conséquent ses rapports avec Joseph.
On ne peut méconnaître la sublimité du mystère Ce Jésus qui est un homme, qui parle avec l’accent d’une région déterminée d’Israël, qui ressemble à un artisan nommé Joseph, est bien le Fils de Dieu. Et qui peut apprendre quelque chose à Dieu?
Cependant Il est vraiment homme, et sa vie est normale: un enfant d’abord, un jeune homme ensuite, qui aide dans l’atelier de Joseph, et enfin un homme mûr, dans la plénitude de l’âge: Jésus croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes.
56 Joseph fut, sur le plan humain, le maître de Jésus. Il l’a entouré, jour aptes jour, d’une affection délicate, il a pris soin de Lui avec une abnégation joyeuse. N’est-ce pas là une bonne raison pour considérer cet homme juste, ce saint Patriarche, en qui culmine la foi de l’Ancienne Alliance, comme un maître de vie intérieure? La vie intérieure n’est rien d’autre qu’un rapport assidu et intime avec le Christ pour nous identifier à Lui. Et Joseph saura nous dire bien des choses de Jésus! C’est pourquoi, vous ne devez jamais négliger de le fréquenter: Ite ad Joseph, comme l’a répété la tradition chrétienne par une phrase de l’Ancien Testament.
Maître de vie intérieure, travailleur acharné à sa tache, serviteur fidèle de Dieu, en relation constante avec Jésus, tel fut Joseph. Ite ad Joseph. Avec Saint Joseph, le chrétien apprend ce que signifie être de Dieu, et être pleinement parmi les hommes en sanctifiant le monde. Allez à Joseph, et vous rencontrerez Jésus. Allez à Joseph, et vous rencontrerez Marie, qui a toujours rempli de paix l’attachant atelier de Nazareth.
57 Nous voici entrés dans le temps du Carême: temps de pénitence, de purification, de conversion. Ce n’est pas là une tache aisée. Le christianisme n’est pas un chemin commode: il ne suffit pas d’être dans l'Église et de laisser passer les années. Dans notre vie, dans la vie des chrétiens, la première conversion est importante – ce moment unique, dont chacun se souvient, où l’on découvre clairement tout ce que nous demande le Seigneur; mais plus importantes encore, et plus difficiles, se révèlent les conversions suivantes. Et pour faciliter l’action de la grâce divine à travers les conversions postérieures, il faut garder une âme jeune, invoquer le Seigneur, savoir écouter, avoir découvert ce qui ne va pas, demander pardon.
Invocabit me et ego exaudiam eum, lisons-nous dans la liturgie de ce dimanche: si vous recourez à moi, dit le Seigneur, je vous écouterai. Considérez un instant cette merveilleuse sollicitude de Dieu à notre égard, de ce Dieu toujours disposé à nous écouter, attentif en permanence à la parole de l’homme. En tout temps – mais spécialement maintenant, parce que notre cœur est bien disposé, décidé à se purifier –,
Il nous écoute, et Il ne négligera pas le voeu d’un cœur contrit et humilie.
Oui, le Seigneur nous écoute pour intervenir, pour entrer dans notre vie, pour nous libérer du mal et nous combler de bien: eripiam eum et glorificabo eum, Je le libérerai et le glorifierai, dit-Il de l’homme. Espérance de gloire, par conséquent, et nous avons là, une fois de plus, le point de départ de ce mouvement intime qu’est la vie spirituelle. L’espérance de cette glorification renforce notre loi et stimule notre charité. Ainsi se sont mises en mouvement les trois vertus théologales, ces vertus divines qui nous rendent semblables à Dieu notre Père.
58 Qui habitat in adiutorio Altissimi, in protectione Dei cœli commorabitur, habiter sous la protection de Dieu, vivre avec Dieu: telle est la sécurité «risquée »du chrétien. Il nous faut être réellement persuadés que Dieu nous entend, qu’Il est à l’écoute de nos besoins: alors notre cœur se remplira de paix. Pourtant, vivre avec Dieu, c’est indubitablement un risque, parce que le Seigneur ne se contente pas d’un partage: Il veut tout. S’approcher un peu plus de Lui, signifie être disposé à une nouvelle conversion, à un nouveau redressement, être disposé à écouter plus attentivement ses inspirations, les saints désirs qu’Il fait jaillir dans notre âme, et à les mettre en pratique.
Depuis notre première décision consciente de vivre, dans toute son intégralité, la doctrine du Christ, nous avons sûrement beaucoup avancé sur le chemin de la fidélité à sa Parole. Et pourtant, n’est-il pas vrai qu’il reste encore beaucoup à faire? N’est-il pas vrai qu’il nous reste surtout trop d’orgueil? Nous avons besoin, sans aucun doute, d’une nouvelle conversion, d’une loyauté plus entière, d’une humilité plus profonde, pour que le Christ croisse en nous et que notre égoïsme diminue, puisque illum oportet crescere, me autem minui, il faut que Lui grandisse et que moi je diminue.
Il n’est pas possible de rester immobiles. Nous devons avancer vers le but que saint Paul nous indiquait: Si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi. Haute et noble ambition que cette identification avec le Christ, qui suppose la sainteté. Mais il n’y a pas d’autre chemin si l’on désire être cohérent avec la vie divine que Dieu a fait naître dans notre âme par le baptême. Avancer, c’est progresser en sainteté; reculer, c’est se refuser au développement normal de la vie chrétienne. Car ce feu de l’amour de Dieu a besoin d’être alimenté, de s’intensifier chaque jour en s’enracinant dans notre âme; et c’est en brûlant de nouveaux éléments que le feu demeure vivant. C’est pourquoi, s’il ne s’étend pas, il est près de s’éteindre.
Rappelez-vous ces mots de saint Augustin: Si tu dis: ça suffit, tu es perdu. Aspire toujours à davantage, chemine sans cesse, progresse toujours. Ne reste pas au même endroit, ne recule pas, ne dévie pas.
Le Carême nous place, à présent, devant des questions fondamentales: est-ce que je progresse en fidélité au Christ? En désirs de sainteté? En générosité apostolique dans ma vie quotidienne, dans mon travail ordinaire parmi mes collègues?
Que chacun, tout bas, réponde à ces questions; et il verra à quel point est nécessaire cette nouvelle transformation, pour que le Christ vive en nous, pour que son image se reflète, limpidement, dans notre conduite.
Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Le Christ nous le dit de nouveau, comme à l’oreille, dans l’intimité: la croix chaque jour. Non seulement – ajoute saint Jérôme – dans les temps de persécution ou lorsque se présente l’éventualité du martyre, mais en toute circonstance, tâche, pensée, parole, renions ce que nous étions auparavant, et confessons ce que nous sommes désormais, puisque nous sommes nés de nouveau dans le Christ.
Ces considérations-là ne sont, en réalité, que l’écho de celles qui nous viennent de l’Apôtre: jadis, vous étiez ténèbres, mais à présent, vous êtes lumière; car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité. Discernez ce qui plaît au Seigneur....
La conversion est œuvre d’un instant, la sanctification est la tâche de toute la vie. La semence divine de la charité, que Dieu a déposée dans notre âme, aspire à croître, à se manifester en œuvres, à produire des fruits qui répondent à tout moment à ce qui est agréable au Seigneur. Il est indispensable, pour cela, que nous soyons disposés à recommencer, à retrouver dans chaque nouvelle situation de notre vie – la lumière, l’élan de la première conversion. Voilà pourquoi nous devons nous y préparer par un examen profond, en demandant au Seigneur son aide pour mieux Le connaître et mieux nous connaître. Il n’y a pas d’autre chemin pour nous convertir de nouveau.
59 Exhortamur ne in vacuum gratiam Dei recipiatis. Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. En effet, la grâce divine pourra remplir nos âmes en ce temps de Carême, pourvu que nous ne lui fermions pas notre cœur. Nous devons faire preuve de ces bonnes dispositions, du désir de nous transformer vraiment, de ne pas jouer avec la grâce du Seigneur.
Je n’aime pas beaucoup parler de crainte, car ce qui meut un chrétien, c’est l’amour de Dieu qui s’est manifesté à nous en la personne du Christ et qui nous apprend à aimer tous les hommes et la création entière; en revanche, nous devons parler de responsabilité, de sérieux. Ne vous y trompez pas; on ne se moque pas de Dieu, nous dit l’Apôtre lui-même.
Il faut se décider. On ne peut pas vivre en gardant allumés les deux cierges dont, selon un dicton populaire, tout homme se munit: un pour saint Michel, l’autre pour le diable. Il faut éteindre le cierge du diable. Notre vie doit se consumer en brûlant, tout entière, au service du Seigneur. Si notre désir de sainteté est sincère, si nous sommes assez dociles pour nous abandonner dans les mains de Dieu, tout ira bien. Car Lui, de son coté, est toujours disposé à nous donner sa grâce, et, spécialement maintenant, la grâce d’une
nouvelle conversion, d’une amélioration de notre vie de chrétiens.
Nous ne pouvons considérer le Carême comme une période quelconque, répétition cyclique de l’année liturgique. Ce moment est unique; c’est une aide divine à accueillir. Jésus passe à côté de nous, et attend de nous – aujourd’hui, maintenant –, un grand changement.
Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis Le voici, maintenant, le temps favorable; le voici, maintenant, le jour du salut. Une fois de plus, on entend le pipeau du Bon Pasteur et son appel affectueux: Ego vocavi te nomme tuo. Il nous appelle chacun par notre nom, par le diminutif familier qu’emploient ceux qui nous aiment. La tendresse de Jésus pour nous, il n’y a pas de mots qui puissent l’exprimer.
Considérez, avec moi, cette merveille de l’amour de Dieu: le Seigneur vient à notre rencontre. Il attend, Il se place au bord du chemin pour que nous ne puissions pas ne pas le voir. Et Il nous appelle, personnellement, en nous parlant de nos affaires, qui sont aussi les siennes, en invitant notre conscience au repentir intime, en l’ouvrant à la générosité, en imprimant dans nos âmes le désir ardent d’être fidèles, de pouvoir nous appeler ses disciples. Il suffit de percevoir ces appels intérieurs de la grâce, qui sont souvent comme un affectueux reproche, pour nous rendre compte qu’Il ne nous a pas oubliés, Lui, pendant tout le temps où, par notre faute, nous ne l’avons pas vu. Le Christ nous aime, de toute l’inépuisable affection contenue dans son Cœur de Dieu.
Voyez comme Il insiste: Au temps favorable, je t’ai exauce; au jour du salut, je t’ai secouru. Puisqu’Il te promet la gloire, son amour, et qu’Il te les donne, le moment venu; puisqu’Il t’appelle, que vas-tu Lui donner, toi, au Seigneur? Comment répondras-tu, comment répondrai-je, moi aussi, à cet amour de Jésus qui passe près de nous?
Ecce nunc dies salutis, le voici devant nous, ce jour de salut. L’appel du Bon Pasteur parvient jusqu’à nous: Ego vocavi te nomine tuo, je t’ai appelé par ton nom. Il faut Lui répondre – car à l’amour doit répondre l’amour – en lui disant: Ecce ego quia vocasti me, tu m’as appelé, me voici. Je suis décidé à ne pas laisser passer ce temps de Carême sans laisser de traces, comme passe l’eau sur les pierres. Je me laisserai imprégner, transformer; je me convertirai, je me tournerai de nouveau vers le Seigneur en L’aimant comme Il désire être aimé.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Qu’est-ce qui demeure dans ton cœur, qui te fasse encore t’aimer toi-même? –commente saint Augustin, qu’est-ce qui demeure dans ton âme? et dans ton esprit? Ex toto, a-t-Il dit. Totum exigit te, qui fecit te; celui qui t’a créé t’exige tout entier.
60 Après une telle protestation d’amour, il n’y a d’autre voie que de nous conduire en amoureux de Dieu. In omnibus exhibeamus nosmetipsos sicut Dei ministros, nous nous affirmons en tout comme des ministres de Dieu. Si tu te donnes à Lui comme Il le veut, l’action de la grâce se manifestera dans ton comportement professionnel, dans ton travail, dans ton acharnement à réaliser divinement toutes les tâches humaines, grandes et petites, car avec l’Amour toutes acquièrent une nouvelle dimension.
Mais en ce temps de Carême, nous ne pouvons oublier qu’il n’est pas facile de vouloir servir Dieu. Reprenons le passage de saint Paul que cite l’épître de la Messe de ce dimanche, pour nous en rappeler les difficultés. Nous nous affirmons en tout comme des ministres de Dieu, écrit l’Apôtre, par une grande constance dans les tribulations, dans les détresses, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les émeutes, dans les fatigues, dans les veilles, dans les jeûnes; par la pureté, par la science, par la longanimité, par la bénignité, par un esprit saint, par une charité sans feintes, par la parole de vérité, par la puissance de Dieu.
Dans les circonstances les plus diverses de cette vie, en toute occasion, nous devons nous conduire en serviteurs de Dieu, sachant que le Seigneur est avec nous, que nous sommes ses enfants. Il nous faut être conscients de cette racine divine greffée dans notre vie, et agir en conséquence.
Ces paroles de l’Apôtre doivent vous remplir de joie, car elles sont comme une canonisation de votre vocation de chrétiens ordinaires, qui vivez au milieu du monde en partageant aspirations, peines et joies avec les autres hommes, vos égaux en tout. Chemin divin, que celui-là! Ce que vous demande le Seigneur, c’est qu’à tout moment vous agissiez comme fils et serviteurs.
Encore faut-il, pour que ces situations ordinaires de la vie deviennent un chemin divin, que nous nous convertissions vraiment, que nous nous donnions. En effet, le langage employé par saint Paul est fort: il promet au chrétien une vie difficile, risquée, en perpétuelle tension. Comme le christianisme a été défiguré, lorsqu’on a voulu en faire une route aisée! Mais c’est également altérer la vérité que de penser que cette vie profonde et sérieuse, où l’on fait la cuisante expérience de toutes les difficultés de l’existence humaine, est une vie angoissée, ou dominée par la peur.
Le chrétien est réaliste, d’un réalisme surnaturel et humain qui discerne toutes les nuances de la vie: la douleur et la joie, la souffrance personnelle et celle d’autrui, la certitude et le doute, la générosité et la tendance à l’égoïsme. Le chrétien connaît tout et il affronte tout, avec l’énergie et la force d’âme qu’il reçoit de Dieu.
61 Le Carême commémore les quarante jours que Jésus a passés dans le désert, comme une préparation aux années de prédication qui culminent avec la Croix et la gloire de Pâques. Quarante jours de prière et de pénitence. Et, à la fin, se déroula la scène que la liturgie d’aujourd’hui offre à notre méditation, en la reprenant dans l'Évangile de la Messe: les tentations du Christ.
Scène pleine de mystère, que l’homme essaie vainement de comprendre – Dieu qui se soumet à la tentation, qui laisse agir le Malin –, mais que nous pouvons méditer en demandant au Seigneur de nous faire découvrir l’enseignement qu’elle contient.
Jésus-Christ soumis à la tentation. La Tradition éclaire cette scène, en considérant que Notre Seigneur a voulu, pour nous donner l’exemple en tout, subir aussi l’épreuve de la tentation. Il en est ainsi parce que le Christ a été Homme Parfait, semblable à nous en tout, sauf pour ce qui est du péché. Après quarante jours de jeûne, avec pour seule nourriture – peut-être – de l’herbe, des racines et un peu d’eau, Jésus a faim, vraiment faim, comme n’importe quelle créature. Et lorsque le diable Lui propose de transformer les pierres en pain, non seulement Notre Seigneur repousse l’aliment que son corps demande, mais encore, Il éloigne de Lui une incitation plus grave: celle de se servir de son pouvoir divin pour résoudre un problème personnel, si l’on peut dire.
Vous l’aurez remarqué, tout au long des Évangiles: Jésus n’accomplit pas de miracle dans son propre intérêt. Lorsqu’Il transforme l’eau en vin, c’est pour les époux de Cana; lorsqu’Il multiplie les pains et les poissons, c’est pour nourrir une foule affamée.. Mais Lui gagne son pain, de longues années durant, par son propre travail. Et plus tard, au cours de ses pérégrinations à travers la terre d’Israël, Il vit de l’aide de ceux qui Le suivent.
Saint Jean relate qu’au terme d’une longue marche, en arrivant au puits de Sichar, Jésus envoie ses disciples vers le village pour acheter de la nourriture; et lorsqu’Il voit s’approcher la Samaritaine, Il lui demande de l’eau, car Lui n’avait pas de quoi la puiser. La fatigue du chemin qu’Il a parcouru pèse sur son corps harassé et, en d’autres circonstances, Il recourt au sommeil pour refaire ses forces. Générosité du Seigneur, qui s’est humilié, qui a accepté pleinement la condition humaine, qui n’utilise pas son pouvoir de Dieu pour fuir les difficultés ou l’effort. Il nous apprend à être énergiques, à aimer le travail, à apprécier ce que le don de soi comporte de noblesse, tant du point de vue humain que divin.
A la seconde des tentations, quand le diable Lui suggère de se jeter du haut du Temple, Jésus repousse de nouveau l’idée de se servir de son pouvoir divin. Le Christ ne veut pas de la vaine gloire, de l’ostentation. Il ne joue pas une comédie humaine qui chercherait à se servir de Dieu pour mettre en relief sa propre excellence. Jésus-Christ veut accomplir la volonté de son Père, sans hâter la venue du temps, ni anticiper sur l’heure des miracles, mais en foulant, pas à pas, la dure route des hommes, l’aimable chemin de la Croix.
Ce que nous voyons, dans la troisième tentation, est très semblable: on Lui offre royaumes, pouvoir, gloire. Le démon prétend élargir à des ambitions humaines une attitude réservée à Dieu seul: il promet une vie facile à qui se prosterne devant lui, devant les idoles. Mais Notre Seigneur ramène l’adoration à sa seule et véritable finalité: Dieu, et Il réaffirme sa volonté de servir: Retire-toi, Satan! Car il est écrit: C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, c’est Lui seul que tu serviras.
Tirons la leçon de l’attitude de Jésus. Durant sa vie sur la terre, Il a refusé la gloire qui Lui revenait, car Lui, qui avait le droit d’être traité comme Dieu, a assumé l’apparence d’un serviteur, d’un esclave. Le chrétien apprend ainsi qu’à Dieu seul revient toute gloire, et qu’il ne peut faire de la grandeur sublime de l'Évangile un instrument au service d’ambitions et d’intérêts humains.
62 Apprenons de Jésus. Son attitude, qui se refuse à toute gloire humaine, est en parfaite corrélation avec la grandeur d’une mission unique: celle du Fils bien-aimé de Dieu qui s’incarne pour sauver les hommes. Une mission que l’affection du Père a entourée d’une sollicitude toute pleine de tendresse: Filius meus es tu, ego hodie genui te. Postula a me et dabo tibi gentes hereditatem tuam; tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande, et je te donne les nations pour héritage.
Le chrétien qui, suivant le Christ, vit dans cette attitude d’adoration complète du Père, reçoit lui aussi du Seigneur l’assurance d’une amoureuse sollicitude: Puisqu’il s’attache à moi, je l’affranchis, je l’exalte puisqu’il connaît mon nom.
63 Jésus a dit non au démon, au prince des ténèbres. Et aussitôt vient la lumière. Alors, le diable Le quitta. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils Le servaient. Jésus est venu à bout de l’épreuve. Une réelle épreuve parce que, commente saint Ambroise, Il n’a pas agi en tant que Dieu, faisant usage de son pouvoir (car alors, de quelle utilité nous eût été son exemple?), mais Il s’est servi, en tant qu’homme, des moyens qu’Il 33 possède en commun avec nous.
Le démon, hypocritement, a cité l’Ancien Testament: Il a, pour toi, donne ordre à ses anges de te garder dans tous tes chemins Mais Jésus, refusant de tenter son Père, rend à ce passage biblique son véritable sens. Et en récompense de sa fidélité, l’heure venue, les messagers de Dieu son Père se présentent pour Le servir.
Il est intéressant d’observer la méthode qu’a suivie Satan avec Notre Seigneur Jésus-Christ: il tire ses arguments de passages de Livres Saints, en forçant, en défigurant leur sens d’une manière blasphématoire. Jésus ne se laisse pas abuser: le Verbe fait chair connaît bien la Parole divine, écrite pour le salut des hommes et non pour leur confusion et leur condamnation. Celui qui est uni à Jésus-Christ par l’Amour, pouvons-nous en conclure, ne se laissera jamais tromper par une manipulation frauduleuse de la Sainte Écriture, car il sait que c’est une manœuvre caractéristique du diable, que d’essayer d’abuser la conscience chrétienne en argumentant insidieusement avec les mêmes termes qu’emploie l’éternelle Sagesse, en essayant de changer la lumière en ténèbres.
Arrêtons-nous un peu sur l’intervention des anges dans la vie de Jésus: nous comprendrons mieux ainsi leur rôle – la mission angélique – dans toute vie humaine. La tradition chrétienne décrit les anges gardiens comme de grands amis, placés par Dieu auprès de chaque homme pour l’accompagner au long de sa route. Voilà pourquoi elle nous invite à les fréquenter avec assiduité, à recourir à eux.
En nous faisant méditer ces passages de la vie du Christ, l'Église nous rappelle qu’en cette époque du Carême où nous nous reconnaissons pécheurs, conscients de nos misères, et soucieux de nous purifier, la joie aussi a sa place. Car le Carême est temps de force d’âme comme de joie intérieure: nous devons nous remplir de courage, étant donné que la grâce du Seigneur ne nous fera pas défaut, parce que Dieu sera à nos côtés et enverra ses anges pour être nos compagnons de voyage, nos prudents conseillers tout au long du chemin, les collaborateurs de toutes nos entreprises. In manibus portabunt te, ne forte offendas ad lapidem pedem tuum, continue le Psaume: eux, sur leurs mains, te porteront pour que ton pied ne heurte pas une pierre.
Il faut savoir comment fréquenter les anges. Recours à eux, maintenant, dis à ton ange gardien, car tu as le cœur contrit, que ces eaux surnaturelles. du Carême n’ont pas rejailli sur la surface de ton âme, mais qu’elles l’ont, au contraire, imbibée.
Demande-leur d’offrir au Seigneur cette bonne volonté que la grâce a fait germer de notre misère, comme un lys éclôt du fumier. Sancti angeli custodes nostri: defendite nos in proelio, ut non pereamus in tremendo iudicio: saints anges gardiens, défendez nous dans le combat, afin que nous ne périssions pas au jour du redoutable jugement.
64 Comment s’explique cette prière confiante, cette certitude que nous ne périrons pas dans la bataille? C’est une conviction qui découle d’une réalité, que jamais je ne me lasserai d’admirer: notre filiation divine. Ce Seigneur qui, en ce temps de Carême, nous demande de nous convertir, n’est pas un maître tyrannique, ni un juge rigoureux et impitoyable: c’est notre Père. Il nous parle de nos péchés, de nos erreurs, de nos manques de générosité; mais c’est pour nous en libérer, pour nous promettre son Affection et son Amour. La conscience de notre filiation divine imprègne de joie notre conversion, elle nous dit que nous sommes en train de revenir vers la maison du Père.
La filiation divine est le fondement de l’esprit de l’Opus Dei. Tous les hommes sont enfants de Dieu. Mais, face à son père, un enfant peut réagir de mille manières. A nous de nous efforcer, comme des enfants, de nous rendre compte que le Seigneur, en nous voulant pour enfants, nous fait vivre dans sa maison, au milieu de ce monde; nous intègre à sa famille, fait nôtre ce qui est sien, et sien ce qui est nôtre; nous vaut cette familiarité et cette confiance qui nous font Lui demander, comme des petits enfants, l’impossible.
Un enfant de Dieu traite le Seigneur comme un Père. Ses relations ne se réduisent pas à un hommage servile, à une politesse purement formelle, de simple courtoisie, mais sont pleines de sincérité et de confiance.
Dieu n’est pas scandalisé par les hommes. Dieu n’est pas lassé de nos infidélités. Notre Père du Ciel pardonne n’importe quelle offense lorsque l’enfant retourne vers Lui, lorsqu’il se repent et demande pardon. Notre Seigneur est Père à tel point qu’Il prévient nos désirs d’être pardonnés et qu’Il prend les devants en nous ouvrant les bras.
Croyez bien que je n’invente rien. Rappelez-vous cette parabole que le Fils de Dieu nous a contée, pour nous faire comprendre l’amour du Père qui est aux Cieux: la parabole de l’enfant prodigue.
Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut touche de compassion; il courut se jeter à son cou et l’embrassa longuement. Ce sont là les propres termes du Livre Saint: il l’embrassa longuement, il le dévorait de baisers. Peut-on employer langage plus humain? Y a-t-il manière plus expressive de décrire l’amour paternel de Dieu pour les hommes?
Devant ce Dieu qui s’élance à notre rencontre, nous ne pouvons nous taire. Nous allons Lui dire avec saint Paul: Abba, Pater!; Père, mon Père! Car, tout Créateur de l’Univers qu’Il soit, peu Lui importe que nous fassions usage de titres imposants. Il n’a que faire de la reconnaissance légitime de sa domination souveraine! Ce qu’Il veut, c’est que nous l’appelions Père, que nous savourions ce terme et qu’Il nous remplisse l’âme de joie.
D’une manière ou d’une autre, la vie humaine est un perpétuel retour vers la maison de notre Père, à l’aide de la contrition, cette conversion du cœur, qui suppose le désir de changer et la ferme décision d’améliorer notre vie. Cela se traduira, logiquement, par des œuvres de sacrifice et de don de soi. Revenir à la maison du Père au moyen de ce sacrement du pardon où, en confessant nos péchés, nous nous revêtons du Christ et devenons ainsi des frères, membres de la famille de Dieu.
Dieu nous attend, comme le père de la parabole, les bras ouverts, bien que nous ne le méritions pas. Notre dette n’a pas d’importance. Comme l’enfant prodigue, nous n’avons qu’à laisser parler notre cœur, éprouver la nostalgie du foyer paternel, nous émerveiller, et nous réjouir de ce don que Dieu nous a fait de pouvoir nous appeler et d’être vraiment, malgré tant de manquements à la grâce, ses enfants.
65 Quelle étrange capacité possède donc l’homme d’oublier les choses les plus merveilleuses, de s’habituer si facilement au mystère! Considérons de nouveau, en ce temps de Carême, que le chrétien ne peut être superficiel. Bien qu’entièrement plongé dans son travail ordinaire, parmi les autres hommes, ses égaux, attelé à la tâche, occupé, perpétuellement tendu, le chrétien doit être en même temps totalement plongé en Dieu, parce qu’il est fils de Dieu.
La filiation divine est une vérité joyeuse, un mystère réconfortant. Cette filiation divine pénètre toute notre vie spirituelle, parce qu’elle nous apprend à fréquenter Notre Père du Ciel, à Le connaître, à L’aimer; elle comble ainsi d’espérance notre lutte intérieure, et nous confère la simplicité confiante des petits enfants. Plus encore: précisément parce que nous sommes enfants de Dieu, cette réalité nous pousse aussi à contempler avec amour et admiration toutes les choses qui ont jailli des mains de Dieu, le Père Créateur. Et ainsi nous sommes des contemplatifs au milieu du monde, en aimant le monde.
En ce temps de Carême, la liturgie nous remet en mémoire les conséquences du péché d’Adam dans la vie de l’homme. Adam n’a pas voulu rester un bon fils de Dieu et s’est révolté. Mais l’on perçoit aussi, continuellement, l’écho de cette hymne felix culpa – heureuse, bienheureuse faute – que l'Église entière chantera, débordante de joie, au cours de la Veillée Pascale.
Une fois arrivée à la plénitude des temps, Dieu le Père envoya son Fils Premier-Né dans le monde pour y rétablir la paix; afin que, l’homme une fois racheté du péché, adoptionem filiorum reciperemus, nous soyons constitués fils de Dieu, libérés du joug du péché, rendus capables de participer à l’intimité divine de la Sainte Trinité. Alors, il est devenu possible à l’homme nouveau, à cette nouvelle greffe que sont les enfants de Dieu, de libérer la création tout entière du désordre, en restaurant toutes choses dans le Christ, qui les a réconciliées avec Dieu.
Temps de pénitence, par conséquent. Mais, comme nous l’avons constaté, ce n’est pas une tâche négative. Le Carême doit être vécu dans cet esprit de filiation que le Christ nous a communiqué et qui palpite dans notre âme. Le Seigneur nous appelle pour que nous nous approchions de Lui, en désirant être comme Lui. Chercher à imiter Dieu, comme des enfants bien aimés, lorsque nous collaborons, humblement, mais avec ferveur, à la divine résolution de réunir ce qui était brisé, de sauver ce qui était perdu, de ramener l’ordre là où régnait le désordre de l’homme pécheur, de guider vers son vrai but ce qui s’égarait, de rétablir la divine harmonie de toute la création.
66 La liturgie de Carême prend parfois des accents tragiques, lorsque nous réfléchissons à ce que signifie, pour l’homme, le fait de s’écarter de Dieu. Mais cette conclusion n’est pas le dernier mot. Le dernier mot, c’est Dieu qui le dit, et c’est l’assurance de notre filiation divine. Voilà pourquoi je répète aujourd’hui avec saint Jean: Voyez quel grand amour nous a donné le Père, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – car nous le sommes. Fils de Dieu, frères du Verbe fait chair, de Celui dont il a été dit: de tout être Il était la vie et la vie était la lumière des hommes. Des enfants de la lumière, des frères de la lumière, voilà ce que nous sommes. Des porteurs de l’unique flambeau capable d’embraser les cœurs faits de chair.
Maintenant que je laisse revenir le silence pour continuer la sainte Messe, que chacun de nous s’applique à considérer ce que lui demande le Seigneur, quelles résolutions, quelles décisions l’action de la grâce veut faire surgir en lui. Et, en relevant ces exigences surnaturelles et humaines de don de soi, de lutte, souvenez-vous que Jésus.–Christ est notre modèle. Et que Jésus, tout Dieu qu’Il fût, permit qu’on le tentât, pour qu’ainsi nous nous remplissions de courage et soyons sûrs de la victoire. Lui ne perd pas de batailles, et si nous nous trouvons unis à Lui, jamais nous ne serons vaincus, mais nous pourrons nous attribuer le titre de vainqueurs et l’être vraiment: être de bons enfants de Dieu.
Soyons contents. Pour ma part, je le suis. Je ne devrais pas l’être si je jette un regard sur ma vie, en faisant cet examen de conscience personnel que nous demande ce temps liturgique du Carême. Mais je me sens content, parce que je constate qu’une fois de plus, le Seigneur me cherche, que le Seigneur reste toujours mon Père. Je sais que vous et moi, avec détermination, avec la lumière et l’aide de la grâce, nous allons découvrir ce qu’il faut brûler, et nous le brûlerons: ce qu’il y a à arracher, et nous l’arracherons; ce qu’il y a à donner, et nous le donnerons.
Certes, la tache n’est pas facile. Mais nous pouvons compter sur un chemin bien indiqué et sur cette réalité merveilleuse, dont nous ne devons, ni ne pouvons, nous passer: l’amour de Dieu pour nous; et nous laisserons l’Esprit Saint agir en nous et nous purifier, pour pouvoir étreindre le Fils de Dieu sur la Croix, et ressusciter ensuite avec Lui, car la joie de la Résurrection est enracinée dans la Croix.
Marie, Notre Mère, auxilium christianorum, refugium peccatorum, intercède auprès de ton Fils pour qu’Il nous envoie l’Esprit Saint, qui ranime en nos cœurs la décision de cheminer à pas fermes et sûrs, en faisant résonner, au plus profond de notre âme, cet appel qui combla de paix le martyre d’un des premiers chrétiens: veni ad Patrem, viens, reviens à ton Père qui t’attend.
67 Nous avons lu pendant la sainte Messe un texte de l'Évangile selon saint Jean: le récit de la guérison miraculeuse de l’aveugle de naissance. Je pense que nous avons été émus, une fois de plus, en considérant la puissance et la miséricorde de Dieu, de ce Dieu qui n’est pas indifférent à la misère humaine. Mais c’est à autre chose que je voudrais m’arrêter maintenant. Nous remarquons en effet que, quand il est pénètre de l’amour de Dieu, le chrétien n’est pas, lui non plus, indifférent au sort des autres hommes, et sait traiter tout le monde avec respect. Mais que vienne à disparaître cet amour, et ce même chrétien risque d’exercer une pression fanatique et acharnée sur la conscience des autres.
Jésus vit en passant, dit le saint Évangile, un homme aveugle de naissance. Jésus qui passe: j’ai souvent admire cette façon toute simple de relater la clémence divine. Jésus passe et se rend tout de suite compte de la douleur. Mais comme les pensées des disciples étaient différentes! Ils lui demandent: Maître, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?
68 Il est difficile de faire comprendre à ceux chez qui la déformation est comme une seconde nature, qu’il est plus humain et plus vrai de juger favorablement le prochain. Saint Augustin donne le conseil suivant: Efforcez-vous d’acquérir les vertus qui, selon vous, manquent à vos frères, et vous ne verrez plus leurs défauts parce que vous ne les aurez plus vous-mêmes. Pour certains cette façon d’agir s’identifie à la naïveté. Eux sont plus réalistes, plus raisonnables.
Jugeant de tout selon leur préjuge, ils offenseront toujours avant d’écouter. Ensuite, mielleusement, au nom de l’objectivité, ils accorderont peut-être à l’offensé la possibilité de se justifier. Au mépris de la morale et du droit, au lieu de fournir la preuve de la prétendue faute, ils concèdent à l’innocent le privilège de démontrer son innocence.
Il serait malhonnête de ne pas vous dire que ces quelques réflexions sont bien plus que des fruits tirés hâtivement des traités de droit et de morale. Elles se fondent sur une expérience vécue par beaucoup dans leur propre chair de la même façon que tant d’autres qui ont été eux aussi fréquemment, et pendant de nombreuses années, la cible de médisances, de diffamations, de calomnies. La grâce de Dieu et un naturel peu rancunier ont fait que tout cela n’a laissé en eux aucune trace d’amertume. Mihi pro minimo est, ut a vobis iudicer; il m’importe peu d’être jugé par vous, pourraient-ils dire avec saint Paul. Parfois, plus familièrement, ils ont ajouté que cela les « laissait froids ». Et c’est la vérité.
Toutefois, je ne puis nier la tristesse que j’éprouve en pensant à l’âme de celui qui attaque injustement l’honnêteté d’autrui, car l’agresseur injuste se perd lui-même. Et je souffre aussi pour tous ceux qui, face à des accusations arbitraires et grossières, ne savent à quel saint se vouer; consternés, ils n’osent y croire et se demandent s’ils ne vivent pas un cauchemar.
Il y a quelques jours, nous lisions pendant la Messe l’histoire de Suzanne, cette femme chaste qui fut, à tort, accusée de malhonnêteté par deux vieillards corrompus. Suzanne se mit à pleurer et répondit à ses accusateurs: de tous côtés, je me sens dans l’angoisse; car si je fais ce que vous me proposez, la mort viendra sur moi, et si je refuse, je n’échapperai pas de vos mains. Combien de fois la perfidie des envieux ou des intrigants ne met-elle pas bien des honnêtes gens dans la même situation! On leur propose cette alternative: offenser le Seigneur ou se voir déshonores. La seule solution noble et digne qui leur reste est en même temps extrêmement douloureuse, mais elles doivent s’y résoudre: je préfère tomber innocente entre vos mains plutôt que d’offenser le Seigneur.
69 Revenons à la scène de la guérison de l’aveugle. 69 Jésus-Christ a répondu à ses disciples que ce malheur n’est pas la conséquence du péché, mais une occasion pour Dieu de manifester sa puissance. Et, avec une simplicité merveilleuse, il décide que l’aveugle voie.
C’est alors que commence pour cet homme, à la fois le bonheur et le tourment. On ne le laissera pas en paix. Ce sont d’abord les voisins et ceux qui l’avaient vu, avant, demander l’aumône. L'Évangile ne nous dit pas qu’ils se réjouissent, mais qu’ils n’arrivent pas à le croire, bien que l’aveugle insiste pour affirmer que c’est bien lui qui avant ne voyait pas et qui maintenant voit. Au lieu de le laisser jouir tranquillement de cette grâce, ils l’amènent aux pharisiens, qui lui demandent de nouveau comment cela s’est produit. Et il répond pour la seconde fois: Il a mis de la boue sur mes yeux, il m’a lavé et je vois.
Les pharisiens veulent alors démontrer que ce qui s’est passé, un bien grand miracle, n’a pas eu lieu. Certains recourent à des raisonnements mesquins, hypocrites, injustes: il a guéri un jour de sabbat et, comme il est interdit de travailler ce jour-là, ils nient le prodige. D’autres commencent ce que l’on appellerait aujourd’hui une enquête. Ils s’adressent aux parents de l’aveugle: Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle? Comment voit-il maintenant? Ses parents, poussés par la crainte, prononcent une phrase qui réunit toutes les garanties de la méthode scientifique: Nous savons que c’est notre fils et qu’il est ne aveugle mais comment il voit maintenant, nous ne le savons pas; qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas davantage. Interrogez-le: il est en âge de parler sur son compte.
Ceux qui mènent l’enquête ne peuvent pas croire parce qu’ils ne le veulent pas. L’ancien aveugle fut convoque une deuxième fois et ils lui dirent:... « Nous savons, nous, que cet homme, Jésus-Christ, est un pécheur».
En peu de mots, le récit de saint Jean donne ici l’exemple d’une attaque terrible contre ce droit fondamental que chacun possède par nature: être traité avec respect.
C’est toujours un problème actuel. Il ne serait pas difficile de trouver maintenant des exemples de cette curiosité agressive qui conduit à fouiller de façon morbide la vie privée d’autrui. Le moindre sens de la justice exige que, même lorsqu’on enquête sur un délit présumé, on procède avec prudence et modération, sans prendre pour certain ce qui n’est que possible. On comprend aisément ce qu’il y a de pervers dans cette curiosité malsaine qui cherche à mettre à nu des conduites non seulement irréprochables, mais même très honorables.
Face à ces soupçonneurs professionnels, qui semblent vouloir organiser une exploitation de l’intimité d’autrui, il faut défendre la dignité de chaque personne, ainsi que son droit au silence. Tous les hommes honnêtes, chrétiens ou non, se rejoignent sur ce point, parce qu’il s’agit de défendre une valeur commune à tous: le droit légitime d’être soi-même, de ne pas s’exhiber, de vivre avec pudeur ses joies, ses peines et ses douleurs intimes. Et surtout de faire le bien sans se donner en spectacle, d’aider par pur amour ceux qui en ont besoin sans être obligés de publier ce qu’ils font pour les autres ni, moins encore, d’étaler l’intimité de leur âme sous les yeux indiscrets et malveillants de ceux qui n’entendent rien et ne désirent rien entendre de la vie intérieure, sinon pour s’en moquer de façon éhontée.
Mais qu’il est difficile d’être libéré de cette agressivité indiscrète! Les moyens de ne pas laisser l’homme en paix se sont multipliés. Je parle non seulement des moyens techniques, mais aussi des systèmes d’argumentation qui ont cours, et auxquels il est difficile de s’opposer quand on désire défendre son honneur. C’est ainsi que parfois l’on part du principe que tous se comportent mal. Ce postulat erroné conduit inévitablement au meaculpisme, à l’autocritique. Si quelqu’un ne se couvre pas d’un monceau de boue, on en conclut que cet individu est non seulement malhonnête, mais hypocrite et arrogant.
Mais il existe un autre procède: celui qui calomnie par la parole ou par l’écrit est disposé à admettre que vous soyez un individu intègre; mais d’autres peut-être ne feront pas de même et publieront que vous êtes un voleur. Comment prouverez-vous alors que vous n’êtes pas un voleur? Ou encore vous avez inlassablement affirmé que votre conduite est nette, digne et droite: voudriez-vous la considérer à nouveau pour vous assurer qu’elle n’est pas, au contraire, malhonnête, vile et fausse?
70 Ces exemples ne sont pas imaginaires. Je suis convaincu que n’importe quelle personne, n’importe quelle institution un peu connue pourrait enrichir cette casuistique. Dans certains milieux prévaut la curieuse conception que le public ou le peuple (comme on voudra l’appeler) a le droit de connaître et d’interpréter à sa manière les détails les plus intimes de l’existence des autres.
Permettez-moi quelques mots sur un fait qui me touche de très près. Depuis plus de trente ans je dis et l’écris de mille façons différentes que l’Opus Dei ne recherche aucune fin temporelle ni politique; qu’il cherche seulement et exclusivement à répandre parmi des foules de toutes races, de toutes conditions sociales et de tous pays, la connaissance et la pratique de la doctrine salvatrice du Christ; à contribuer à ce qu’il y ait davantage d’amour de Dieu sur la terre et, par conséquent, davantage de paix, davantage de justice entre les hommes, enfants d’un seul Père.
Des milliers, des millions de personnes, dans le monde entier, l’ont compris. Il semble que d’autres, assez peu nombreux, il est vrai, ne l’ont pas compris pour des raisons diverses. Si mon cœur est plus proche des premiers, je respecte et J’aime aussi les autres, car la dignité de chacun mérite respect et estime; tous sont appelés à la gloire des enfants de Dieu.
Mais il y a toujours une minorité sectaire qui ne comprend pas ce que, moi et tant d’autres, nous aimons, et qui voudrait que nous lui expliquions les choses à sa manière, c’est-à-dire en fonction de l’équilibre entre les intérêts et les pressions des groupes. Si donc la réponse fournie n’est pas de ce type ils continuent de penser à des mensonges, à des secrets et à des plans mystérieux.
Sachez que je ne m’attriste ni ne me préoccupe devant de tels cas. J’ajoute même que le m’en amuserais si je pouvais oublier l’offense commise envers le prochain et le péché qui crie devant Dieu. Je suis aragonais et, par tous les traits de mon caractère, j’aime la sincérité: j’éprouve une répulsion instinctive pour tout ce qui suppose la dissimulation. Je me suis toujours efforcé de répondre aux calomniateurs par la vérité, sans suffisance ni orgueil, même s’ils étaient mal élevés, arrogants, hostiles, voire dépourvus de toute trace visible d’humanité.
Je me suis fréquemment souvenu de la réponse faite par l’aveugle de naissance aux pharisiens qui lui demandaient pour la nième fois comment s’était produit le miracle: je vous l’ai déjà dit et vous l’avez entendu. Pourquoi voulez-vous l’entendre à nouveau? Ne serait-ce pas que vous aussi’ vous voulez devenir ses disciples?
71 Le péché des pharisiens n’était pas de ne pas voir Dieu dans le Christ mais de se replier volontairement sur eux-mêmes; de ne pas tolérer que Jésus, qui est la lumière, leur ouvrit les yeux. Pareil aveuglement a des conséquences immédiates sur les relations de chacun avec ses semblables. Ce pharisien qui, se croyant lumière, ne laisse pas Dieu lui ouvrir les yeux, est celui-là même qui traitera son prochain avec orgueil et injustice: je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes, ni comme ce publicain, dit-il dans sa prière. Et l’on offense l’aveugle de naissance qui persiste à dire la vérité sur sa guérison miraculeuse: « De naissance tu n’es que pêche, et tu nous fais la leçon! » et ils le chassèrent.
Parmi ceux qui ne connaissent pas le Christ, il y a beaucoup d’hommes honnêtes qui, par politesse naturelle, savent se conduire avec délicatesse: ils sont sincères, cordiaux et bien élevés. S’ils ne s’opposent pas, si nous ne nous opposons pas, à ce que le Christ nous guérisse de la cécité qui affecte encore nos yeux, si nous permettons au Seigneur de nous appliquer cette boue, qui se révèle entre ses mains le plus efficace des collyres, nous comprendrons les réalités terrestres et entreverrons les vérités éternelles sous une lumière nouvelle, la lumière de la foi: nous aurons acquis la pureté du regard.
Là est la vocation du chrétien, la plénitude de cette charité qui est longanime, serviable; elle n’est pas envieuse, ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas; ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.
La charité du Christ n’est pas faite seulement de bons sentiments envers le prochain et ne se limite pas à l’inclination à la philanthropie. La charité, communiquée à l’âme par Dieu, transforme intérieurement l’intelligence et la volonté: elle donne un fondement surnaturel à l’amitié et à la joie de faire le bien.
Contemplez la scène de la guérison du boiteux, rapportée par les Actes des Apôtres. Pierre et Jean montant au temple rencontrent en passant, assis à la porte, un boiteux de naissance. Tout rappelle la guérison de l’aveugle. Mais les disciples ne pensent plus que ce malheur puisse être dû aux péchés personnels du malade ni aux fautes de ses parents. Et ils lui disent: Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche! Autrefois ils répandaient l’incompréhension et maintenant la miséricorde; autrefois ils portaient un jugement téméraire, maintenant ils guérissent miraculeusement au nom du Seigneur. C’est encore le Christ qui passe! Le Christ qui continue de passer dans les rues et les places du monde, en ses disciples, les chrétiens. Je lui demande avec ferveur qu’Il passe dans l’âme de quelques-uns de ceux qui m’écoutent en ce moment.
72 L’attitude des disciples. de Jésus envers l’aveugle de 72 naissance nous surprenait au début. En fait ils agissaient selon ce proverbe déplorable: « pense le mal et tu auras deviné juste ». Plus tard, quand ils connurent mieux le Maître, quand ils se rendirent compte de ce qu’être chrétien signifiait, leurs jugements furent empreints de compréhension.
Il y a en chaque homme, écrit saint Thomas d’Aquin, un aspect qui peut le faire passer pour supérieur aux yeux des autres selon ces mots de l’Apôtre: « chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi » (Flp 2, 3). En conséquence de quoi tous les hommes doivent se respecter mutuellement. L’humilité est la vertu qui amène à découvrir que les marques de respect envers la personne, envers son honneur, sa bonne foi, son intimité, ne sont pas le fruit d’une superficialité conventionnelle, mais sont les premières manifestations de la charité et de la justice.
La charité chrétienne ne se borne pas à secourir celui qui a besoin de biens matériels; elle vise avant tout à respecter et à comprendre chacun, pris individuellement, et à respecter sa dignité intrinsèque d’homme et d’enfant du Créateur. C’est pourquoi toute atteinte à la personne, à sa réputation, à son honneur révèle, chez ceux qui s’en rendent coupables, l’ignorance ou l’absence de mise en pratique de certaines vérités de notre foi chrétienne et, en tout cas, l’absence d’un véritable amour de Dieu. La charité avec laquelle nous aimons Dieu et notre prochain est une seule et même vertu, parce que Dieu est précisément la raison pour laquelle nous aimons notre prochain et parce que nous aimons Dieu quand nous aimons notre prochain avec charité.
J’espère que nous serons capables de tirer des conséquences très concrètes de ce moment de conversation en la présence du Seigneur. Et d’abord la résolution de ne pas juger autrui, de ne pas l’offenser, ne serait-ce que par le doute, de noyer le mal dans une abondance de bien, en répandant autour de nous la loyauté, la justice et la paix dans les relations humaines.
Prenons également la décision de ne jamais nous attrister si certains mettent en doute la droiture de notre conduite, s’ils interprètent de façon erronée le bien qu’avec l’aide continuelle du Seigneur nous nous efforçons de réaliser, et si, jugeant mal nos intentions, ils nous prêtent de mauvais desseins et une conduite malhonnête et hypocrite. Pardonnons toujours, le sourire aux lèvres. Parlons clairement, sans rancœur, lorsque nous estimons, en conscience, que nous devons parler. S’il s’agit d’attaques personnelles, pour brutales et indignes qu’elles soient, remettons tout entre les mains de Dieu notre Père, dans un silence divin: Iesus autem tacebat, Jésus se taisait. Préoccupons-nous seulement de faire le bien, car c’est Lui qui se chargera de le faire briller devant les hommes.
74 Ce langage n’est-il pas devenu désuet? Ou plutôt ne l’avons-nous pas modifié selon les circonstances en l’adaptant à notre faiblesse personnelle, que nous avons dissimulée sous un langage pseudo-scientifique? N’y a-t-il pas accord tacite pour affirmer que les vrais biens sont: l’argent, qui permet de tout acheter; le pouvoir temporel; l’astuce qui permet de demeurer haut-placé; la sagesse humaine soit-disant adulte, qui pense avoir « dépassé » le sacré?
Nous qui sommes chrétiens, nous avons un désir d’amour que nous avons librement accepté, en réponse à l’appel de la grâce divine: une obligation qui nous incite à nous battre avec ténacité, parce que nous savons que nous sommes aussi faibles que les autres hommes. Mais, en même temps, nous ne pouvons pas oublier que, si nous y mettons les moyens, nous serons le sel, la lumière et le levain du monde: nous serons la consolation de Dieu.
Notre volonté de poursuivre, avec opiniâtreté, cet objectif d’Amour est aussi un devoir de justice, et cette exigence se traduit pour vous, comme pour tous les fidèles, par une bataille continuelle. Toute la tradition de l'Église a qualifié les chrétiens de milites Christi, de soldats du Christ. Des soldats qui communiquent la sérénité aux autres, tout en combattant continuellement contre leurs mauvaises inclinations personnelles. Parfois, par manque de sens surnaturel, par une incrédulité pratique, on repousse l’idée que la vie sur terre est un combat. On insinue avec malice que, si nous nous prenons pour des soldats du Christ, nous courons le risque d’utiliser la foi dans des buts temporels de violence et sectaires. Cette façon de penser est une triste simplification, peu logique, et trop souvent inspirée par la commodité et la lâcheté.
Rien n’est plus éloigné de la foi chrétienne que le fanatisme, qui apparaît dans les étranges unions, sous quelque bannière que ce soit, du profane et du spirituel. Ce danger n’existe pas si la lutte est comprise comme le Christ nous l’a enseigné: une lutte personnelle contre soi-même, accompagnée de l’effort, sans cesse renouvelé, pour aimer Dieu davantage, pour déraciner l’égoïsme, pour servir tous les hommes. Renoncer à ce contenu, sous n’importe quel prétexte, c’est se déclarer battu d’avance, annihile, sans foi, c’est accepter d’avoir l’âme déchue, perdue dans de mesquines complaisances. Pour le chrétien, le combat spirituel, sous le regard de Dieu et de tous ses frères dans la foi, est une nécessité, une conséquence de sa condition. C’est pourquoi, si quelqu’un ne lutte pas, il trahit Jésus-Christ et, avec Lui, tout son Corps Mystique, qui est l'Église
75 La lutte du chrétien est incessante, parce que la vie intérieure c’est perpétuellement commencer et recommencer, afin d’éviter que notre orgueil ne nous fasse imaginer que nous sommes déjà parfaits. Il est inévitable que notre chemin comporte beaucoup de difficultés; si nous ne rencontrions pas d’obstacles, nous ne serions pas des créatures de chair et d’os. Nous aurons toujours des passions qui nous attirent vers le bas, et nous devrons toujours nous garder de ces folies plus ou moins véhémentes.
Nous ne devrions pas être surpris, quand nous sentons dans notre corps et dans notre âme l’aiguillon de l’orgueil, de la sensualité, de l’envie, de la paresse, du désir de dominer les autres. C’est un mal fort ancien, systématiquement confirmé par notre expérience personnelle. C’est le point de départ et le cadre habituel de notre course victorieuse vers la maison du Père, de notre lutte. C’est pourquoi saint Paul nous enseigne: Je cours, moi, non à l’aventure; c’est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide. Je meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage, de peur qu’après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même disqualifié.
Le chrétien ne doit pas attendre, pour entamer et poursuivre cette lutte, de percevoir des signes extérieurs ou d’éprouver des sentiments favorables. La vie intérieure n’est pas affaire de sentiment, mais de grâce divine et de volonté: d’amour, en un mot. Tous les disciples furent capables de suivre Jésus le jour de son triomphe à Jérusalem, mais presque tous l’abandonnèrent à l’heure de l’opprobre de la Croix.
Pour aimer véritablement, il est nécessaire d’être fort, loyal, d’avoir le cœur fermement ancré dans la foi, dans l’espérance et dans la charité. C’est le propre de la frivolité, au contraire, que de changer capricieusement l’objet de ses amours, qui ne sont d’ailleurs pas des amours, mais des satisfactions égoïstes. Qui dit amour dit constance, intégrité: capacité de se donner, de se sacrifier, de renoncer à soi-même; et c’est dans ce don de soi, dans ce sacrifice et ce renoncement, que l’on trouve la souffrance, la contradiction, mais aussi le bonheur et la joie. Une joie que rien ni personne ne pourra nous enlever.
Dans ce tournoi d’amour, nous ne devons pas nous attrister des chutes, même des chutes graves, si nous nous approchons de Dieu, dans le sacrement de pénitence, repentis et avec le désir de nous corriger. Le chrétien n’est pas un maniaque qui collectionne des états de services irréprochables. Jésus-Christ Notre Seigneur, si ému de l’innocence et de la fidélité de Jean, est aussi attendri par le repentir de Pierre, après sa chute. Jésus comprend nos faiblesses et nous attire à Lui, comme par un plan incliné, en nous demandant de savoir persévérer dans notre effort pour monter un peu, jour après jour. Il nous cherche comme Il a cherché les deux disciples d’Emmaüs, en allant à leur rencontre; comme Il a cherché Thomas pour lui faire toucher, avec ses doigts, les plaies ouvertes de ses mains et de son côté. Jésus vit continuellement dans l’espoir que nous nous tournions vers Lui, précisément parce qu’Il connaît notre faiblesse.
76 Supporte les difficultés comme un bon soldat de Jésus-Christ, nous dit saint Paul. La vie du chrétien est un service, c’est une guerre. C’est une merveilleuse guerre pacifique, qui n’a rien à voir avec les entreprises belliqueuses des hommes, inspirées par la division et souvent par la haine; alors que la guerre des enfants de Dieu contre leur propre égoïsme est fondée sur l’amour et l’unité. Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu Ce sont les escarmouches sans trêve contre l’orgueil, contre la prédisposition au mal, contre la suffisance dans les jugements.
En ce dimanche des Rameaux, Notre Seigneur entame une semaine décisive pour notre salut. Laissons donc de côte les considérations superficielles, et allons à l’essentiel, à ce qui est réellement important. Veillez-y bien: le but de nos efforts doit être d’aller au ciel. Autrement, nous perdons notre peine. Pour aller au ciel il est indispensable d’être fidèle à la doctrine du Christ. Pour être fidèle il est indispensable de poursuivre, avec confiance et ténacité, notre lutte contre les obstacles qui se dressent devant notre bonheur éternel.
Je sais bien que, dès que nous parlons de combat, nous pensons à notre faiblesse et nous prévoyons des chutes, des erreurs. Mais Dieu en tient compte. Il est inévitable que, en cheminant, nous soulevions de la poussière. Nous sommes des êtres créés, donc pleins de défauts. J’irai jusqu’à dire qu’il faut toujours en avoir: ce sont les taches d’ombre qui, dans notre âme, font ressortir davantage, par contraste, la grâce de Dieu et notre volonté de répondre à la faveur divine. C’est ce clair-obscur qui fait de nous des hommes humbles, compréhensifs, généreux.
Ne nous y trompons pas. Si notre vie comporte des actions d’éclat et des succès, elle a aussi ses chutes et ses déroutes. Il en a toujours été ainsi du pèlerinage sur terre des chrétiens, y compris de ceux que nous vénérons sur les autels. Vous souvenez-vous de Pierre, d’Augustin, de François? jamais je n’ai aimé ces biographies de saints dans lesquelles, par naïveté, mais aussi par ignorance, on nous chante les exploits de ces hommes, comme s’ils s’étaient vu confirmés dans la grâce dès le sein de leur mère. Non. Les biographies authentiques des héros chrétiens ressemblent à nos vies: ils luttaient et gagnaient, puis luttaient et perdaient. Et alors, pleins de repentir, ils repartaient pour le combat.
Il ne faut pas nous étonner si nous sommes vaincus assez fréquemment: ce sera, habituellement – si ce n’est pas toujours – en des matières de peu d’importance, qui nous agacent comme si elles en avaient beaucoup. S’il y a amour de Dieu, s’il y a humilité, s’il y a persévérance et ténacité dans notre combat, ces échecs ne prendront que peu d’importance. Parce que viendra ensuite la victoire, qui sera gloire aux yeux de Dieu. Il n’y a pas d’échec quand on agit en toute droiture d’intention en ayant le désir d’accomplir la volonté de Dieu et en tenant toujours compte de sa grâce, comme de notre néant.
77 Mais un ennemi très puissant, qui s’oppose à notre désir d’incarner pleinement la doctrine du Christ, nous guette: l’orgueil, qui nous empêche de chercher à découvrir, derrière les échecs et les défaites, la main bienfaisante et miséricordieuse du Seigneur. C’est alors que l’âme s’assombrit tristement et se croit perdue. Notre imagination crée des obstacles qui n’existent pas et qui disparaissent si nous les considérons avec tant soit peu d’humilité. L’âme se laisse parfois entraîner par cet orgueil et cette imagination dans un tortueux calvaire; mais la n’est pas le Christ, car là ou Il se trouve, règnent la paix et la joie, même si l’âme est torturée et entourée de ténèbres.
Un autre ennemi subtil de notre sanctification consiste à penser que nous devons mener cette bataille intérieure contre des obstacles extraordinaires, contre des dragons crachant le feu. C’est une autre manifestation d’orgueil. Nous voulons bien lutter, mais de façon solennelle, accompagnés de la sonnerie des trompettes et du roulement des tambours.
Nous devons nous persuader que le plus grand ennemi du rocher n’est ni la pioche, ni la hache, ni quelque autre instrument, quelle que soit sa force de pénétration: c’est le filet d’eau qui s’infiltre goutte à goutte entre les fissures de la roche, jusqu’à en ruiner les structures. Le plus grand danger, pour un chrétien, c’est de négliger la lutte dans ces petites escarmouches qui entament peu à peu l’âme, jusqu’à la laisser en ruine, brisée, indifférente et insensible aux appels divins.
Écoutons le Seigneur qui nous dit: celui qui’ est fidèle dans les petites choses l’est aussi dans les grandes, et celui qui manque à la justice dans les petites choses y manque aussi dans les grandes. C’est comme s’Il nous rappelait ceci: lutte à chaque instant dans ces détails qui peuvent te sembler insignifiants mais qui sont grands à mes yeux; accomplis ponctuellement ton devoir; souris à celui qui en a besoin, même si tu souffres; consacre sans remords le temps nécessaire à la prière; viens en aide à celui qui te cherche; pratique la justice, en la dépassant avec la grâce de la charité.
Nous ressentirons à l’intérieur de nous-mêmes ces invitations et beaucoup d’autres semblables. C’est un conseil silencieux qui nous pousse à poursuivre notre entraînement dans cette lutte surnaturelle contre nous-mêmes. Que la lumière de Dieu nous illumine, pour que nous percevions ses avertissements. Qu’Il nous aide à lutter, qu’Il soit à nos côtés dans la victoire; qu’Il ne nous abandonne pas à l’heure de la chute, pour que nous soyons toujours en état de nous relever et de poursuivre le combat.
Nous ne pouvons nous arrêter. Le Seigneur nous demande de mener un combat toujours plus vif, toujours plus profond, toujours plus étendu. Nous sommes obligés de nous dépasser, parce que, dans cette compétition, notre seul but est de parvenir à la gloire du ciel. Et si nous n’y arrivons pas, nous aurons perdu notre peine.
78 Quand on veut vraiment lutter, on met en œuvre les moyens appropriés. Et les moyens n’ont pas changé en vingt siècles de christianisme: prière, mortification, et fréquentation des sacrements. Comme la mortification est aussi une prière – la prière des sens –, nous pouvons définir ces moyens en deux mots: prière et sacrements.
J’aimerais considérer avec vous maintenant les Sacrements. C’est pour nous la source de la grâce divine et la merveilleuse manifestation de la miséricorde de Dieu à notre égard. Méditons lentement la définition que nous donne le Catéchisme de saint Pie V: Certains signes sensibles qui produisent la grâce, en même temps qu’ils la représentent et la mettent sous nos yeux. Dieu Notre Seigneur est infini; son amour est inépuisable, sa clémence et sa pitié à notre égard n’ont pas de limites. Il nous concède sa grâce de bien d’autres manières, et pourtant Il a institué, expressément et librement – Lui seul pouvait le faire –, ces sept signes efficaces pour que, d’une manière permanente, simple et à la portée de tous, nous puissions participer aux mérites de la Rédemption.
Si l’on abandonne les sacrements, la vraie vie chrétienne disparaît Et pourtant il est assez évident que certains, particulièrement de nos jours, semblent oublier, et même mépriser, ce courant rédempteur de la grâce du Christ. Il est douloureux d’évoquer cette plaie de la société qui se dit chrétienne, mais c’est nécessaire pour que s’affirme dans nos âmes le désir d’user avec davantage d’amour et de gratitude de ces sources de sanctification.
Sans le moindre scrupule, on décide de retarder le baptême des nouveau-nés. C’est une grande atteinte à la justice et à la charité, car on les prive ainsi de la grâce de la foi, du trésor inestimable de l’inhabitation de la Sainte Trinité dans l’âme, qui vient au monde entachée du péché originel. On prétend aussi dénaturer le sacrement de la Confirmation, dans lequel la Tradition unanime a toujours vu un affermissement de la vie spirituelle, une effusion silencieuse et féconde de l’Esprit Saint pour que, surnaturellement fortifiée, l’âme puisse lutter – miles Christi, tel un soldat du Christ – dans la bataille intérieure contre l’égoïsme et la concupiscence.
Si l’on a perdu le sens des choses de Dieu, il est difficile de comprendre le sacrement de la Pénitence. La confession sacramentelle n’est pas un dialogue humain, mais un colloque divin; c’est un tribunal de justice, sûr et divin, et surtout un tribunal de miséricorde où siège un juge très aimant qui ne désire pas la mort du pécheur mais veut qu’il se convertisse et vive.
La tendresse de Notre Seigneur est vraiment infinie. Regardez avec quelle délicatesse Il traite ses enfants. Il a fait du mariage un lien sacre, image de l’union du Christ et de son Église, un grand sacrement sur lequel se fonde la famille chrétienne, qui doit constituer, avec la grâce de Dieu, un milieu plein de paix, de concorde, une école de sainteté. Les parents sont les collaborateurs de Dieu. D’où l’aimable devoir qu’ont les enfants de vénérer leurs parents. Le quatrième commandement mérite bien d’être appelé, comme je l’ai écrit il y a longtemps, le plus doux précepte du décalogue. Si l’on vit le mariage saintement, comme Dieu le veut, le foyer sera un refuge de paix, lumineux et joyeux.
79 Dieu notre Père a permis, avec l’Ordre Sacerdotal, que quelques fidèles, par une nouvelle et ineffable infusion de l’Esprit Saint, reçoivent dans leur âme un caractère indélébile, qui les rend semblables au Christ-Prêtre, pour agir au nom de Jésus-Christ, Tête du Corps Mystique. Avec ce sacerdoce ministériel, qui diffère du sacerdoce commun de tous les fidèles par essence et non par différence de degré, les ministres sacrés peuvent consacrer le Corps et le Sang du Christ, offrir à Dieu le Saint Sacrifice, pardonner les péchés dans la confession sacramentelle, et exercer le ministère de l’enseignement de la doctrine au peuple, in ii quæ sunt ad Deum, en tout ce qui se réfère à Dieu, et en cela seulement.
C’est pourquoi le prêtre doit être exclusivement un homme de Dieu, renonçant à briller dans des domaines où les autres chrétiens n’ont nul besoin de lui. Le prêtre n’est pas un psychologue, ni un sociologue, ni un anthropologue: c’est un autre Christ, le Christ lui-même, destiné à soutenir les âmes de ses frères Il serait triste que le prêtre, en se fondant sur une science humaine, – s’il se consacre à sa tâche sacerdotale, il ne pourra cultiver cette science qu’en qualité de dilettante ou d’apprenti –, se croie tout bonnement investi du droit de pontifier en matière de théologie dogmatique ou morale. La seule chose qu’il aboutirait à démontrer serait sa double ignorance – en science humaine et en science théologique –, même si son aspect extérieur de savant pouvait emporter l’adhésion de quelques lecteurs ou auditeurs sans défense.
Tout le monde le sait: quelques ecclésiastiques semblent aujourd’hui prêts à fabriquer, en trahissant le Christ, une nouvelle Église, en changeant, une à une, ses fins surnaturelles – le salut de toutes les âmes en fins temporelles. S’ils ne résistent pas à cette tentation, ils cesseront d’accomplir leur ministère sacré, perdront la confiance et le respect du peuple, et provoqueront une effroyable destruction à l’intérieur de l'Église, en intervenant indûment dans la liberté politique des chrétiens et des autres hommes, et en produisant ainsi la confusion – ce sont des gens dangereux – dans la vie de la communauté sociale. L’Ordre est le sacrement du service surnaturel des hommes dans la foi; certains semblent vouloir le transformer en l’instrument terrestre d’un nouveau despotisme.
80 Mais continuons à méditer cette merveille que sont les sacrements. Dans l’Onction des Malades, comme on nomme maintenant l’Extrême Onction, nous assistons à une préparation pleine d’affection au voyage qui aura son terme dans la maison du Père. Enfin, avec la Sainte Eucharistie, sacrement, si l’on peut dire, de la générosité divine, Il nous concède sa grâce et c’est Dieu Lui-même qui se donne à nous: Jésus-Christ qui est réellement et toujours présent – et non seulement durant la Sainte Messe – avec son Corps, avec son Âme, avec son Sang et sa Divinité.
Je pense fréquemment à la responsabilité, qui incombe aux prêtres, de donner accès à tous les chrétiens à cette source divine des sacrements. La grâce de Dieu vient au secours de chaque âme; chaque créature requiert une assistance concrète, personnelle. On ne peut pas traiter les âmes en bloc! Il n’est pas licite d’offenser la dignité humaine ni la dignité des enfants de Dieu, sans s’occuper personnellement de chacun avec l’humilité de celui qui sait être un instrument, pour devenir le véhicule de l’amour du Christ: car chaque âme est un merveilleux trésor; chaque homme est unique, irremplaçable. Chacun d’eux vaut tout le Sang du Christ.
Nous parlions de lutte, tout à l’heure. Mais la lutte exige de l’entraînement, une alimentation adéquate, une médecine urgente en cas de maladies, de contusions, de blessures. Les sacrements, médecine principale de l'Église, ne sont pas superflus: quand on les abandonne volontairement, on ne peut plus suivre le chemin du Christ. Nous en avons besoin comme de la respiration, comme de la circulation du sang, comme de la lumière, pour bien évaluer à tout moment ce que le Seigneur veut de nous.
Pour mener une vie ascétique, le chrétien a besoin de force; et cette force, il la trouve dans son Créateur. Nous sommes l’obscurité, et Lui est la plus brillante des lumières; nous sommes la maladie, et Lui est la santé robuste; nous sommes la pauvreté, et Lui est l’infinie richesse; nous sommes la faiblesse, et Lui est le soutien, quia tu es, Deus, fortitudo mea, parce que Tu es toujours, ô mon Dieu, notre force. Rien sur terre ne peut s’opposer à l’ardent désir du Christ de répandre son sang rédempteur. Mais notre petitesse humaine peut nous voiler les yeux au point de ne plus apercevoir la grandeur divine. D’où la responsabilité de tous les fidèles, et spécialement de ceux qui ont la charge de diriger – de servir – spirituellement le Peuple de Dieu, de ne pas obturer les sources de la grâce, de ne pas avoir honte de la Croix du Christ.
81 Dans l'Église, de Dieu, la préoccupation constante d’être toujours loyaux envers la doctrine du Christ est une obligation pour tous Personne n’en est exempt. Si les pasteurs ne luttaient pas pour acquérir la délicatesse de conscience, le respect fidèle envers le dogme et la morale, qui constituent le dépôt de la foi et le patrimoine commun, ils accompliraient réellement les paroles prophétiques d’Ezéchiel: Fils d’homme, prophétise contre les pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître le troupeau? Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine... Vous n’avez pas fortifie les brebis chétives, soigne celle qui était malade, panse celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherche celle qui était perdue. Mais vous les avez gouvernées avec violence et dureté.
Ces reproches sont graves, mais plus importante est l’offense que l’on fait à Dieu quand, ayant reçu la charge de veiller au bien spirituel de tous, on maltraite les âmes en les privant de l’eau limpide du baptême, qui régénère l’âme; de l’huile balsamique de la confirmation, qui la renforce; du tribunal qui pardonne et de l’aliment qui donne la vie éternelle.
Quand cela peut-il arriver? Quand on abandonne cette lutte de paix dont j’ai parlé. Celui qui ne lutte pas s’expose à l’un ou l’autre de ces esclavages qui savent enchaîner nos pauvres cœurs: l’esclavage d’une vision des choses purement humaine, l’esclavage du désir ardent de pouvoir ou de prestige temporel, l’esclavage de la vanité, l’esclavage de l’argent, la servitude de la sensualité...
Si quelquefois, parce que Dieu permet cette épreuve, vous vous heurtez à des pasteurs indignes de ce nom, ne vous scandalisez pas. Le Christ a promis une assistance infaillible et indéfectible à son Église, mais Il n’a pas garanti la fidélité des hommes qui la composent. Il ne leur manque pas la grâce abondante et généreuse s’ils font le peu que Dieu leur demande: une grande vigilance pour écarter avec obstination, la grâce de Dieu aidant, les obstacles qui se dressent sur le chemin de la sainteté. Même celui qui semble haut placé peut être très bas aux yeux de Dieu s’il ne lutte pas. Je connais tes œuvres, ta conduite; tu passes pour vivant, mais tu es mort. Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante! Non, je n’ai pas trouve ta vie bien pleine aux yeux de mon Dieu. Allons! Rappelle-toi de quel cœur tu accueillis la parole; garde-la et repens-toi.
Ces exhortations de l’apôtre saint Jean – au premier siècle donc – s’adressent aux responsables de l'Église de Sarde. Parce que ce n’est pas d’aujourd’hui que quelques pasteurs risquent de perdre le sens de leurs responsabilités; ce phénomène s’est produit également au temps des apôtres, dans le siècle même où Notre Seigneur Jésus-Christ a vécu sur terre. C’est que personne ne peut se sauver seul. Tous, dans l'Église nous avons besoin de ces moyens concrets qui nous fortifient: de l’humilité, qui nous dispose à accepter aide et conseil; des mortifications, qui domptent notre cœur, pour qu’y règne le Christ; de l’étude de la doctrine sûre et permanente, qui nous conduit à conserver en nous la foi et à la propager.
82 La liturgie du Dimanche des Rameaux met dans la bouche des chrétiens ce cantique: Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles, qu’Il entre, le roi de gloire. Celui qui demeure reclus dans la citadelle de son égoïsme ne descendra pas sur le champ de bataille. Cependant, s’il soulève les portes de force et laisse entrer le Roi de paix, il sortira avec Lui pour combattre la misère qui obscurcit nos yeux et insensibilise notre conscience.
Levez-vous portes éternelles. Cette exigence de la lutte n’est pas nouvelle dans le christianisme. C’est la vérité éternelle. Sans lutte, on ne remporte pas la victoire; sans victoire, on n’obtient pas la paix. Sans paix, la joie humaine n’est qu’une joie apparente, fausse et stérile; elle ne se manifeste ni par une aide apportée aux hommes, ni par la pratique de la charité et de la justice, du pardon et de la miséricorde, ni par le service de Dieu.
Maintenant, en dedans et en dehors de l'Église, en haut comme en bas de l’échelle, il semble que beaucoup aient renoncé à la lutte – à cette guerre personnelle contre leurs propres faiblesses –, pour se livrer, avec armes et bagages, à des servitudes qui avilissent l’âme. Tous les chrétiens seront toujours menacés de ce danger.
C’est pourquoi il nous faut recourir avec insistance à la Très Sainte Trinité, pour qu’elle ait compassion de tous. En parlant de cela, je tremble à l’idée de la justice de Dieu. Je fais appel à sa miséricorde, à sa compassion, pour qu’Il ne regarde pas nos péchés, mais les mérites du Christ et ceux de sa sainte Mère, qui est aussi notre Mère, ceux du Patriarche saint Joseph qui lui tient lieu de Père, ceux des saints.
Le chrétien peut vivre avec l’assurance que, s’il désire lutter, Dieu le saisira de sa main droite, comme on peut le lire à la Messe d’aujourd’hui. Jésus, qui entre à Jérusalem en chevauchant un pauvre âne, est le Roi de paix qui nous dit: le royaume des cieux est emporté de force, et ce sont les violents qui le conquièrent.
Cette force ne doit Pas se traduire par la violence envers les autres: c’est la force qui s’exerce à combattre nos propres faiblesses et nos misères; c’est la vaillance qui nous empêche de déguiser nos infidélités personnelles; c’est l’audace qui nous fait confesser la foi, même quand l’ambiance lui est contraire.
Aujourd’hui comme hier, c’est l’héroïsme que l’on attend d’un chrétien. Héroïsme dans les grandes luttes, s’il le faut. Héroïsme – et c’est cela qui est normal – dans les petites batailles de chaque jour. Quand on lutte continuellement, avec Amour, de cette façon qui paraît insignifiante, le Seigneur est toujours aux cotés de ses enfants, comme un pasteur plein d’amour: Moi-même, je paîtrai mes brebis; moi, je les ferai reposer. Je chercherai celle qui était perdue, je ramènerai celle qui était égarée; je panserai celle qui est blessée, et je rendrai force à celle qui est infirme... Ils seront en sécurité sur leur terre, et ils sauront que je suis Yahwé, quand je briserai les barres de leur joug, et que je les délivrerai de ceux qui les asservissent.
83 La veille de la fête solennelle de Pâques, Jésus, sachant que l’heure de son départ de ce monde était venue, comme Il avait aime les siens qui vivaient dans le monde, Il les aima jusqu’au bout Ce verset de saint Jean annonce au lecteur de son Évangile que quelque chose de grand arrivera ce jour-là. C’est un préambule tendrement affectueux, identique à celui que saint Luc recueille dans son récit: J’ai désire ardemment – affirme le Seigneur – manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Nous commençons par demander dès maintenant au Saint-Esprit de nous préparer à comprendre chaque geste et chaque expression de Jésus-Christ Parce que nous voulons vivre une vie surnaturelle, parce que le Seigneur nous a manifesté sa volonté de se donner à nous comme aliment de notre âme, et parce que nous reconnaissons que Lui seul a des paroles de vie éternelle.
La foi nous fait confesser avec Simon-Pierre: Nous, nous avons cru et nous avons su que tu es le Christ, le Fils de Dieu. Et c’est cette foi qui, unie à notre dévotion en ce moment sublime, nous pousse à imiter l’audace de Jean: à nous approcher de Jésus et à incliner la tête sur la poitrine du Maître, qui aimait ardemment les siens et – nous venons de l’entendre allait les aimer jusqu’à la fin.
Le langage est bien pauvre pour expliquer, même approximativement, le mystère du jeudi-Saint. Mais il n’est pas difficile d’imaginer en partie les sentiments qu’avait Jésus en son cœur, lors de cette dernière soirée qu’Il passait avec les siens avant le sacrifice du Calvaire.
Pensez à l’expérience, si humaine, de la séparation de deux êtres qui s’aiment. Ils aimeraient être toujours ensemble, mais le devoir – quel qu’il soit – les oblige à s’éloigner l’un de l’autre. Ils désireraient rester ensemble et ils ne le peuvent pas. L’amour de l’homme, si grand soit-il, a des limites; il a recours à un symbole. Ceux qui se quittent échangent un souvenir; peut-être une photographie, avec une dédicace si enflammée qu’on est surpris que le papier n’en brûle pas. Ils ne peuvent pas faire davantage: les désirs des créatures dépassent tellement leurs possibilités.
Ce que nous ne pouvons pas, le Seigneur le peut. Jésus-Christ, Dieu parfait et homme parfait, ne nous laisse pas un symbole, mais la réalité: Il reste Lui-même. Il ira vers le Père, mais Il restera avec les hommes. Il ne nous laissera pas un simple cadeau qui nous fasse évoquer sa mémoire, une image qui tende à s’effacer avec le temps, comme la photographie qui rapidement pâlit, jaunit, et n’a pas de sens pour ceux qui n’ont pas vécu ce moment d’amour. Sous les espèces du pain et du vin, Il est là, réellement présent: avec son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité.
84 Comme on comprend bien, maintenant, la clameur incessante qu’ont fait monter les chrétiens, en tout temps, devant l’Hostie Sainte! Chante, ô ma langue, le mystère de ce Corps glorieux, ainsi que du précieux Sang que versa – rançon du monde – le Fils de la Vierge Féconde, le Roi éternel des Peuples Il faut adorer avec dévotion ce Dieu caché: c’est le même Jésus-Christ qui naquit de la Vierge Marie; le même qui souffrit et fut immolé sur la Croix; le même dont le côté transpercé répandit du sang et de l’eau.
Voilà le banquet sacré où l’on reçoit le Christ Lui-même; la mémoire de la Passion se renouvelle, et, avec Lui, l’âme parle intimement à son Dieu et possède un gage de la gloire à venir.
La liturgie de l'Église a résumé, en strophes brèves, les chapitres suprêmes de l’histoire de l’ardente charité que le Seigneur nous dispense.
Le Dieu de notre foi n’est pas un être lointain, qui contemple avec indifférence le sort des hommes: leurs aspirations, leurs luttes, leurs angoisses. C’est un Père qui aime ses enfants au point d’envoyer le Verbe, Seconde Personne de la Très Sainte Trinité, pour que, en s’incarnant, Il meure pour nous et nous rachète. C’est ce même Père aimant qui nous attire maintenant doucement vers Lui, par l’action du Saint-Esprit qui habite en nos cœurs.
La joie du Jeudi Saint vient de là: du fait de comprendre que le Créateur a débordé d’affection pour ses créatures. Notre Seigneur Jésus-Christ, comme si toutes les autres preuves de la miséricorde n’avaient pas été suffisantes, institue l’Eucharistie pour que nous puissions L’avoir toujours près de nous et parce que – dans la mesure où nous pouvons comprendre pousse par son Amour qui pourtant n’a besoin de rien, Il ne veut pas se passer de nous. La Trinité s’est éprise de l’homme, élevé à l’ordre de la grâce et fait à son image et ressemblance; Elle l’a racheté du péché du péché d’Adam, qui est retombé sur toute sa descendance, et des péchés personnels de chacun – et Elle désire vivement demeurer dans notre âme: celui qui m’aime observera ma doctrine et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure.
85 Ce courant trinitaire d’amour pour les hommes se perpétue d’une manière sublime dans l’Eucharistie. Nous avons tous appris dans le catéchisme, il y a longtemps, que la Sainte Eucharistie peut être considérée comme sacrifice et comme sacrement; et que le sacrement nous est montré comme communion et comme un trésor sur l’autel: dans le tabernacle. l'Église consacre une autre fête au mystère de l’Eucharistie, au Corps du Christ – Corpus Christi – présent dans tous les tabernacles du monde. Aujourd’hui, Jeudi-Saint, nous allons fixer notre attention sur la Sainte Eucharistie, Sacrifice et Aliment, sur la Messe et sur la Sainte Communion.
Je parlais d’un courant d’amour trinitaire pour les hommes. Et où mieux le remarquer que dans la Messe? La Trinité entière agit dans le Saint Sacrifice de l’autel. C’est pourquoi j’aime tant répéter, pour terminer la collecte, la secrète et la postcommunion, ces mots: Par Jésus-Christ, ton Fils – nous nous adressons au Père – Notre Seigneur, qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu, pour tous les siècles des siècles. Amen.
Dans la Messe, nous invoquons constamment le Père. Le prêtre est un représentant du Prêtre éternel, Jésus-Christ, qui est, en même temps, la Victime. Et l’action de l’Esprit Saint, à la Messe, n’est pas moins ineffable, ni moins certaine. Par la vertu de l’Esprit Saint, écrit saint Jean de Damas, s’effectue la conversion du Pain en Corps du Christ.
Cette action de l’Esprit Saint est clairement exprimée quand le prêtre demande la bénédiction divine sur l’offrande: Viens, sanctificateur, Dieu éternel et tout-puissant, et bénis ce sacrifice prépare pour ton Saint Nom, l’holocauste qui donnera au Très Saint Nom de Dieu la gloire qui lui est due. La sanctification que nous implorons est attribuée au Paraclet, que le Père et le Fils nous envoient. Nous reconnaissons aussi cette présence active du Saint-Esprit dans le sacrifice quand nous disons, un peu avant la communion: Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, qui, par la volonté du Père et la coopération du Saint-Esprit, as donne par ta mort la vie au monde....
86 Toute la Trinité est présente dans le sacrifice de l’autel. Par la volonté du Père, avec la coopération du Saint-Esprit, le Fils s’offre en oblation rédemptrice. Apprenons à nous adresser à la Très Sainte Trinité, Dieu Un et Trine: trois personnes divines dans l’unité de leur substance, de leur amour, de leur action efficacement sanctificatrice.
Immédiatement après le lavabo, le prêtre invoque: Reçois, Trinité Sainte, cette oblation que nous t’offrons en mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension de Jésus-Christ, Notre Seigneur. Et, à la fin de la Messe, il y a une autre oraison de brûlant hommage à Dieu Un et Trine: Placeat tibi, Sancta Trinitas, obsequium servitutis meæ... Que te soit agréable, Trinité Sainte, l’hommage de ton serviteur; ce sacrifice que, malgré mon indignité, j’ai présenté aux regards de ta majesté, rends-le digne de te plaire et capable, par l’effet de ta miséricorde, d’attirer ta faveur sur moi-même et sur tous ceux pour qui je l’ai offert.
La Messe – j’y insiste – est une action divine, trinitaire, pas humaine. Le prêtre qui célèbre sert le dessein du Seigneur, en Lui prêtant sa voix et son corps; il n’agit pas à titre personnel, mais in persona et in nomine Christi, en la personne et au nom du Christ.
L’amour de la Trinité pour les hommes fait que, de la présence du Christ dans l’Eucharistie, naissent pour l'Église et pour l’humanité toutes les grâces. C’est le sacrifice qu’avait prophétisé Malachie: De l’Orient au couchant mon Nom est grand parmi les nations, et en tout lieu un sacrifice d’encens est présenté à mon Nom ainsi qu’une offrande pure C’est le sacrifice du Christ offert au Père avec la coopération du Saint-Esprit: oblation d’une valeur infinie, qui éternise en nous la Rédemption, ce que ne pouvaient faire les sacrifices de l’Ancienne Loi.
87 La Sainte Messe nous place ainsi devant les mystères essentiels de la foi, car elle est le don de la Trinité à l'Église On comprend ainsi que la Messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien. Elle est la fin de tous les sacrements. A la Messe, s’achemine vers sa plénitude la vie de la grâce que le Baptême a déposée en nous et qui grandit fortifiée par la Confirmation. Quand nous participons à l’Eucharistie, écrit saint Cyrille de Jérusalem, nous faisons l’expérience de la spiritualisation déifiante du Saint-Esprit, qui non seulement nous configure au Christ, comme il arrive au Baptême, mais nous rend entièrement semblables au Christ, en nous associant à la plénitude du Christ Jésus.
L’effusion de l’Esprit Saint, en nous rendant semblables au Christ, nous amène à nous reconnaître enfants de Dieu. Le Paraclet, qui est charité, nous apprend à imbiber toute notre vie de cette vertu; et consummati in unum, devenus un avec le Christ, nous pouvons être au milieu des hommes, ce que saint Augustin dit de l’Eucharistie: signe d’unité, lien de l’Amour.
Je ne révèle rien de nouveau en disant qu’il y a des chrétiens qui ont une vision très pauvre de la Sainte Messe: pour certains, c’est un simple rite extérieur, quand ce n’est pas une convention sociale. C’est que nos cœurs sont capables, par mesquinerie, de s’habituer à vivre le plus grand don de Dieu aux hommes. Dans la Messe, dans cette Messe que nous célébrons maintenant, la Très Sainte Trinité intervient, je le répète, d’une manière spéciale. Répondre à tant d’amour exige de nous un don total du corps et de l’âme: nous écoutons Dieu, nous Lui parlons, nous Le voyons, nous Le mangeons. Et quand les paroles ne suffisent plus, nous chantons, et nous encourageons notre langue – Pange lingua! – à proclamer, en présence de l’humanité entière, les grandeurs du Seigneur.
88 Vivre la Sainte Messe, c’est demeurer continuellement en prière, avoir la conviction que, pour chacun de nous, il s’agit d’une rencontre personnelle avec Dieu: nous adorons, nous louons, nous demandons, nous rendons grâces, nous réparons pour nos péchés, nous nous purifions, nous nous sentons unis dans le Christ avec tous les chrétiens.
Il nous est peut-être arrivé de nous demander comment répondre à tant d’amour de Dieu; nous avons peut-être désiré voir clairement expose un programme de vie chrétienne. La solution est facile et à la portée de tous les fidèles: participer amoureusement à la Sainte Messe, apprendre à rencontrer Dieu dans la Messe, parce que ce sacrifice contient tout ce que Dieu veut de nous.
Permettez-moi de vous rappeler ce que vous avez eu si souvent l’occasion d’observer: le déroulement des cérémonies liturgiques. Si nous les suivons pas à pas, il est très possible que le Seigneur fasse découvrir à chacun de nous ce qu’il doit améliorer, quels sont les défauts qu’il doit déraciner, et quel doit être notre comportement fraternel avec tous les hommes.
Le prêtre se dirige vers l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouit notre jeunesse. La Sainte Messe débute par un chant de joie, car Dieu est la. C’est cette joie qui, avec la reconnaissance et l’amour, s’exprime par le baiser à l’autel, symbole du Christ et souvenir des saints, espace réduit, sanctifié, parce que c’est là que s’accomplit ce Sacrement dont l’efficacité est infinie.
Le Confiteor met en évidence notre indignité; non le souvenir abstrait de la faute, mais la présence, si concrète, de nos péchés et de nos fautes. C’est pourquoi nous répétons: Kyrie eleison, Christe eleison, Seigneur, aie pitié de nous; Christ, aie pitié de nous. Si le pardon dont nous avons besoin était en relation avec nos mérites, c’est une tristesse amère qui jaillirait alors de notre âme. Mais, par bonté divine, le pardon nous vient de la miséricorde de Dieu, que nous louons déjà – Gloria! – car Toi seul es Saint, Toi seul es Seigneur, Toi seul es le Très Haut Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.
89 Nous écoutons maintenant la Parole de l'Écriture, l'Épître et l'Évangile, lumières du Paraclet, qui parle en langage humain pour que notre intelligence comprenne et contemple, pour que notre volonté se fortifie et que l’action s’accomplisse. Parce que nous sommes un seul peuple qui confesse une seule foi, un Credo; un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Ensuite, l’offrande: le pain et le vin des hommes. C’est peu, mais la prière l’accompagne: reçois-nous en ta présence, Seigneur, avec un esprit d’humilité et le cœur contrit; et que le sacrifice que nous t’offrons aujourd’hui, Seigneur, arrive en ta présence de telle sorte qu’il te soit agréable Le souvenir de notre misère nous envahit de nouveau, ainsi que le désir que tout ce qui va au Seigneur soit propre et purifie: je laverai mes mains, j’aime le décor de ta maison.
Il y a un instant, avant le lavabo, nous avons invoque le Saint-Esprit, et nous lui avons demandé de
bénir le sacrifice offert à son Saint Nom. La purification une fois achevée, nous nous adressons à la Trinité – suscipe, Sancta Trinitas – pour qu’Elle accueille ce que nous présentons en mémoire de la vie, de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension du Christ, en l’honneur de Marie, toujours Vierge, en l’honneur de tous les saints.
Que le sacrifice serve au salut de tous – Orate, fratres, supplie le prêtre – car mon sacrifice est le vôtre, celui de toute l'Église. Priez, mes frères, même si vous n’êtes qu’un petit nombre; même s’il n’y a qu’un seul chrétien qui soit présent, et même si le célébrant est seul: parce que toute Messe est l’holocauste universel, le rachat de toutes les tribus, de toutes les langues, de tous les peuples et de toutes les nations.
Tous les chrétiens, par la communion des saints, reçoivent les grâces de chaque Messe, qu’elle soit célébrée devant des milliers de personnes ou seulement devant un enfant de choeur distrait. Dans tous les cas, la terre et le ciel s’unissent pour entonner avec les anges du Seigneur: Sanctus, Sanctus, Sanctus... J’applaudis et je m’unis à la louange des anges: cela ne m’est pas difficile, parce que je me sais entouré d’eux quand je célèbre la Sainte Messe. Ils sont en train d’adorer la Trinité. De même que je sais aussi que la Très Sainte Vierge intervient, en quelque sorte, en raison de son union intime avec la Très Sainte Trinité, et parce qu’elle est mère du Christ, de sa Chair et de son Sang: mère de Jésus-Christ, Dieu parfait et Homme parfait. Jésus-Christ, conçu dans le sein de Sainte Marie sans l’intervention d’un homme, par la seule vertu du Saint-Esprit, possède le Sang même de sa mère et c’est ce Sang qui est offert en sacrifice rédempteur au Calvaire et à la Sainte Messe.
90 Nous entrons ainsi dans le canon, avec une confiance filiale qui nous fait appeler très clément Dieu Notre Père. Nous le prions pour l'Église. et pour tous ceux qui appartiennent à l'Église. pour le Pape, pour notre famille, pour nos amis et nos compagnons. Et le catholique, avec un cœur universel, prie pour tout le monde, car son zèle enthousiaste ne peut exclure personne. Pour que la pétition soit accueillie, nous rappelons nos liens avec la glorieuse et toujours Vierge Marie, ainsi qu’avec une poignée d’hommes qui, les premiers, ont suivi le Christ et sont morts pour Lui.
Quam oblationem... L’instant de la consécration approche. Maintenant, à la Messe, c’est le Christ qui agit une nouvelle fois à travers le prêtre: Ceci est mon Corps. Ceci est le calice de mon Sang. Jésus est avec nous! Avec la Transsubstantiation, l’infinie folie de l’Amour divin, dictée par l’Amour, se manifeste de nouveau. Quand aujourd’hui viendra ce moment, que chacun de nous sache dire en silence au Seigneur que rien ne pourra nous séparer de Lui, que par sa disponibilité – Il est là sans défense – à rester sous les fragiles apparences du pain et du vin, Il a fait de nous des esclaves volontaires: praesta meæ menti de te vivere, et te illi semper dulce sapere, fais que je vive toujours de Toi et que je savoure toujours la douceur de Ton amour.
D’autres prières – car nous sommes toujours portés à demander – pour nos frères défunts, pour nous-mêmes. Toutes nos infidélités, nos misères, sont là aussi. La charge est lourde, mais Il veut la porter pour nous et avec nous. Le canon s’achève par une autre prière à la Sainte Trinité: per Ipsum, et cum Ipso, et in Ipso.., par le Christ, avec le Christ et dans le Christ, notre Amour, que Te soient rendus, à Toi, Père Tout-Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles.
91 Jésus est le Chemin, le Médiateur; en Lui se trouve tout; hors de Lui, il n’y a rien. En union avec le Christ, qui nous l’a appris, nous osons appeler le Tout-Puissant Notre Père: celui qui a fait le ciel et la terre est ce Père aimant qui attend que nous revenions à Lui continuellement, tels de nouveaux et incorrigibles enfants prodigues.
Ecce Agnus Dei... Domine, non sum dignus... Nous allons recevoir le Seigneur. Sur la terre on accueille avec des lumières, de la musique et des vêtements de gala les personnes de haute condition. Pour recevoir le Christ dans notre âme, comment devons-nous nous préparer? Avons-nous parfois pensé quelle serait notre conduite si l’on ne pouvait communier qu’une seule fois dans sa vie?
Quand j’étais enfant, la pratique de la communion fréquente n’était pas encore répandue. Je me rappelle comment on se préparait à communier: on prenait grand soin de bien disposer son âme et son corps. Le meilleur costume, les cheveux bien peignés, le corps propre, avec peut-être un peu de parfum... C’étaient des délicatesses d’amoureux, d’âmes délicates et fortes, qui savaient rendre amour pour amour.
C’est avec le Christ dans l’âme que nous achevons la Sainte Messe; la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit nous accompagne toute la journée, dans notre tâche simple et normale de sanctification de toutes les nobles activités humaines.
En assistant à la Sainte Messe, vous apprendrez à approcher chacune des personnes divines: le Père qui engendre le Fils; le Fils qui est engendré par le Père; et l’Esprit Saint qui procède des deux. En nous adressant à l’une des trois Personnes, c’est à un seul Dieu que nous nous adressons; et en nous adressant aux Trois, à la Trinité, nous nous adressons également à un seul Dieu, unique et véritable. Aimez la Messe, mes enfants, aimez la Messe. Et communiez avec ferveur, même si vous vous sentez froids, même si l’émotivité ne répond pas: communiez avec foi, avec espérance, avec une charité ardente.
92 Celui qui n’aime Pas la Sainte Messe, qui ne s’efforce pas de la vivre avec sérénité, avec ferveur, avec amour, n’aime pas le Christ. L’amour rend les amoureux fins, délicats; il leur fait découvrir des raffinements et des attentions, parfois infimes, mais qui sont toujours l’expression d’un cœur épris. C’est ainsi que nous devons assister à la Messe. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que ceux qui veulent entendre une Messe courte et dite avec précipitation démontrent, par cette attitude peu élégante, qu’ils ne sont pas encore arrivés à comprendre ce que signifie le Sacrifice de l’autel.
Notre amour pour le Christ qui s’offre à nous, nous pousse à savoir trouver, à la fin de la Messe, quelques minutes pour une action de grâces personnelle, intime, qui prolonge dans le silence du cœur cette autre action de grâces qu’est l’Eucharistie. Comment nous adresser à Lui, comment Lui parler, comment nous comporter? La vie chrétienne n’est pas faite de normes rigides, car l’Esprit Saint ne guide pas collectivement les âmes, mais, à chacune, il insuffle ces résolutions, ces inspirations et ces actes d’amour qui vont l’aider à saisir et à accomplir la volonté du Père. Cependant je pense que la trame de notre dialogue avec le Christ, dans l’action de grâces après la Messe, peut consister bien souvent à considérer que le Seigneur est, pour nous, Roi, Médecin, Maître et Ami.
93 Il est Roi et Il désire régner sur nos cœurs d’enfants de Dieu. Mais ne pensons pas aux royautés humaines; le Christ ne domine pas et Il ne cherche pas à s’imposer, car Il n’est pas venu pour être servi mais pour servir Son royaume, c’est la paix, la joie, la justice. Le Christ, notre Roi, n’attend pas de nous de vains raisonnements, mais des actes, car ce n’est pas celui qui dit Seigneur, Seigneur! qui entrera au royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père du ciel, celui-là entrera.
Il est Médecin et il soigne notre égoïsme si nous laissons sa grâce pénétrer jusqu’au fond de notre âme. Jésus nous a montré que la pire des maladies est l’hypocrisie, l’orgueil, qui pousse à dissimuler les péchés personnels. Avec ce Médecin, il est indispensable d’être d’une sincérité totale, d’expliquer entièrement la vérité, et de dire: Domine, si vis, potes me mundare, Seigneur, si Tu veux – et Tu le veux toujours – Tu peux me guérir. Tu connais ma faiblesse; je ressens ce symptôme, je souffre de telles faiblesses. Et nous lui montrons simplement les plaies; et le pus, s’il y a du pus. Seigneur, Toi qui as soigné tant d’âmes, fais que, en Te possédant dans mon cœur ou en Te contemplant dans le Tabernacle, je Te reconnaisse comme Médecin divin.
Il est Maître d’une science que Lui seul possède: celle de l’amour sans limites de Dieu et, en Dieu, de tous les hommes. On apprend à l’école du Christ que notre existence ne nous appartient pas: Lui, Il a donné sa vie pour tous les hommes et, si nous Le suivons, nous devons comprendre que nous, nous ne pouvons pas nous approprier la notre d’une manière égoïste, sans partager les douleurs des autres. Notre vie est à Dieu et nous devons la dépenser à son service, en nous préoccupant généreusement des âmes, en leur montrant par la parole et par l’exemple, la profondeur des exigences chrétiennes.
Jésus attend que naisse en nous le désir d’acquérir cette science, pour nous répéter: celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive Et nous répétons: apprends-nous à nous oublier nous-mêmes, pour penser à Toi et à toutes les âmes. De cette manière, le Seigneur nous fera avancer par sa grâce, comme lorsque nous commencions à écrire – vous rappelez-vous ces bâtons de notre enfance, guides par la main du maître? – et nous commencerons ainsi à goûter le bonheur de manifester notre foi, cet autre don de Dieu, par une conduite chrétienne ferme, dans laquelle tous pourront lire les merveilles divines.
Il est Ami; l’Ami: vos autem dixi amicos, dit-Il. Il nous appelle amis et c’est Lui qui a fait le premier pas; Il nous a aimés le premier. Cependant, Il n’impose pas son affection; Il l’offre. Il la montre par le signe le plus clair de l’amitié: personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. Il était l’ami de Lazare, Il a pleuré quand Il l’a vu mort, et Il l’a ressuscite. S’Il nous voit froids, sans désir, peut-être avec la dureté d’une vie intérieure qui s’éteint, son appel nous donnera la vie: je te l’ordonne, mon ami, lève-toi et marche, sors de cette vie étroite qui n’est pas une vie.
94 Notre méditation du Jeudi-Saint s’achève. Si le Seigneur nous a aidés – et Il y est toujours disposé, si nous Lui ouvrons notre cœur –, nous sentirons l’urgence de répondre au plus important: aimer. Et nous saurons, par une vie de service, répandre cette charité parmi les autres hommes. Je vous ai donne l’exemple, répète Jésus à ses disciples la nuit de la Cène après leur avoir lavé les pieds. Éloignons de nos cœurs l’orgueil, l’ambition, les désirs de domination; et autour de nous et en nous, régneront, enracinées dans le sacrifice personnel, la paix et la joie.
Terminons par une filiale pensée d’amour pour Marie, mère de Dieu et notre mère. Pardonnez-moi de vous raconter de nouveau un souvenir d’enfance: il s’agit d’une image qui se répandit dans mon pays quand saint Pie X recommanda la communion fréquente. Elle représentait Marie adorant la Sainte Hostie. Aujourd’hui, comme à ce moment-là et comme toujours, Notre-Dame nous apprend à fréquenter Jésus, à Le reconnaître et à Le rencontrer dans les diverses circonstances de la journée et, d’une manière spéciale, en cet instant suprême – ou le temps s’unit l’éternité – du Saint Sacrifice de la Messe: Jésus, dans un geste de prêtre éternel, attire à Lui toutes choses, pour les placer, divino afflante spiritu, avec le souffle du Saint-Esprit, en la présence de Dieu le Père.
95 Cette semaine, traditionnellement appelée sainte par le peuple chrétien, nous donne une fois de plus l’occasion de considérer, de revivre les moments où se consume la vie de Jésus. Tout ce que les diverses manifestations de la piété nous remettent en mémoire, au long de ces jours, est certes oriente vers la Résurrection, qui est, comme l’écrit saint Paul, le fondement de notre foi. Ne parcourons pas cependant avec trop de hâte ce chemin; ne laissons pas tomber dans l’oubli quelque chose de très simple qui, peut-être, nous échappe parfois; nous ne pourrons pas participer à la Résurrection du Seigneur, si nous ne nous unissons pas à sa Passion et a sa Mort. Pour accompagner le Christ dans sa gloire, à la fin de la Semaine Sainte, il est nécessaire que nous pénétrions auparavant dans son holocauste et que nous ne fassions qu’un avec Lui, mort sur le Calvaire.
Le don généreux du Christ affronte le pêche, cette réalité aussi dure à accepter qu’indéniable: le mysterium iniquitatis, l’inexplicable méchanceté de la créature qui se dresse, par orgueil, contre Dieu. L’histoire est aussi vieille que l’humanité. Souvenons-nous de la chute de nos premiers parents; et ensuite de toute cette chaîne de dépravations qui jalonnent le cheminement des hommes et, finalement, de nos rébellions personnelles. Il n’est pas facile de mesurer la perversion que suppose le pêche, et de comprendre tout ce que nous dit la foi. Nous devons nous rendre compte, même sur le plan humain, que l’ampleur de l’offense est proportionnelle à la condition de l’offensé, à sa valeur personnelle, à sa dignité sociale, à ses qualités. Or l’homme offense Dieu: la créature renie son Créateur.
Mais Dieu est amour. L’abîme de malice que le péché comporte a été franchi par une Charité infinie. Dieu n’abandonne pas les hommes. Les desseins divins prévoient que, pour réparer nos fautes, pour rétablir l’unité perdue, les sacrifices de l’Ancienne Loi ne suffisaient pas: il fallait le don de soi d’un homme qui fût Dieu. Nous pouvons imaginer – pour nous approcher d’une certaine manière de ce mystère insondable – que la Très Sainte Trinité se réunit en conseil, dans sa continuelle et intime relation d’amour et que le résultat, en quelque sorte, de cette décision éternelle, est que le Fils unique de Dieu le Père assume notre condition humaine, prend sur Lui nos misères et nos douleurs pour finir attaché au bois par des clous.
Ce feu, ce désir d’accomplir le décret salvateur de Dieu le Père, remplit toute la vie du Christ, dès sa naissance à Bethléem. Tout au long des trois années que les disciples vécurent avec Lui, ils L’entendirent répéter inlassablement que sa nourriture était de faire la volonté de Celui qui L’envoyait, jusqu’à ce que, dans le milieu de l’après-midi du premier Vendredi Saint, son immolation fût achevée. En inclinant la tête, Il rendit son esprit. C’est par ces mots que l’apôtre saint Jean nous décrit la mort du Christ: Jésus, sous le poids de la Croix et de toutes les fautes des hommes, meurt de la force et de la bassesse de nos pêchés.
Méditons sur le Seigneur blesse des pieds à la tête par amour pour nous. D’une phrase qui rend compte, tout au moins partiellement, de la réalité, nous pouvons répéter, avec un auteur vieux de plusieurs siècles: le corps de Jésus est un retable de douleurs. A la vue du Christ pareil à une guenille, corps inerte descendu de la Croix et confié à sa Mère, à la vue de ce Jésus brise, on pourrait conclure que cette scène est la preuve la plus claire d’une défaite. Où sont les masses qui le suivaient, et le Royaume dont Il annonçait l’avènement? Pourtant ce n’est pas une défaite mais une victoire: c’est maintenant que le moment de la Résurrection est plus proche que jamais, le moment de la manifestation de la gloire qu’Il a conquise par son obéissance.
96 Nous venons de revivre le drame du Calvaire, ce que je me permettrai d’appeler la première et fondamentale Messe célébrée par Jésus-Christ. Dieu le Père livre son Fils à la mort. Jésus, le Fils unique, embrasse le bois où l’on devait Le supplicier, et son sacrifice est accepté par le Père; comme un fruit de la Croix, l’Esprit Saint se répand sur l’humanité.
Dans la tragédie de la Passion notre propre vie se consomme, ainsi que l’histoire de l’humanité tout entière. La Semaine Sainte ne peut se réduire à un simple souvenir, puisqu’elle est la considération du mystère de Jésus-Christ se prolongeant dans nos âmes; le chrétien est oblige d’être alter Christus, un autre Christ, le Christ Lui-même. Par le baptême, nous avons tous été institués prêtres de notre propre existence pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ, et pour réaliser chacune de nos actions dans un esprit d’obéissance à la volonté de Dieu, perpétuant ainsi la mission de Dieu fait Homme.
Par contraste, cette réalité nous amène à nous arrêter sur nos misères, sur nos erreurs personnelles. Cette considération ne doit pas nous décourager, ni nous amener à l’attitude sceptique de celui qui a renoncé aux grands enthousiasmes. Car le Seigneur nous veut tels que nous sommes, participant à sa vie, luttant pour être saints. La sainteté: combien de fois prononçons-nous ce mot comme s’il sonnait creux. Pour beaucoup, c’est même un idéal inaccessible, un lieu commun de l’ascétique, et non une fin concrète, une réalité vivante. Ce n’était pas la conception des premiers chrétiens qui se qualifiaient, avec beaucoup de naturel et très fréquemment, mutuellement de saints: 8
tous les saints vous saluent, saluez chacun des saints dans le Christ Jésus.
Maintenant, placés comme nous le sommes devant cet instant du Calvaire, alors que Jésus est déjà mort et que la gloire de son triomphe ne s’est pas encore manifestée, nous avons une bonne occasion d’examiner nos désirs de vie chrétienne, de sainteté, pour réagir par un acte de foi à nos faiblesses et, confiants dans le pouvoir de Dieu, prendre la résolution d’introduire l’amour dans les affaires de notre journée. L’expérience du pêche doit nous conduire à la douleur, à une décision plus mûre et plus profonde d’être fidèles, de nous identifier véritablement au Christ, de persévérer coûte que coûte dans cette mission sacerdotale qu’Il a confiée à tous ses disciples sans exception et qui nous pousse à être sel et lumière du monde.
97 Penser à la mort du Christ se traduit par une invitation à nous situer avec une sincérité absolue devant notre devoir quotidien, à prendre au sérieux la foi que nous professons. La Semaine Sainte ne peut donc pas être une parenthèse sacrée dans le contexte d’une vie mue exclusivement par des intérêts humains; elle doit être une occasion de pénétrer dans la profondeur de l’amour de Dieu, pour pouvoir ainsi, par notre parole et par nos œuvres, le montrer aux hommes.
Mais le Seigneur fixe des conditions. Il est une de ses déclarations, que saint Luc nous rapporte, dont on ne peut faire abstraction: Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Ce sont là de dures paroles. Certes ni le verbe haïr ni le verbe détester n’expriment bien la pensée originelle de Jésus. Mais, de toute manière, ces paroles du Seigneur ont été fortes, puisqu’elles ne se réduisent pas non plus à un aimer moins, comme on les interprète parfois d’une manière édulcorée, pour adoucir la phrase. Cette expression tranchante est terrible, non parce qu’elle implique une attitude négative ou impitoyable, étant donne que le Jésus qui parle maintenant est le même qui ordonne d’aimer les autres comme sa propre âme, et qui donne sa vie pour les hommes: cette locution indique simplement que devant Dieu il n’y a pas de demi-mesures. On pourrait traduire les paroles du Christ par aimer plus, aimer mieux, ou par ne pas aimer d’un amour égoïste ni d’un amour à courte vue: nous devons aimer de l’amour de Dieu.
Voilà ce dont il s’agit. Fixons notre attention sur la dernière des exigences de Jésus: et animam suam. La vie, l’âme même, voilà ce que demande le Seigneur. Si nous sommes présomptueux, si nous ne nous soucions que de notre confort personnel, si nous centrons l’existence des autres et jusqu’à celle du monde sur nous-mêmes, nous n’avons pas le droit de nous appeler chrétiens, de nous considérer comme des disciples du Christ. Il faut se donner en œuvres et en vérité, et pas seulement en paroles. L’amour de Dieu nous invite à porter haut la Croix, à sentir aussi sur nous le poids de l’humanité entière et à accomplir, dans les circonstances propres à l’état et au travail de chacun, les desseins, clairs et aimants à la fois, de la volonté du Père. Dans le passage que nous commentons, Jésus continue: Quiconque ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut être mon disciple.
Acceptons sans peur la volonté de Dieu, prenons sans hésitation la résolution d’édifier toute notre vie en accord avec ce que notre foi nous enseigne et exige de nous. Soyons sûrs que nous y trouverons la lutte, la souffrance et la douleur, mais que, si nous possédons véritablement la foi, nous ne nous trouverons jamais malheureux Même dans la peine, même dans les calomnies, nous serons heureux, d’un bonheur qui nous poussera à aimer les autres, pour les faire participer à notre joie surnaturelle.
98 Être chrétien, ce n’est pas un titre de pure satisfaction personnelle: c’est un nom – une substance – qui suppose une mission. Nous rappelions auparavant que le Seigneur invite tous les chrétiens à être sel et lumière du monde; se faisant l’écho de ce commandement, et s’appuyant sur des textes tirés de l’Ancien Testament, saint Pierre définit très clairement la mission: vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour annoncer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.
Être chrétien n’est pas quelque chose d’accidentel, c’est une réalité divine qui s’insère au plus profond de notre vie, en nous donnant une vision claire et une volonté résolue d’agir comme Dieu le veut. C’est ainsi que l’on apprend que le pèlerinage du chrétien dans le monde doit devenir un continuel service, rendu de manière très différente selon les conditions de chacun, mais toujours par amour de Dieu et du prochain. Être chrétien c’est agir sans penser aux petits objectifs de prestige ou d’ambition, ni aux finalités qui peuvent paraître plus nobles, comme la philanthropie ou la compassion devant les malheurs d’autrui: c’est réfléchir jusqu’au terme ultime et radical de l’amour que Jésus-Christ nous a manifesté en mourant pour nous.
On rencontre parfois des attitudes qui proviennent de ce que l’on ne sait pas pénétrer dans ce mystère de Jésus. Par exemple, la mentalité de ceux qui voient dans le christianisme un ensemble de pratiques ou d’actes de piété, sans percevoir leur relation avec les situations de la vie courante et avec l’urgence que nous devons mettre à répondre aux besoins des autres et à tenter de remédier aux injustices.
Je dirai que celui qui a cette mentalité n’a pas encore compris ce que signifie l’incarnation du Fils de Dieu: qu’Il ait pris un corps, une âme et une voix d’homme, qu’Il ait participé à notre destinée jusqu’au point d’éprouver le déchirement suprême de la mort. Peut-être, sans le vouloir, certaines personnes considèrent-elles le Christ comme un étranger au milieu des hommes.
D’autres, en revanche, tendent à s’imaginer que, pour pouvoir être humains, il leur faut mettre en sourdine certains aspects centraux du dogme chrétien, et ils agissent comme si la vie de prière, la fréquentation continuelle de Dieu, constituaient une fuite devant leurs propres responsabilités et un abandon du monde. Ils oublient que c’est précisément Jésus qui nous a fait connaître jusqu’à quel point il faut vivre l’amour et l’esprit de service. C’est seulement si nous nous efforçons de comprendre les arcanes de l’amour de Dieu, de cet amour qui va jusqu’à la mort, que nous serons capables de nous donner totalement aux autres, sans nous laisser vaincre par la difficulté ou par l’indifférence.
99 C’est la foi dans le Christ, mort et ressuscité, présent à tous les moments de notre vie -- et en chacun d’entre eux –, qui illumine nos consciences, en nous invitant à participer de toutes nos forces aux vicissitudes et aux problèmes de l’histoire humaine. Dans cette histoire, qui a commencé avec la création du monde, et qui s’achèvera avec la consommation des siècles, le chrétien n’est pas un apatride. C’est un citoyen de la cité des hommes, avec une âme pleine du désir de Dieu, dont il commence à entrevoir l’amour dès cette étape temporelle et dans lequel il reconnaît la fin à laquelle nous sommes appelés, nous tous qui vivons sur terre.
Si mon témoignage personnel peut être de quelque intérêt, je peux dire que j’ai toujours conçu mon travail de prêtre et de pasteur d’âmes comme une tâche visant à situer chacun en face de toutes les exigences de sa vie, en l’aidant à découvrir ce que Dieu lui demande concrètement, sans mettre aucune limite à cette sainte indépendance et à cette bienheureuse responsabilité individuelle qui sont les caractéristiques d’une conscience chrétienne. Cette façon d’agir et cet esprit sont fondes sur le respect de la transcendance de la vérité révélée, et sur l’amour de la liberté de la créature humaine. Je pourrais ajouter qu’il se fonde aussi sur la certitude de l’indétermination de l’histoire, ouverte à de multiples possibilités, que Dieu n’a pas voulu fermer.
Suivre le Christ ne signifie pas se réfugier dans le temple, en haussant les épaules devant le développement de la société, devant les réussites ou les aberrations des hommes et des peuples La foi chrétienne, au contraire, nous pousse à voir le monde comme une création du Seigneur, à apprécier, par conséquent, tout ce qui est noble et tout ce qui est beau, à reconnaître la dignité de chaque personne, faite à l’image de Dieu, et à admirer ce don très spécial de la liberté, qui nous rend maîtres de nos propres actes et capables, avec la grâce du Ciel, de construire notre destin éternel.
Ce serait rapetisser la foi que de la réduire à une idéologie terrestre, en brandissant un étendard politico-religieux, pour condamner, au nom d’on ne sait quelle investiture divine, ceux qui ne pensent pas de la même manière que nous sur des problèmes qui sont, de par leur nature, susceptibles de recevoir des solutions nombreuses et diverses.
100 La digression que je viens de faire n’a d’autre but que de mettre en lumière une vérité centrale. rappeler que la vie chrétienne trouve son sens en Dieu. Les hommes n’ont pas été crées seulement pour édifier le monde le plus juste possible: nous avons aussi été établis sur la terre pour entrer en communion avec Dieu Lui-même. Jésus ne nous a promis ni la commodité temporelle ni la gloire terrestre, mais la maison de Dieu le Père, qui nous attend au bout du chemin.
La liturgie du Vendredi Saint comprend une hymne merveilleuse: la Crux Fidelis. Cette hymne nous invite à chanter et à célébrer le glorieux combat du Seigneur, le trophée de la Croix, l’illustre triomphe du Christ: le Rédempteur de l’Univers vainc, tout en étant immolé. Dieu, maître de tout ce qui est créé, n’affirme pas sa présence par la force des armes, ni même par le pouvoir temporel des siens, mais par la grandeur de son amour infini.
Le Seigneur ne détruit pas la liberté de l’homme: c’est précisément Lui qui nous a rendus libres. C’est pourquoi Il ne veut pas de réponses forcées, mais Il veut des décisions qui sortent de l’intimité du cœur. Et Il attend de nous, chrétiens, que nous vivions de telle manière que ceux qui nous connaissent perçoivent, au-delà de nos propres misères, erreurs et déficiences, l’écho du drame d’amour du Calvaire. Tout ce que nous avons, nous l’avons reçu de Dieu, pour être sel qui donne la saveur, lumière qui porte aux hommes cette joyeuse nouvelle: Dieu est un Père aimant sans mesure. Le chrétien est sel et lumière du monde, non parce qu’il vainc ou triomphe, mais parce qu’il rend témoignage de l’amour de Dieu; et il ne sera pas sel s’il ne sert pas à saler; il ne sera pas lumière si, par son exemple et par sa doctrine, il n’offre pas un témoignage de Jésus, s’il perd ce qui constitue la raison d’être de sa vie.
101 Il convient que nous nous pénétrions de ce que nous révèle la mort du Christ, sans nous arrêter à des formes extérieures ou à des phrases stéréotypées.
Il faut que nous nous plongions véritablement dans les scènes que nous revivons ces jours-ci: la douleur de Jésus, les larmes de sa Mère, la fuite des disciples, le courage des saintes femmes, l’audace de Joseph et de Nicodème, qui demandent à Pilate le corps du Seigneur.
Approchons-nous, en somme, de Jésus mort, de cette Croix qui se détache au sommet du Golgotha. Mais approchons-nous en avec sincérité, en sachant trouver ce recueillement intérieur qui est un signe de maturité chrétienne. Les événements, divins et humains, de la Passion, pénétreront ainsi dans notre âme comme une parole que Dieu nous adresse, pour dévoiler les secrets de notre cœur et nous révéler ce qu’Il attend de nos vies.
Il y a de nombreuses années j’ai vu un tableau qui m’est resté gravé profondément dans la mémoire. Il représentait la Croix du Christ avec, à côte, trois anges: l’un pleurait amèrement, l’autre avait un clou à la main, comme pour se convaincre que tout ceci était vrai; le troisième était recueilli en prière. Programme toujours actuel pour chacun de nous: pleurer, croire et prier.
Devant la Croix, éprouvons de la douleur pour nos péchés, pour les péchés de l’humanité, qui menèrent Jésus à la mort; manifestons notre foi, pour pénétrer cette vérité sublime qui dépasse tout entendement et pour nous émerveiller devant l’amour de Dieu; prions, pour que la vie et la mort du Christ deviennent le modèle et le stimulant de notre vie et de notre générosité Alors seulement nous pourrons nous appeler vainqueurs; parce que le Christ ressuscité vaincra en nous et la mort se transformera en vie.
102 Le Christ vit. La voilà la grande vérité qui donne son contenu à notre foi. Jésus, qui est mort sur la croix, est ressuscite; Il a triomphé de la mort, de la puissance des ténèbres, de la douleur et de l’angoisse. Ne vous effrayez pas, s’écrie l’ange en saluant les femmes qui se rendent au sépulcre; ne vous effrayez pas. C’est Jésus le Nazaréen que vous cherchez, le Crucifie: Il est ressuscité, Il n’est pas ici. Hæc est dies quam fecit Dominus, exultemus et lætemur in ea; voici le jour que fit Yahvé, pour nous allégresse et joie.
Le temps pascal est un temps de joie, d’une joie qui ne se limite pas à cette seule époque de l’année liturgique, mais qui réjouit à tout moment le cœur du chrétien. Car le Christ vit: le Christ n’est pas une figure qui n’a fait que passer, qui n’a existé qu’un certain temps et qui s’en est allée en nous laissant un souvenir et un exemple admirables.
Non: le Christ vit. Jésus est l’Emmanuel: Dieu est avec nous. Sa résurrection nous révèle que Dieu n’abandonne pas les siens. Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit, cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles? Même s’il s’en trouvait une pour oublier, moi, je ne t’oublierai jamais, avait-Il promis. Et Il a tenu parole. Dieu continue à faire ses délices parmi les enfants des hommes.
103 Le Christ vit dans le chrétien. La foi nous dit que l’homme en état de grâce est divinise. Nous sommes des hommes et des femmes, non des anges. Des êtres en chair et en os, avec un cœur et des passions, des tristesses et des joies. Mais la divinisation s’accomplit dans l’homme tout entier, comme une anticipation de la résurrection glorieuse. Mais non, le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ.
La vie du Christ est notre vie, selon ce qu’Il a promis à ses apôtres, le jour de la dernière Cène: Si quelqu’un m’aime il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure. Le chrétien doit, par conséquent, vivre selon la vie du Christ, en faisant siens les sentiments du Christ, de manière à pouvoir s’écrier avec saint Paul, non vivo ego, vivit vero in me Christus, et si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi.
104 J’ai tenu à rappeler, brièvement, certains des aspects de cette existence actuelle du Christ – Iesus Christus heri et hodie; ipse et in sæcula – parce que le fondement de toute la vie chrétienne est là. Si nous regardons autour de nous et que nous considérons le cours de l’histoire de l’humanité nous observons des progrès, des améliorations. La science a donné à l’homme une conscience plus étendue de son pouvoir. La technique domine la nature plus fortement que par le passé et, par elle, l’humanité rêve d’atteindre un plus haut niveau de culture, de vie matérielle, d’unité.
Certains, peut-être, se sentent enclins à nuancer ce tableau, en rappelant que les hommes souffrent aujourd’hui d’injustices et de guerres, qui sont même pires que par le passé. Ils n’ont pas tort. Mais, au-delà de ces réflexions, le préfère, quant à moi, rappeler que dans l’ordre religieux l’homme reste l’homme et que Dieu reste Dieu. Dans ce domaine, le comble du progrès est déjà atteint: c’est le Christ, alpha et oméga, commencement et fin.
Dans la vie spirituelle, il n’y a pas de nouvelle époque à laquelle il faudrait parvenir. Tout a déjà été donné dans le Christ, qui est mort, qui est ressuscité, qui vit et demeure toujours. Mais il nous faut nous unir à Lui par la foi, en laissant sa vie se manifester en nous, afin que l’on puisse dire que chaque chrétien est non plus alter Christus, mais ipse Christus, le Christ lui-même!
105 Instaurare omnia in Christo, telle est la devise que saint Paul donne aux chrétiens d’Ephèse; ordonner toutes choses selon l’esprit de Jésus, placer le Christ au sein même de toutes choses. Si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tout à moi. Le Christ, par son incarnation, par sa vie de travail à Nazareth, par sa prédication et ses miracles dans les terres de Judée et de Galilée, par sa mort sur la Croix, par sa résurrection, est le centre de la création, l’Aîné et le Seigneur de toute créature.
Notre mission de chrétiens est de proclamer cette Royauté du Christ, de l’annoncer par nos paroles et par nos œuvres. Le Seigneur veut que les siens soient présents à tous les carrefours de la terre. Il en appelle certains au désert afin que, se désintéressant des péripéties de la société des hommes, ils témoignent aux autres que Dieu existe. A d’autres, Il confie le ministère sacerdotal. Mais Il veut que le plus grand nombre des siens reste au milieu du monde, dans les occupations terrestres. Par conséquent, ces chrétiens-là doivent porter le Christ dans tous les milieux où s’accomplissent les taches humaines: à l’usine, au laboratoire, dans les champs, dans l’atelier de l’artisan, dans les rues de la grande ville et sur les sentiers des montagnes.
J’aime évoquer à ce propos la conversation du Christ avec les disciples d’Emmaüs. Jésus chemine aux cotes de ces deux hommes qui ont presque perdu tout espoir, de sorte que la vie leur paraît n’avoir plus de sens. Il comprend leur douleur, pénètre dans leur cœur, leur inculque un peu de la vie qu’Il porte en Lui.
Quand, arrivant au village, Jésus fait mine de poursuivre son chemin, les deux disciples Le retiennent et Le forcent presque à rester près d’eux. Ils Le reconnaissent ensuite, lorsqu’Il rompt le pain: le Seigneur était avec nous s’écrient-ils. Et ils se dirent l’un à l’autre: « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand Il nous parlait en chemin et qu’Il nous expliquait les Écritures? ». Chaque chrétien doit permettre au Christ d’être présent parmi les hommes; il doit se comporter de telle manière que ceux qui le fréquentent perçoivent le bonus odor Christi, la bonne odeur du Christ; il doit agir de sorte qu’on puisse découvrir le visage du Maître à travers les actions du disciple.
106 Le chrétien se sait greffé sur le Christ par le baptême, habilité à lutter pour le Christ par la confirmation, appelé à agir dans le monde par sa participation à la fonction royale, prophétique et sacerdotale du Christ, devenu une seule et même chose avec le Christ par l’Eucharistie, sacrement de l’unité et de l’amour. C’est pourquoi, comme le Christ, il doit vivre face aux autres hommes, en regardant avec amour chacun de ceux qui l’entourent ainsi que l’humanité tout entière.
La foi nous porte à reconnaître Dieu dans le Christ, à voir en Lui notre Sauveur, à nous identifier avec Lui, à œuvrer comme Il a œuvré. Après avoir tiré l’apôtre Thomas de ses doutes en lui montrant ses plaies, le Ressuscité s’écrie: Heureux ceux qui croiront sans avoir vu. Ici – explique saint Grégoire le Grand il est question de nous d’une manière particulière, car nous possédons spirituellement Celui que nous n’avons pas vu corporellement. Il est question de nous, mais à condition que nos actes soient conformes à notre foi. Seul croit véritablement celui qui, dans ses œuvres, met en pratique ce qu’il croit C’est pourquoi, à propos de ceux qui ne possèdent de la foi que les paroles, saint Paul a dit: ils font profession de connaître Dieu, et ils le renient par leurs actes.
Il n’est pas possible de séparer, chez le Christ, son être de Dieu-Homme de sa fonction de Rédempteur. Le Verbe s’est fait chair et Il est venu sur la terre ut omnes homines salvi fiant, pour sauver tous les hommes. Avec nos misères et nos limitations personnelles, nous sommes d’autres Christs, le Christ Lui même et nous aussi sommes appelés à servir tous les hommes.
Il est nécessaire que retentisse sans cesse ce commandement qui demeurera nouveau à travers les siècles. Bien-aimés – écrit saint Jean –, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris mais un commandement ancien que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c’est un commandement nouveau que je vous écris, lequel s’est vérifié en Jésus-Christ et en vous, puisque les ténèbres s’en vont et que déjà la véritable lumière brille. Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère, est encore dans les ténèbres. Celui qui aime son frère, demeure dans la lumière, et il n’y a en lui aucune occasion de chute.
Notre Seigneur est venu apporter la paix, la bonne nouvelle, la vie à tous les hommes. Pas seulement aux riches, ni seulement aux pauvres. Pas seulement aux sages, ni seulement aux naïfs. A nous tous qui sommes frères, car nous sommes frères, étant les fils d’un même Père, Dieu. Il n’y a donc qu’une race, la race des enfants de Dieu, Il n’y a qu’une couleur: la couleur des enfants de Dieu. Et il n’y a qu’une langue: celle qui parle au cœur et à l’esprit et qui, sans avoir besoin de mots, nous fait connaître Dieu et nous fait nous aimer les uns les autres.
107 C’est cet amour du Christ que chacun d’entre nous doit s’efforcer de réaliser dans sa propre vie. Mais pour être ipse Christus il faut se regarder en Lui. Il ne suffit pas d’avoir une idée générale de l’esprit qui était celui de Jésus; encore faut-il apprendre de Lui des manières et des attitudes. Et surtout, il faut contempler sa vie, son passage sur la terre, ses traces, pour en tirer force, lumière, sérénité, paix.
Quand on aime quelqu’un, on désire connaître tous les détails de sa vie et de son caractère, de façon à s’identifier à lui. C’est pourquoi nous devons méditer la vie de Jésus, depuis sa naissance dans une crèche, jusqu’à sa mort et à sa résurrection. Dans les premières années de mon travail sacerdotal, j’avais l’habitude d’offrir des exemplaires de l'Évangile ou de livres racontant la vie de Jésus. Car il nous faut bien la connaître, l’avoir tout entière dans notre tête et dans notre cœur, afin qu’à tout moment, sans qu’il soit besoin d’aucun livre, en fermant les yeux, nous puissions la voir comme dans un film; afin qu’en toute circonstance les paroles et les actes du Seigneur nous reviennent en mémoire.
C’est ainsi que nous nous sentirons mêlés à sa vie. En effet il ne s’agit pas seulement de penser à Jésus, de nous représenter des scènes de sa vie: nous devons y entrer de plain-pied et en être des acteurs. Nous devons suivre le Christ d’aussi près que la Vierge Marie sa Mère, d’aussi près que les douze apôtres, que les saintes femmes et que les foules qui s’amassaient autour de Lui. Si nous agissons de la sorte, si nous n’y faisons pas obstacle, les paroles du Christ pénétreront jusqu’au fond de nos âmes et nous transformeront. Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur.
Il faut aller à l'Évangile et examiner l’amour du Christ, si nous voulons mener les autres au Seigneur. Nous devons nous arrêter sur les scènes capitales de la Passion, car, comme Il l’a dit Lui-même, il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Mais nous pouvons considérer également le reste de sa vie, la façon dont Il traitait ordinairement ceux qui Le rencontraient.
Pour faire parvenir aux humains sa doctrine de salut et leur manifester l’amour de Dieu, le Christ, Dieu parfait et Homme parfait, a procédé d’une manière à la fois humaine et divine. Dieu condescend à devenir homme. Il prend notre nature sans réserves, à ‘exception du péché.
J’éprouve une joie profonde à la pensée que le Christ ait voulu être pleinement homme et ait voulu revêtir notre chair. Je suis ému en voyant cette merveille: un Dieu qui aime avec le cœur d’un homme.
108 Parmi tant de scènes que nous rapportent les évangélistes, attardons-nous à en considérer certaines et commençons par les récits qui nous montrent la façon dont Jésus traitait les Douze. L’apôtre Jean, qui verse dans son Évangile l’expérience de toute une vie, raconte cette première conversation avec le charme de la chose jamais oubliée. « Rabbi – ce mot signifie Maître –, où demeures-tu? » « Venez et voyez » leur dit-Il Ils allèrent donc et virent où Il demeurait et ils restèrent auprès de Lui ce jour-là.
Dialogue divin et humain qui a transformé les vies de Jean et d’André, de Pierre, de Jacques et de tant d’autres et qui a préparé leur cœur à écouter la parole impérieuse que Jésus leur adressait près de la mer de Galilée. Comme Il cheminait le long de la mer de Galilée, Il aperçut deux frères, Simon – celui qu’on appelle Pierre –et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit: « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant là leurs filets, ils Le suivirent.
Au cours des trois années suivantes, Jésus vit en compagnie de ses disciples, Il les connaît, Il répond à leurs questions, Il dissipe leurs doutes. C’est le Rabbi, le Maître qui parle avec autorité, le Messie envoyé par Dieu. Mais Il est aussi accessible et proche. Un jour Jésus se retire pour prier; les disciples se trouvaient non loin, et peut-être Le regardaient-ils, essayant de deviner ses paroles. Quand Jésus revient l’un d’entre eux Lui demande: Domine doce nos orare, sicut docuit et Ioannes discipulos suos; apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples. Et Jésus leur répondit: « Quand vous priez, dites: Père, que ton Nom soit sanctifié... ».
C’est avec l’autorité d’un Dieu et avec l’amour d’un homme que le Seigneur reçoit aussi les apôtres qui, tout étonnés des fruits de leur première mission, lui parlent des prémices de leur apostolat: Venez, vous-mêmes, à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu.
Une scène fort semblable se répète vers la fin du séjour de Jésus sur la terre, peu avant l’Ascension. Au lever du jour, Jésus parut sur le rivage; mais les disciples ne savaient pas que c’était Lui. Jésus leur dit: « Les enfants, avez-vous du poisson? » C’est l’homme qui a posé cette question et c’est Dieu qui poursuit: « Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez. » Ils le jetèrent donc et ils ne parvenaient plus à le relever, tant il était plein de poissons. Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre: « C’est le Seigneur! »
Et Dieu les attend sur la rive: Une fois descendus à terre, ils aperçoivent un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain. Jésus leur dit: « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre » Simon Pierre remonta dans la barque, et tira à terre le filet, plein de gros poissons: cent cinquante-trois; et quoi qu’il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. Jésus leur dit: « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n’osait lui demander: « Qui es-tu? », car ils savaient bien que c’était le Seigneur. Alors Jésus s’approche, prend le pain et le leur donne; et de même les poissons.
Jésus ne manifeste pas cette délicatesse et cette tendresse seulement à l’égard d’un petit groupe de disciples, mais à l’égard de tous; à l’égard des saintes femmes, à l’égard des représentants du Sanhédrin tels que Nicodème, à l’égard des publicains tels que Zachée, à l’égard des malades et des bien portants, à l’égard des docteurs de la loi et des païens, à l’égard des individus comme à l’égard des foules.
Les Évangiles nous racontent que Jésus n ‘ avait pas où poser la tête, mais ils nous disent également qu’Il avait des amis chers et de confiance, toujours désireux de l’accueillir chez eux. Ils nous parlent également de sa compassion pour les malades, de la peine qu’Il éprouvait en présence des ignorants et de ceux qui se trompent. Ils nous parlent de son indignation devant l’hypocrisie. Jésus pleure la mort de Lazare, se fâche contre les marchands qui profanent le temple, et laisse son cœur s’attendrir devant la douleur de la veuve de Naïm.
109 Chacun de ces gestes humains est un geste de Dieu. Car en Lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité. Le Christ est Dieu fait homme, homme parfait, homme complet. Et dans l’ordre humain, Il nous fait connaître la divinité.
En rappelant cette délicatesse humaine du Christ, qui dépense sa vie au service des autres, nous faisons beaucoup plus que décrire une éventuelle façon de se conduire. Nous sommes en train de découvrir Dieu. Toute oeuvre du Christ possède une valeur transcendante: elle nous fait connaître la façon d’être de Dieu, nous invite à croire à l’amour de ce Dieu, qui nous a créés et qui veut nous introduire dans son intimité. J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, et tu me les a donnés et ils ont gardé ta parole. Maintenant ils savent que tout ce que tu m’as donné vient de toi, s’écriait Jésus dans la longue prière que nous conserve l’évangéliste Jean.
C’est pourquoi les rapports de Jésus avec les hommes ne restent pas au niveau des paroles ni des attitudes superficielles. Jésus prend l’homme au sérieux et veut lui faire connaître le sens divin de sa vie. Jésus sait être exigeant, il sait placer les hommes face à leurs devoirs, et sait tirer ceux qui l’écoutent de l’aisance et du conformisme, afin de les amener à connaître Dieu trois fois saint. La faim et la douleur émeuvent Jésus, moins toutefois que l’ignorance. En débarquant, Il vit une grande foule et Il en eut pitié, car ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et Il se mit à les instruire longuement.
110 Nous avons parcouru quelques pages des saints Évangiles pour contempler Jésus dans ses relations avec les hommes et pour apprendre, étant nous-mêmes le Christ, à Le porter à nos frères. Appliquons cette leçon à notre vie ordinaire, à la vie de chacun d’entre nous. Car la vie courante et ordinaire, celle que vit un homme parmi les autres citoyens, ses égaux, n’est pas une petite chose sans relief. C’est précisément à travers les circonstances de cette vie que le Seigneur veut que l’immense majorité de ses fils se sanctifie.
Il importe de répéter sans cesse que Jésus ne s’est pas adresse à un groupe de privilégiés mais qu’Il est venu nous révéler l’amour universel de Dieu. Tous les hommes sont aimés de Dieu et Il attend de tous leur amour. De tous, quels que soient leurs conditions personnelles, leur position sociale, leur profession ou leur métier. La vie courante et ordinaire n’est pas chose de peu de valeur: tous les chemins de la terre peuvent être l’occasion d’une rencontre avec le Christ, et Il nous invite à nous identifier à Lui pour accomplir – à l’endroit où nous sommes – sa mission divine.
Dieu nous appelle à travers les incidents de la vie de chaque jour, à travers la souffrance et la joie des personnes avec lesquelles nous vivons, à travers les aspirations humaines de nos compagnons, à travers les petits riens de la vie familiale. Dieu nous appelle également à travers les grands problèmes, les conflits et les taches qui marquent chaque époque historique et suscitent l’effort et l’espoir d’une grande partie de l’humanité.
111 On comprend fort bien l’impatience, l’angoisse, les désirs inquiets de ceux dont l’âme naturellement chrétienne ne peut se résigner à l’injustice personnelle et sociale dont le cœur humain est capable. Tant de siècles de coexistence entre les hommes et tant de haine encore, tant de destruction, tant de fanatisme, accumules dans le regard de ceux qui ne veulent point voir et dans le cœur de ceux qui ne veulent point aimer.
Les biens de la terre répartis entre quelques-uns; les biens de la culture enfermés dans les cénacles. Et au-dehors la faim de pain et de savoir, et les vies humaines, pourtant saintes, puisque venant de Dieu, traitées comme de simples choses, comme des éléments d’un calcul statistique. Je comprends et je partage cette impatience qui me fait lever les yeux vers le Christ, ce Christ qui nous invite sans cesse à mettre en pratique ce commandement nouveau de l’amour.
Toutes les situations auxquelles nous sommes confrontés au cours de notre vie sont autant de messages divins, qui nous demandent une réponse d’amour, un don de nous-mêmes aux autres. Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors Il prendra place sur son trône de gloire. Devant Lui seront rassemblées toutes les nations, et Il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche.
Alors le Roi dira à ceux de droite: « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donne à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venu me vol r. » Alors les justes Lui répondront,– « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou en prison et de venir à toi?» Le Roi leur fera cette réponse: «En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ».
Il faut reconnaître dans nos frères les hommes le Christ, qui vient à notre rencontre. Nulle vie humaine ne peut être considérée isolément: elle s’entrelace aux autres vies. Nul n’est un vers détaché; nous faisons tous partie d’un même poème divin que Dieu écrit avec le concours de notre liberté.
112 Rien ne peut être étranger au zèle du Christ. Si nous cherchons la profondeur théologique, c’est-à-dire si nous ne nous limitons pas à un classement fonctionnel mais raisonnons avec rigueur, nous ne pourrons pas dire qu’il y ait des réalités – bonnes, nobles, voire indifférentes – exclusivement profanes, dès lors que le Verbe de Dieu a fixé sa demeure parmi les enfants des hommes, dès lors qu’Il a eu faim et soif, qu’Il a travaillé de ses mains, qu’Il a connu l’amitié et l’obéissance, qu’Il a éprouvé la douleur et subi la mort. Car chez le Christ, Dieu s’est plu à faire habiter en Lui toute la Plénitude et par Lui à réconcilier tous les êtres pour Lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix.
Nous devons aimer le monde, le travail, les réalités humaines, car le monde est bon; c’est le pêche d’Adam qui a brisé la divine harmonie de la création. Mais Dieu le Père a envoyé son Fils unique pour rétablir la paix, afin que nous, devenus ses enfants d’adoption, nous puissions libérer la création du désordre et réconcilier toutes choses avec Dieu.
Aucune situation humaine ne saurait se répéter; chacune est le fruit d’une vocation unique qui doit être vécue avec intensité et dans laquelle l’esprit du Christ doit être réalisé. Ainsi, en vivant chrétiennement parmi nos égaux, une vie ordinaire, mais conforme à notre foi, nous serons le Christ présent parmi les hommes.
113 Lorsque nous considérons la dignité de la mission à laquelle Dieu nous appelle il se peut que l’âme humaine en conçoive de la présomption, de l’orgueil. Fausse vision de la vocation chrétienne que cette vision aveugle, qui nous fait oublier que nous sommes faits de boue, que nous sommes poussière et misère, que non seulement le mal est dans le monde, autour de nous, mais encore qu’il est en nous, qu’il loge dans notre cœur même et qu’il nous rend capables de vilenies et d’égoïsmes. Seule la grâce de Dieu est un rocher solide; nous ne sommes que sable, que sable mouvant.
Si l’on parcourt l’histoire des hommes et si l’on analyse la situation actuelle du monde, on souffre de voir qu’après vingt siècles il y a si peu de gens à s’appeler chrétiens et que ceux qui se parent de ce nom sont si souvent infidèles à leur vocation. Voici quelques années, une personne qui ne manquait pas de cœur, mais qui n’avait pas la foi, me montrait une mappemonde et me disait: Vous avez là l’échec du Christ! Depuis tant de siècles qu’Il essaie de mettre sa doctrine dans l’âme des hommes, voyez les résultats: il n’y a pas de chrétiens.
Il ne manque pas de gens pour penser ainsi, de nos jours encore. Mais le Christ n’a pas échoué: sa parole et sa vie fécondent constamment le monde. L’oeuvre du Christ, la tache que son Père Lui a confiée, sont en train de se réaliser: sa force traverse l’histoire, y apportant la vraie vie, et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous.
Dans cette tâche qu’Il accomplit dans le monde, Dieu a voulu que nous soyons ses coopérateurs, Il a voulu courir le risque résultant de notre liberté. Je suis touché jusqu’au fond de l’âme par la figure de Jésus, nouveau-né, à Bethléem: elle est celle d’un enfant faible et sans défense, incapable d’offrir la moindre résistance. Dieu se livre aux mains des hommes, s’approche et s’abaisse jusqu’à nous.
Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais Il s’anéantit Lui-même, prenant la condition d’esclave. Dieu condescend à se mettre au niveau de notre liberté, de notre imperfection, de nos misères. Il consent à ce que les trésors divins soient portés dans des vases d’argile, à ce que nous Le fassions connaître en mêlant nos déficiences humaines à sa force divine.
114 L’expérience du péché ne doit donc pas nous faire douter de notre mission. Certes il est possible qu’il soit difficile de reconnaître en nous le Christ à cause de nos péchés. Nous devons donc affronter nos propres misères, chercher la purification, en sachant, toutefois, que Dieu ne nous a pas promis la victoire absolue sur le mal en cette vie, mais qu’Il nous demande de lutter. Sufficit tibi gratia mea, ma grâce te suffit, répondait Dieu à Paul, qui sollicitait d’être délivré de l’écharde qui l’humiliait.
Le pouvoir de Dieu se manifeste dans notre faiblesse. Il nous aide à lutter, à combattre nos défauts, encore que nous sachions que nous n’emporterons jamais une victoire complète dans notre vie terrestre. La vie chrétienne est un perpétuel commencement et recommencement, un renouvellement de chaque jour.
Le Christ ressuscite en nous, si nous participons à sa Croix et à sa Mort. Nous devons aimer la Croix, le dévouement, la mortification. L’optimisme chrétien n’est pas un optimisme douceâtre Ce n’est pas davantage une humaine confiance que tout nous réussira. C’est un optimisme qui plonge ses racines dans la conscience de la liberté et dans la foi en la grâce; c’est
un optimisme qui nous impose d’exiger beaucoup de nous, de nous efforcer à répondre à l’appel de Dieu.
C’est de cette façon, non pas malgré notre misère, mais en quelque sorte à travers elle, à travers notre vie d’hommes faits de chair et de boue, que se manifeste le Christ. C’est dans nos efforts pour devenir meilleurs, pour vivre un amour qui aspire à être pur, pour dominer l’égoïsme, pour nous donner pleinement aux autres et faire de notre existence un service constant.
115 Je ne voudrais pas terminer sans vous livrer une ultime réflexion. En assurant la présence du Christ parmi les hommes, en étant lui-même ipse Christus, le chrétien n’essaie pas seulement de se comporter avec amour, mais il tente aussi de faire connaître l’amour de Dieu, à travers cet amour humain qui est le sien.
Jésus a conçu toute sa vie comme la révélation de cet amour: Philippe, répondait-Il à l’un de ses disciples, qui m’a vu, a vu le Père. Suivant cet enseignement, l’apôtre Jean invite les chrétiens, puisqu’ils ont connu l’amour de Dieu, à le manifester dans leurs œuvres: Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu.
Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est Amour. En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par Lui. En ceci consiste son amour: ce n’est pas nous qui avons aime Dieu, mais c’est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
116 Il est donc nécessaire que notre foi soit vive, qu’elle nous pousse réellement à croire en Dieu et à entretenir avec Lui un dialogue continuel. La vie chrétienne doit être vie de prière constante: nous devons essayer d’être en présence du Seigneur du matin au soir et du soir au matin. Le chrétien n’est jamais un homme solitaire, puisqu’il est en rapport constant avec Dieu, qui est à côté de nous et dans les cieux.
Sine intermissione orate, ordonne l’apôtre, priez sans cesse. Rappelant ce précepte apostolique, Clément d’Alexandrie écrit: Il nous est commandé de louer et d’honorer le Verbe, dont nous savons qu’Il est le sauveur et le roi; et par Lui, le Père, non pas en des jours choisis, comme d’autres le font, mais constamment tout au long de notre vie, et de toutes les façons possibles.
Au milieu des occupations de la journée, à l’instant de vaincre la tendance à l’égoïsme, lorsque nous éprouvons la joie de l’amitié envers les autres hommes, dans tous ces moments-là, le chrétien doit retrouver Dieu. Par le Christ et dans l’Esprit-Saint, le chrétien accède à l’intimité de Dieu le Père, et il parcourt son chemin en cherchant ce royaume qui, bien que n’étant pas de ce monde, se prépare et commence dans ce monde.
Il faut fréquenter le Christ, dans la Parole et dans le Pain, dans l’Eucharistie et dans la prière. Et Le fréquenter comme on fréquente un ami, un être réel et vivant comme l’est le Christ, puisqu’Il est ressuscité. Mais Lui, lisons-nous dans l'Épître aux Hébreux, du fait qu’Il demeure pour l’éternité, Il a un sacerdoce immuable. D’où il résulte qu’Il est capable de sauver de façon définitive ceux qui par Lui s’avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
Le Christ, le Christ ressuscité, c’est le compagnon, c’est l’Ami. Un compagnon qui ne se laisse voir que dans la pénombre, mais dont la réalité remplit toute notre vie et nous fait désirer sa compagnie définitive. L’Esprit et l'Épouse disent: « Viens! » Que celui qui écoute dise: « Viens! » Et que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie, gratuitement... Le garant de ces révélations l’affirme: « Oui, mon retour est Proche! » Oh oui, viens, Seigneur Jésus!
117 La liturgie nous propose, une fois de plus, le dernier mystère de la vie de Jésus-Christ parmi les hommes: son Ascension au ciel. Depuis sa naissance à Bethléem que de choses se sont passées: nous L’avons trouvé dans la crèche, adoré par des bergers et par des rois; nous L’avons contemplé pendant ces longues années de travail silencieux, à Nazareth; nous L’avons accompagné à travers les terres de Palestine, prêchant le Royaume de Dieu aux hommes et faisant du bien à tous. Et, plus tard, lors de sa Passion, nous avons souffert en voyant comment on L’accusait, avec quelle cruauté on Le maltraitait, avec quelle haine on Le crucifiait.
La joie éclatante de la Résurrection a succédé à la douleur. Quel ferme et lumineux appui pour notre foi! Nous ne devrions plus douter. Mais peut-être, comme les apôtres, sommes-nous encore faibles et, en ce jour de l’Ascension, demandons-nous au Christ: Est-ce maintenant que tu vas rétablir le royaume d’Israël? Est-il arrivé, le moment ou tous nos doutes et toutes nos misères vont disparaître définitivement?
Le Seigneur nous répond en montant au ciel. Nous aussi, comme les apôtres, nous restons à la fois tristes et émerveillés en voyant qu’Il nous quitte. Il n’est pas facile réellement de s’habituer à l’absence physique de Jésus, Je suis ému en pensant que – comble de l’amour! – Il est à la fois parti et resté. Il est allé au ciel, et Il se donne à nous comme aliment dans l’Hostie Sainte. Cependant, sa parole humaine, sa manière d’agir, de regarder, de sourire et de faire le bien nous manquent. Nous aimerions Le contempler encore lorsqu’Il s’assied à côté du puits, fatigué par la dureté du chemin, quand Il pleure sur Lazare, quand Il prie longuement, quand Il a pitié de la foule.
Il m’a toujours paru logique que la Très Sainte Humanité de Jésus-Christ monte dans la gloire du Père, et cela m’a toujours rempli de joie, mais je pense aussi que cette tristesse, propre au jour de l’Ascension, est une marque de l’amour que nous ressentons pour Jésus Notre Seigneur. Lui qui, étant Dieu parfait, s’est fait homme, homme parfait, chair de notre chair et sang de notre sang. Et Il nous quitte pour aller au ciel. Comment ne nous manquerait-Il pas?
118 Si nous savons contempler le mystère du Christ, si nous nous efforçons de le voir avec des yeux limpides, nous nous rendrons compte que, même maintenant, il nous est possible d’entrer dans l’intimité de Jésus, corps et âme. Le Christ nous a clairement montré le chemin: le Pain et la Parole; nous nourrir de l’Eucharistie, connaître et accomplir ce qu’Il est venu nous apprendre, et en même temps parler avec Lui dans la prière. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Celui qui a mes commandements et les garde, voilà celui qui m’aime, et celui qui m’aime sera aimé de mon Père et je l’aimerai et je me manifesterai à lui.
Ce ne sont pas seulement des promesses. C’est le fond, la réalité d’une vie authentique: la vie de la grâce qui nous incite à rencontrer Dieu, personnellement et directement. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour. Cette affirmation de Jésus, lors de la dernière Cène, est le meilleur préambule au jour de l’Ascension. Le Christ savait que son départ était nécessaire, car, d’une manière mystérieuse que nous n’arrivons pas à comprendre, après l’Ascension devait venir – nouvelle effusion de l’Amour divin – la troisième Personne de la Très Sainte Trinité: Je vous dis la vérité: il vaut mieux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous. Mais si je pars, je vous l’enverrai.
Il est parti, et Il nous envoie le Saint-Esprit, qui dirige et sanctifie notre âme. Le Paraclet, en agissant en nous, confirme ce que le Christ nous annonçait: que nous sommes enfants de Dieu; que nous n’avons pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte, mais un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba, Père!.
Voyez-vous? C’est la l’action de la Trinité dans nos âmes. Tout chrétien peut accéder à cette inhabitation de Dieu au plus intime de son être, s’il répond à la grâce qui nous pousse à nous unir au Christ dans le Pain et la Parole, dans la Sainte Hostie et dans la prière. L'Église propose quotidiennement à notre méditation la réalité du Pain de Vie, et elle lui consacre deux des grandes fêtes de l’année liturgique: le Jeudi Saint et la Fête-Dieu. En ce jour de l’Ascension, nous allons considérer nos rapports avec Jésus, en écoutant attentivement sa Parole.
119 Une prière au Dieu de ma vie. Si Dieu est vie pour nous, nous ne devons pas nous étonner que notre existence de chrétien doive être tissée de prière. Mais ne pensez pas que la prière soit un acte qu’on accomplit, pour l’abandonner ensuite. Le juste se plaît dans la loi de Yahvé et murmure sa loi jour et nuit. Le matin je pense à toi; et le soir, ma prière monte vers toi comme l’encens. La journée entière peut être prière; du soir au matin et du matin au soir. Bien plus: comme le rappelle l'Écriture Sainte, le sommeil aussi doit être prière.
Rappelez-vous ce que les Évangiles nous disent de Jésus. Il passait parfois la nuit entière en conversation intime avec son Père. Comme les premiers disciples aimaient la figure du Christ en prière! Après avoir contemple cette attitude continuelle du Maître, ils Lui demandèrent: Domine, doce nos orare, Seigneur apprends-nous à prier.
Saint Paul répand partout l’exemple vivant du Christ: oratione instantes. persévérants dans la prière, écrit-il. Et saint Luc trace d’un trait la manière d’agir des premiers fidèles: animés d’un même esprit, ils persévéraient ensemble dans la prière.
La trempe du bon chrétien se forge, avec l’aide de la grâce, dans la prière. Et cet aliment de la prière, parce qu’il est vie, ne se développe pas dans une seule direction. Le cœur s’épanche habituellement en paroles, dans ces oraisons vocales que Dieu Lui-même nous a apprises, le Notre Père, ou que ses anges nous ont enseignées, l’Ave Maria. D’autre fois, nous nous servirons de prières consacrées par le temps, prières grâce auxquelles la piété de millions de frères dans la foi s’est épanchée: celles de la liturgie – lex orandi – celles qui sont nées de la passion d’un cœur amoureux, comme tant d’antiennes: Sub tuum praesidium... Memorare..., Salve Regina ...
A d’autres moments, deux ou trois invocations, lancées au Seigneur comme des flèches, iaculata, nous suffiront: oraisons jaculatoires que nous apprenons en lisant attentivement l’histoire du Christ: Domine, si vis, potes me mundare, Seigneur, si tu veux, tu peux me guérir; Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te, Seigneur, Tu sais tout, Tu sais que je t’aime; Credo, Domine, sed adiuva incredulitatem meam, je crois Seigneur, mais viens en aide à mon peu de foi; Domine, non sum dignus, Seigneur, je ne suis pas digne! Dominus meus et Deus meus!. mon Seigneur et mon Dieu!... Ou d’autres phrases, brèves et affectueuses, qui jaillissent du fond de l’âme avec ferveur et répondent à une situation concrète.
Notre vie de prière doit en plus se fonder sur quelques moments que nous consacrons chaque jour exclusivement à la conversation avec Dieu; dialogue sans bruit de paroles, près du Tabernacle chaque fois que possible, pour remercier le Seigneur – Il est si seul! – de cette attente de vingt siècles. L’oraison mentale consiste en ce dialogue avec Dieu, cœur à cœur, auquel participe l’âme tout entière: l’intelligence et l’imagination, la mémoire et la volonté Une méditation qui contribue à donner une valeur surnaturelle à notre pauvre vie humaine, à notre vie quotidienne ordinaire.
Grâce à ces moments de méditation, aux oraisons vocales, aux oraisons jaculatoires, nous saurons, avec naturel et sans spectacle, faire de notre journée une louange continuelle à Dieu. Nous resterons en sa présence, comme les amoureux qui ne cessent de penser à la personne qu’ils aiment, et toutes nos actions, même les plus infimes, se rempliront d’efficacité spirituelle.
C’est pourquoi, quand un chrétien entreprend ce chemin de conversation ininterrompue avec le Seigneur – et c’est un chemin fait pour tous, pas un sentier pour privilégiés –, la vie intérieure grandit, sûre et ferme; et l’homme s’affermit dans cette lutte, à la fois aimable et exigeante, pour réaliser à fond la volonté de Dieu.
A partir de la voie d’oraison, nous pouvons comprendre l’autre thème que nous propose la fête d’aujourd’hui: l’apostolat, la mise en pratique de l’enseignement de Jésus, transmis aux siens peu avant de monter aux cieux: vous me servirez de témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, en Samarie et jusqu’aux confins de la terre.
120 Avec le merveilleux naturel de ce qui vient de Dieu, l’âme contemplative déborde du de faire désir l’apostolat: mon cœur brûlait en moi, à force d’y songer le feu flamba. De quel feu s’agit-il, si ce n’est de celui dont parle le Christ: je suis venu apporter le feu sur la terre et comme j e voudrais qu’il brûle!.
Feu d’apostolat qui se fortifie dans la prière: il n’y a pas de meilleur moyen pour développer, d’un bout à l’autre du monde, cette bataille de paix à laquelle chaque chrétien est appelé à participer: compléter ce qui manque aux souffrances du Christ.
Jésus est monté au ciel, disions-nous. Mais le chrétien peut Le fréquenter dans la prière et l’Eucharistie, comme le firent les douze premiers apôtres, s’enflammer de zèle apostolique pour accomplir avec Lui ce service de corédemption qui consiste à semer la paix et la joie. Servir, donc; l’apostolat n’est rien d’autre. Si nous comptons seulement sur nos propres forces, nous n’arriverons à rien dans le domaine surnaturel; si nous sommes instruments de Dieu, nous parviendrons à tout: je peux tout en celui qui me rend fort. Dieu, en son infinie bonté, a voulu se servir de ces instruments maladroits. C’est ainsi que l’apôtre n’a pas d’autres fins que de laisser faire le Seigneur, de se montrer entièrement disponible, pour que Dieu réalise son oeuvre de salut à travers ses créatures et à travers l’âme qu’il a choisie.
Est apôtre le chrétien qui se sent greffé sur le Christ, identifié au Christ par le Baptême; habilité à lutter pour Lui par la Confirmation; appelé à servir Dieu en travaillant dans le monde par le sacerdoce commun des fidèles, qui confère une certaine participation au sacerdoce du Christ; cette participation, tout en étant essentiellement distincte de celle qui constitue le sacerdoce ministériel, donne la capacité de prendre part au culte de l'Église, et d’aider les hommes dans leur route vers Dieu, par le témoignage de la parole et de l’exemple, par la prière et par l’expiation.
Chacun de nous doit être ipse Christus. C’est Lui, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes: et nous, nous nous unissons à Lui pour offrir, avec Lui, toutes choses au Père. Notre vocation d’enfants de Dieu, au milieu du monde, exige de nous que nous ne cherchions pas seulement notre sainteté personnelle, mais que nous allions par les chemins de la terre pour en faire des voies qui, malgré les obstacles, mèneront les âmes au Seigneur; que nous prenions part, en tant que citoyens ordinaires, à toutes les activités temporelles, pour être le levain qui doit faire monter toute la pâte.
Le Christ est monté au ciel, mais Il a conféré à tout ce qui est honnête et humain la possibilité concrète d’être racheté. Saint Grégoire le Grand reprend en termes frappants cette grande idée du christianisme: ainsi Jésus s’en retournait vers le lieu d’où Il était venu, et revenait du lieu dans lequel Il continuait à demeurer. En effet, au moment où Il montait au ciel, Il unissait par sa divinité le Ciel et la Terre. En cette fête d’aujourd’hui, il faut solennellement célébrer la suppression du décret qui nous condamnait, du jugement qui nous assujettissait à la corruption. La nature à laquelle s’adressaient les paroles: tu es poussière et tu redeviendras poussière (Gn 3, 19), cette même nature est aujourd’hui au ciel avec le Christ.
C’est pourquoi je ne me lasserai pas de répéter que le monde est sanctifiable et que cette tache nous revient spécialement, à nous chrétiens. Nous devons le purifier des occasions de péché par lesquelles nous l’enlaidissons, et l’offrir au Seigneur comme une hostie spirituelle présentée et rendue digne par la grâce de Dieu et par notre effort. On ne peut plus vraiment dire qu’il y ait des réalités nobles qui soient exclusivement profanes après que le Verbe a daigné assumer intégralement une nature humaine et consacrer la terre par sa présence et le travail de ses mains. La grande mission que nous recevons, avec le baptême, est celle de la corédemption. La Charité du Christ nous presse de prendre sur nos épaules une partie de cette tache divine qu’est le rachat des âmes.
121 Regardez: la Rédemption, consommée lors de la mort de Jésus dans la honte et dans la gloire de la Croix, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, se poursuivra par la volonté de Dieu jusqu’à ce que vienne l’heure du Seigneur. Il est impossible de vivre selon le cœur de Jésus sans se sentir envoyés comme Lui, peccatores salvos facere, pour sauver tous les pécheurs, et convaincus de la nécessité de se confier chaque jour davantage à la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi notre désir le plus ardent est de nous considérer comme corédempteurs avec le Christ, sauver avec Lui toutes les âmes, parce que nous sommes, nous voulons être ipse Christus, Jésus-Christ Lui-même, et Lui s’est livré Lui-même pour le rachat de tous.
Nous avons une grande tache devant nous. Nous ne pouvons rester passifs, car le Seigneur nous a déclaré expressément: travaillez jusqu’à mon retour. Nous ne pouvons pas demeurer les bras croisés en attendant le retour du Seigneur, qui reviendra prendre pleine possession de son Royaume. Répandre le Royaume de Dieu n’est pas seulement la tâche officielle des membres de l'Église qui représentent le Christ parce qu’ils ont reçu de Lui les pouvoirs sacrés. Vos autem estis corpus Christi, vous aussi vous êtes le corps du Christ, nous dit l’Apôtre, en nous donnant l’ordre formel de travailler jusqu’au bout.
Il reste tant à faire! Est-ce qu’en vingt siècles on n’a rien fait? En vingt siècles, on a beaucoup travaillé; l’effort de certains pour rabaisser la tache de ceux qui nous ont précédés ne me parait ni objectif ni honnête. En vingt siècles, on a beaucoup travaillé et souvent très bien. Il a pu y avoir des erreurs, des reculs, de même qu’aujourd’hui on trouve régression, peur et timidité, à cote de beaucoup de courage et de générosité Mais la famille humaine se renouvelle constamment. A chaque génération, il faut poursuivre l’effort, aider l’homme à découvrir la grandeur de sa vocation d’enfant de Dieu; il faut inculquer le commandement de l’amour du Créateur et de notre prochain.
122 Le Christ nous a appris, une fois pour toutes, le chemin de l’amour de Dieu: l’apostolat, c’est l’amour de Dieu, qui déborde, en se donnant aux autres. La vie intérieure suppose une union croissante avec le Christ, par le Pain et la Parole. Et le désir d’apostolat est la manifestation exacte, appropriée et nécessaire, de la vie intérieure. Quand on savoure l’amour de Dieu, on sent le poids des âmes. Il n’est pas possible de séparer la vie intérieure et l’apostolat, comme il n’est pas possible de séparer chez le Christ son être de Dieu fait homme et sa fonction de Rédempteur. Le Verbe a voulu s’incarner pour sauver les hommes, pour qu’ils ne fassent qu’un avec Lui. Voilà la raison de sa venue. Nous le récitons dans le Credo. Il est descendu du ciel pour nous et pour notre salut.
L’apostolat fait partie de la nature même du chrétien: ce n’est pas quelque chose de surajouté, de superposé, d’extérieur à son activité quotidienne, à ses occupations professionnelles. Je n’ai cessé de le répéter depuis que le Seigneur a voulu faire naître l’Opus Dei: il s’agit de sanctifier le travail ordinaire, de se sanctifier dans cette tâche et de sanctifier les autres dans l’exercice de sa profession, chacun dans son état.
L’apostolat est comme la respiration du chrétien: un enfant de Dieu ne peut vivre sans ce frémissement de l’âme. La fête d’aujourd’hui nous rappelle que le zèle pour les âmes est un commandement amoureux du Seigneur qui, en montant dans sa gloire, nous envoie répandre son témoignage dans le monde entier. Notre responsabilité est grande: car être témoin du Christ suppose, avant tout, d’essayer de vivre selon sa doctrine, de lutter pour que notre conduite rappelle Jésus, évoque sa figure très aimable. Nous devons nous conduire de telle manière que les autres puissent dire en nous voyant: celui-ci est chrétien, parce qu’il n’a pas de haine, parce qu’il sait comprendre, parce qu’il n’est pas fanatique, parce qu’il domine ses instincts, parce qu’il se sacrifie, parce qu’il manifeste des sentiments de paix, et parce qu’il aime.
124 Que faire? je vous disais que mon but n’était pas de décrire ici des crises politiques ou sociales, des effondrements ou des maladies culturelles. Je parle du mal à la lumière de la foi chrétienne, dans son sens précis d’offense à Dieu. L’apostolat chrétien n’est pas un programme politique, ni une option culturelle. Il suppose la diffusion du bien, la communication du désir d’aimer et de semer véritablement la paix et la joie. Il est certain que de cet apostolat viendront pour tous des bienfaits spirituels: plus de justice, plus de compréhension, plus de respect de l’homme pour l’homme.
Il y a bien des âmes autour de nous, et nous n’avons pas le droit d’être un obstacle à leur bien éternel. Nous avons l’obligation d’être chrétiens jusqu’au bout, d’être saints, de ne pas décevoir Dieu ni tous ceux qui attendent du chrétien exemple et doctrine.
Notre apostolat doit se fonder sur la compréhension. Je le répète: la charité, plus qu’à donner, consiste à comprendre. Je ne vous cache pas que j’ai appris, en ma propre chair, ce qu’il en coûte de n’être pas compris. J’ai toujours essaye de me faire comprendre, mais certains se sont obstinés à ne pas comprendre. Raison de plus pour moi d’avoir le désir de comprendre tout le monde. Mais ce n’est pas un élan provoqué par les circonstances qui doit nous inciter à élargir notre cœur à une dimension universelle et catholique. L’esprit de compréhension est une manifestation de la charité chrétienne d’un bon fils de Dieu: car le Seigneur veut que nous allions par tous les chemins honnêtes de la terre pour répandre non pas la semence de l’ivraie mais celle de la fraternité, semence d’excuse, de pardon, d’amour et de paix. Ne vous considérez jamais ennemis de qui que ce soit.
Le chrétien doit toujours être disposé à vivre avec tous, à donner à tous – par son amitié – la possibilité de s’approcher du Christ Jésus. Il doit se sacrifier avec joie pour tous, sans distinction, sans diviser les âmes en compartiments étanches et sans leur mettre des étiquettes comme à des marchandises ou à des insectes disséqués. Le chrétien ne peut se séparer des autres, sa vie serait misérable et égoïste. Il doit se faire tout à tous, pour les sauver tous.
Si nous vivions ainsi, si nous savions imprégner notre conduite de cette semence de générosité, de ce désir de paix et de concorde, c’est alors que les hommes pourraient vraiment jouir de leur indépendance légitime et chacun assumerait les responsabilités temporelles qui lui incombent. Le chrétien saurait défendre avant tout la liberté d’autrui pour pouvoir ensuite défendre la sienne. La charité l’amènerait à accepter les autres comme ils sont – car chacun, sans exception, à ses misères et ses erreurs –, à les aider, avec la grâce de Dieu et avec une délicatesse tout humaine, à vaincre le mal et à déraciner l’ivraie, pour que nous puissions nous soutenir tous mutuellement et assumer avec dignité notre condition d’hommes et de chrétiens.
125 La tache apostolique que le Christ a confiée à tous ses disciples a donc des répercussions sociales concrètes. Comment penser que, pour être chrétien, il faille tourner le dos au monde, et désespérer de la nature humaine? Tout ce qui est honnête, quelle que soit son importance, recèle un sens humain et divin à la fois. Le Christ, homme parfait, n’est pas venu détruire ce qui est humain, mais l’anoblir, en assumant notre condition humaine, à l’exception du péché: Il est venu partager toutes les aspirations de l’homme, à l’exception de la triste aventure du mal.
Le chrétien doit être toujours dispose à sanctifier la société de l’intérieur, en étant totalement dans le monde, sans être du monde, dans la mesure où celui-ci –non par nature, mais par suite d’une imperfection volontaire, le pêche – est négation de Dieu et opposition à Son aimable volonté salvatrice.
126 La fête de l’Ascension du Seigneur nous suggère aussi une autre réalité: ce Christ, qui nous pousse à entreprendre cette tache dans le monde, nous attend au ciel. En d’autres termes, cette vie terrestre, que nous aimons, n’est pas définitive; car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle de l’avenir, la cité immuable.
Mais prenons garde de ne pas interpréter la Parole de Dieu en l’enfermant dans l’étroitesse de nos horizons. Le Seigneur ne nous demande pas d’être malheureux lors de notre chemin sur terre, et de n’attendre notre consolation que de l’au-delà Dieu nous veut heureux ici-bas, mais dans l’attente impatiente de l’accomplissement définitif de cet autre bonheur que Lui seul peut nous donner entièrement.
Sur cette terre, la contemplation des réalités surnaturelles, l’action de la grâce dans nos âmes, l’amour du prochain, fruit savoureux de l’amour de Dieu, supposent déjà une anticipation du ciel, le début de quelque chose qui doit croître de jour en jour. Nous, chrétiens, nous n’admettons pas de double vie, nous maintenons dans notre vie une unité simple et forte, dans laquelle se fondent et se mêlent toutes nos actions.
Le Christ nous attend. Nous vivons déjà comme des citoyens du ciel, tout en étant pleinement citoyens de la terre, au milieu des difficultés, des injustices et des incompréhensions, mais aussi avec la joie et dans la sérénité de qui se sait l’enfant bien-aimé de Dieu. Persévérons au service de notre Dieu et nous verrons augmenter en nombre et en sainteté cette armée chrétienne de paix, ce peuple de corédempteurs. Soyons des âmes contemplatives, à tout moment en dialogue constant avec le Seigneur: de la première pensée de la journée à la dernière, dirigeant sans cesse notre cœur vers Jésus-Christ Notre Seigneur, auquel nous parvenons par notre Mère Sainte Marie, et, par Lui, au Père et à l’Esprit Saint.
Si, malgré tout, l’Ascension de Jésus au ciel nous laisse dans l’âme un arrière-goût d’amertume et de tristesse, accourons à sa Mère, comme le firent les apôtres: ils retournèrent alors à Jérusalem... et ils priaient d’un seul cœur... avec Marie, Mère de Jésus.
127 Les Actes des Apôtres, rapportant les événements du jour de la Pentecôte, où le Saint-Esprit descendit sur les disciples de Notre Seigneur sous la forme de langues de feu, nous font assister à la grande manifestation de la puissance de Dieu, par laquelle l'Église entreprend son chemin au milieu des nations. La victoire que le Christ, par son obéissance, par son immolation sur la Croix et par sa Résurrection, avait obtenue sur la mort et sur le péché, se révéla alors dans toutes sa clarté divine.
Les disciples, déjà témoins de la gloire du Ressuscité, éprouvèrent la force du Saint-Esprit: leur intelligence et leur cœur s’ouvrirent à une lumière nouvelle. Ils avaient suivi le Christ et avaient accueilli avec foi son enseignement, mais ils ne parvenaient pas toujours à en comprendre pleinement le sens; il fallait que vînt l’Esprit de vérité, qui leur ferait comprendre toute chose. Ils savaient qu’en Jésus seulement ils pouvaient trouver les paroles de vie éternelle, et ils étaient disposés à Le suivre et à donner leur vie pour Lui, mais ils étaient faibles et, quand vint l’heure de l’épreuve, ils s’enfuirent et Le laissèrent seul. Le jour de la Pentecôte, tout cela change. Le Saint-Esprit, qui est l’esprit de force, les a affermis, les a rendus surs et audacieux. La parole des Apôtres retentit, énergique et vibrante, dans les rues et sur les places de Jérusalem.
Les hommes et les femmes qui, venus des régions les plus diverses, peuplent la ville en ces jours-là, écoutent émerveillés. Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et d’Asie, de Phrygie et de Pamphylie, d'Égypte et de cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène, Romains en séjour ici, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu. Les prodiges qui s’opèrent sous leurs yeux les poussent à être attentifs à la prédication apostolique. Le Saint-Esprit lui-même, qui agissait sur les disciples du Seigneur, toucha aussi leur cœur et les amena à la foi.
Saint Luc nous raconte que, après que saint Pierre eut proclamé la Résurrection du Christ, beaucoup de ceux qui l’entouraient s’approchèrent et lui demandèrent: Frère, que devons-nous faire? L’Apôtre leur répondit: Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Le texte sacré se termine en nous disant que près de trois mille personnes s’incorporèrent à l'Église ce jour-là.
La venue solennelle de l’Esprit, le jour de la Pentecôte, ne fut pas un événement isolé. Il n’y a pratiquement aucune page des Actes des Apôtres qui ne parle de Lui et de l’action par laquelle Il guide, dirige et anime la vie et les œuvres de la communauté chrétienne primitive. C’est Lui qui inspire la prédication de saint Pierre, qui confirme les disciples dans leur foi, qui scelle par sa présence l’appel lance aux païens, qui envoie Saul et Barnabé vers des terres lointaines pour ouvrir de nouveaux chemins, en répandant l’enseignement de Jésus. En un mot, sa présence et son action dominent toute chose.
128 Cette réalité profonde que le texte de la Sainte Écriture nous fait connaître n’est pas un souvenir du passé, un âge d’or de l'Église qui appartiendrait désormais à l’histoire. C’est aussi, par-delà les misères et les péchés de chacun d’entre nous, la réalité de l'Église d’aujourd’hui et de l'Église de tous les temps. Je prierai le Père, annonça le Seigneur à ses disciples, et Il vous donnera un autre Paraclet, pour être avec vous à jamais. Jésus a tenu ses promesses. Il est ressuscité, Il est monté aux cieux et, en union avec le Père Éternel, Il nous envoie le Saint-Esprit pour qu’Il nous sanctifie et nous donne la vie.
La force et la puissance de Dieu illuminent la face de la terre. Le Saint-Esprit continue d’assister l'Église du Christ pour qu’elle soit, toujours et en tout, le signe dressé face aux nations qui annonce à l’humanité la bienveillance et l’amour de Dieu Pour grandes que soient nos limitations, nous pouvons regarder le ciel avec confiance et nous sentir pleins de joie: Dieu nous aime et nous délivre de nos péchés. La présence et l’action du Saint-Esprit dans l'Église sont le gage et l’anticipation du bonheur éternel, de cette joie et de cette paix que Dieu nous offre.
Tout comme ces hommes qui s’approchèrent de saint Pierre le jour de la Pentecôte, nous aussi, nous avons été baptisés. Par le baptême, Dieu Notre Père a pris possession de notre vie, nous a incorporés à celle du Christ et nous a envoyé le Saint-Esprit. Le Seigneur, nous dit la Sainte Écriture, nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint. Et cet Esprit, Il l’a répandu sur nous à profusion, par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par la grâce du Christ, nous obtenions en espérance l’héritage de la vie éternelle.
L’expérience de notre faiblesse et de nos erreurs, le résultat peu édifiant que peut produire le spectacle douloureux de la petitesse et même de la mesquinerie de ceux qui s’appellent chrétiens, l’échec apparent ou la déviation de certaines entreprises apostoliques, tout cela, résultat du péché et de la limitation humaine, peut constituer une épreuve humaine, peut constituer une épreuve pour notre foi et infiltrer en nous la tentation et le doute: où sont la force et la puissance de Dieu? C’est le moment de réagir, de vivre notre espérance avec davantage de pureté et d’énergie et, par conséquent, de faire en sorte que notre fidélité soit plus forte.
129 Permettez-moi de vous raconter un fait que j’ai vécu il y a de nombreuses années. Un homme bon, mais sans foi, me dit un jour en me montrant une mappemonde: Regarde, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Que veux-tu que je regarde? lui demandai-je. Il me répondit: L’échec du Christ. Tant de siècles pour essayer de faire entrer sa doctrine dans la vie des hommes, et vois le résultat Cela me remplit tout d’abord de tristesse. Il est en effet très douloureux de constater que nombreux sont ceux qui ne connaissent pas encore le Seigneur et que, parmi ceux qui Le connaissent, nombreux sont ceux qui vivent comme s’ils ne Le connaissaient pas.
Mais cette impression ne dura qu’un instant, et fit place à l’amour et à la reconnaissance, parce que Jésus a voulu que chacun coopère librement à son oeuvre rédemptrice. Il n’a pas échoué: sa doctrine et sa vie continuent de féconder le monde. La rédemption qu’Il a réalisée est suffisante et surabondante.
Dieu ne veut pas d’esclaves. Il veut des fils et Il respecte notre liberté. L’oeuvre de salut continue et nous y participons. Le Christ veut, selon les dures paroles de saint Paul, que nous complétions en notre chair, en notre vie, ce qui manque à sa passion, pro corpore eius, quod est Ecclesia, pour son corps, qui est l'Église.
Cela vaut la peine de risquer sa vie, de se donner pleinement pour répondre à l’amour et à la confiance que Dieu met en nous. Cela vaut la peine, avant tout, de nous décider à prendre au sérieux notre foi chrétienne. Quand nous récitons le Credo, nous proclamons notre foi en Dieu le Père tout Puissant, en son Fils Jésus-Christ, qui est mort et ressuscité, en l’Esprit Saint, Seigneur et auteur de la vie. Nous confessons que l'Église, une, sainte, catholique et apostolique est le corps du Christ, animé par le Saint-Esprit. Nous nous réjouissons de la rémission des péchés et de l’espérance de la résurrection à venir. Mais ces vérités pénètrent-elles jusqu’au fond de notre cœur ou bien restent-elles sur nos lèvres? Le message divin de victoire, de joie et de paix de la Pentecôte, doit être le fondement inébranlable de la façon de penser, de réagir et de vivre de tout chrétien.
130 Non est abbreviata manus Domini. Le bras de Dieu ne s’est pas raccourci Dieu n’est pas moins puissant aujourd’hui qu’en d’autres époques, et son amour pour les hommes n’en est pas moins véritable. Notre foi nous apprend que la création tout entière, le mouvement de la terre et des astres, les actions droites des créatures de l’histoire, en un mot tout vient de Dieu et se dirige vers Lui.
L’action du Saint-Esprit peut passer inaperçue, parce que Dieu ne nous fait pas connaître ses plans et parce que le péché de l’homme voile et obscurcit les dons divins. Mais la foi nous rappelle que le Seigneur agit continuellement. C’est Lui qui nous a créés et qui nous maintient en vie. C’est Lui qui, par sa grâce, conduit la création tout entière à la liberté de la gloire des enfants de Dieu.
C’est pourquoi la tradition chrétienne a résumé l’attitude que nous devons adopter envers le Saint-Esprit en un seul mot: docilité. C’est-à-dire, être sensibles à ce que l’Esprit divin réalise autour de nous et en nous, aux charismes qu’Il distribue, aux mouvements et aux institutions qu’Il suscite, aux résolutions et aux décisions qu’Il fait naître en notre cœur. Le Saint-Esprit accomplit dans le monde les œuvres de Dieu. Il est, comme le dit l’hymne liturgique, dispensateur des grâces, lumière des cœurs, hôte de l’âme, repos dans le travail, réconfort dans les larmes. Sans son aide, rien ne subsiste dans l’homme qui ne soit péché, car c’est Lui qui lave les souillures, guérit les blessures, incendie les froideurs, redresse les erreurs et conduit les hommes au port du salut et de la joie éternelle.
Mais notre foi en l’Esprit Saint doit être pleine et totale. Ce n’est pas une vague croyance en sa présence dans le monde, mais l’acceptation reconnaissante des signes et des réalités auxquels Il a voulu rattacher sa force de façon spéciale. Quand viendra l’Esprit de vérité, annonce Jésus, Il me glorifiera, car c’est de mon bien qu’Il prendra pour vous en faire part. Le Saint-Esprit est l’Esprit envoyé par le Christ pour réaliser en nous la sanctification qu’Il a méritée pour nous sur la terre.
Sans foi en Jésus-Christ, en sa doctrine, en ses sacrements et en son Église, il ne peut y avoir de foi en l’Esprit Saint. C’est être incohérent avec la foi chrétienne et ne pas croire vraiment en l’Esprit Saint que de ne pas aimer l'Église, de n’avoir pas confiance en elle, de se complaire à ne mettre en lumière que les imperfections et les limitations de ceux qui la représentent, de la juger de l’extérieur, sans être capable de se considérer comme son fils. Et j’en viens à considérer combien l’action du Paraclet doit être extraordinairement importante et abondante lorsque le prêtre renouvelle le sacrifice du Calvaire au cours de la célébration de la Sainte Messe sur nos autels.
131 Les chrétiens portent les grands trésors de la grâce en des vases d’argile; Dieu a confié ses dons à la liberté humaine, fragile et faible et, même si, sans aucun doute, la force du Seigneur nous assiste, notre commodité, notre concupiscence et notre orgueil la repoussent parfois et nous amènent à pécher. Voilà plus d’un quart de siècle qu’en récitant le Credo et en affirmant ma foi en la divinité de l'Église, une, sainte, catholique et apostolique, j’ajoute souvent: « malgré les malgré » Quand il m’arrive de commenter cette coutume personnelle, si quelqu’un me demande à quoi je veux faire allusion, le lui réponds: à tes péchés et aux miens.
Tout cela est vrai mais ne permet en aucune façon de juger l'Église selon des vues humaines, sans foi théologale, en ne voyant seulement que les plus ou moins grandes qualités de certains ecclésiastiques ou de certains chrétiens. Agir de la sorte, c’est rester à la surface des choses. Ce qui est le plus important dans l'Église, ce n’est pas de voir comment les hommes répondent, mais de voir ce que Dieu fait. L'Église, c’est le Christ présent parmi nous; Dieu qui vient à l’humanité pour la sauver, en nous appelant par sa révélation, en nous sanctifiant par sa grâce, en nous soutenant de son aide constante dans les petits et les grands combats de notre vie quotidienne.
Il peut nous arriver de nous méfier des hommes et, en tout cas, chacun d’entre nous a l’obligation de se méfier personnellement de soi-même et de couronner ses journées par un mea culpa, par un acte de contrition profond et sincère. Mais nous n’avons pas le droit de douter de Dieu. Et douter de l'Église, de son origine divine, de l’efficacité salvatrice de sa prédication et de ses sacrements, c’est douter de Dieu lui-même, c’est ne pas croire pleinement en la réalité de la venue du Saint-Esprit.
Avant que Jésus fût crucifie, écrit saint Jean Chrysostome, il n’y avait pas de réconciliation. Et tant qu’il n’y eut pas de réconciliation, le Saint-Esprit ne fut pas envoyé... L’absence du Saint-Esprit était une preuve de la colère divine. Maintenant que tu vois qu’Il est envoyé en plénitude, ne doute pas de la réconciliation. Mais si quelqu’un demandait où se trouve maintenant le Saint-Esprit, l’on pourrait parler de sa présence quand se produisaient les miracles, quand les morts ressuscitaient et quand les lépreux étaient guéris. Comment savoir qu’Il est vraiment présent maintenant? Ne vous inquiétez pas. Je vais vous démontrer que le Saint-Esprit est maintenant aussi parmi nous...
Si le Saint-Esprit n’existait pas, nous ne pourrions pas dire: Seigneur Jésus, car personne ne peut invoquer Jésus en tant que Seigneur, si ce n’est par l’Esprit Saint (1Co 12, 3). Si le Saint-Esprit n’existait pas, nous ne pourrions pas prier avec confiance. En effet, quand nous prions, nous disons: Notre Père qui es aux cieux (Mt 6, 9). Si le Saint-Esprit n’existait pas, nous ne pourrions pas appeler Dieu notre Père. Comment le savons-nous? Parce que l’Apôtre nous l’apprend: Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie – Abba, Père (Ga 4, 6).
Par conséquent, lorsque tu invoques Dieu le Père, souviens-toi que c’est l’action du Saint-Esprit en ton âme qui t’a inspire cette prière. Si le Saint-Esprit n’était pas présent, l'Église n’existerait pas. Mais si l'Église existe, il est certain que le Saint-Esprit ne fait pas défaut.
Par delà les faiblesses et les limitations humaines, l'Église, j’y insiste, est le signe et, en quelque sorte, le sacrement universel de la présence de Dieu dans le monde, au sens strict, selon lequel l’essence des sept sacrements de la Nouvelle Alliance a été définie de façon dogmatique. Être chrétien, c’est avoir été régénéré par Dieu et envoyé annoncer aux hommes le salut. Si notre foi était forte et vivante et si nous faisions connaître le Christ avec audace, nous verrions se produire sous nos yeux des miracles semblables à ceux de l’époque apostolique.
Car, aujourd’hui aussi des aveugles, qui avaient perdu la capacité de regarder vers le ciel et de contempler les merveilles de Dieu, recouvrent la vue; des boiteux et des paralytiques, prisonniers de leurs passions et dont le cœur ne savait plus aimer, recouvrent la liberté; des sourds, qui ne voulaient rien savoir de Dieu, entendent à nouveau; des muets, qui avaient la langue liée et se refusaient à confesser leurs défaites, arrivent à parler; des morts, en qui le péché avait détruit la vie, ressuscitent. Nous vérifions, une fois de plus, que la parole de Dieu est vivante et efficace, et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, et tout comme les premiers chrétiens, nous nous remplissons de joie en voyant la force du Saint-Esprit et son action sur l’intelligence et sur la volonté de ses créatures.
132 Tous les événements de la vie, ceux de chaque existence particulière et, d’une certaine façon, ceux des grands moments de l’histoire, m’apparaissent comme autant d’appels que Dieu lance aux hommes, pour qu’ils affrontent la vérité, et comme autant d’occasions données aux chrétiens pour annoncer en parole et en acte, et avec l’aide de la grâce, l’Esprit auquel ils appartiennent.
Chaque génération de chrétiens doit racheter, doit sanctifier son temps; elle doit, pour cela, comprendre et partager les aspirations des autres hommes, ses égaux, afin de leur apprendre, en usant du don des langues, comment ils doivent répondre à l’action du Saint-Esprit, à l’effusion permanente des richesses du Cœur divin. C’est à nous, chrétiens, qu’il incombe d’annoncer, en ces jours et à ce monde dont nous faisons partie et dans lequel nous vivons, ce message, aussi vieux que toujours nouveau, de l'Évangile.
Il n’est pas vrai que toutes les personnes de notre époque, en général et en bloc, soient hermétiques ou demeurent indifférentes à ce que la foi chrétienne enseigne sur le destin et sur l’être de l’homme; il n’est pas vrai que tous les hommes de ce temps s’occupent seulement des choses de la terre et se désintéressent du ciel. Certes, les idéologies fermées ne manquent pas; les personnes qui les soutiennent, non plus. Pourtant notre époque connaît aussi de grands desseins et des attitudes mesquines, des actes héroïques et des lâchetés, des enthousiasmes et des découragements; des gens qui rêvent d’un monde nouveau, plus juste et Plus humain, et d’autres qui, peut-être déçus par l’échec de leurs premiers idéaux, se réfugient dans la quête égoïste de leur tranquillité personnelle ou demeurent plongés dans l’erreur.
C’est à tous ces hommes et à toutes ces femmes, où qu’ils se trouvent, en leurs moments d’exaltation ou en leurs crises et défaites, que nous devons faire parvenir le message solennel et net de saint Pierre pendant les jours qui suivirent la Pentecôte: Jésus est la pierre angulaire, le Rédempteur, le tout de notre vie, parce que hors de Lui il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés.
133 Je dirai que, parmi les dons du Saint-Esprit, il en est un dont les chrétiens ont spécialement besoin: le don de sagesse qui, en nous faisant connaître Dieu et jouir de Dieu, nous rend capables de juger sans erreur les situations et les choses de cette vie. Si nous étions conséquents avec notre foi, en regardant autour de nous, en contemplant le spectacle de l’histoire et du monde, nous ressentirions en notre cœur ces sentiments de Jésus: A la vue des foules Il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n’ont pas de berger.
Non pas que le chrétien ne se rende compte de tout ce qu’il y a de bon dans l’humanité, qu’il n’apprécie les joies pures, qu’il ne participe aux désirs et aux idéaux terrestres. Il ressent, au contraire, tout cela du plus profond de son âme, et il le partage et le vit avec une intensité spéciale, parce qu’il connaît mieux que quiconque les profondeurs de l’esprit humain.
La foi chrétienne ne rapetisse pas le cœur ni ne limite les nobles élans de l’âme, puisqu’elle les amplifie, en révélant le sens véritable et le plus authentique: nous ne sommes pas voués à n’importe quel bonheur, parce que nous avons été appelés à pénétrer dans l’intimité divine, à connaître et à aimer Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit et, à travers la Trinité et l’Unité de Dieu, tous les anges et tous les hommes. Audace vraiment incroyable, si elle n’avait pour fondement le décret salutaire de Dieu le Père, si elle n’avait été confirmée par le sang du Christ et réaffirmée et rendue possible par l’action permanente du Saint-Esprit.
Nous devons vivre de la foi, croître dans la foi, jusqu’à ce que l’on puisse dire de chacun d’entre nous, de chaque chrétien, ce qu’un des grands docteurs de l'Église orientale écrivait il y a des siècles: de même que les corps transparents et brillants resplendissent et irradient la lumière quand les frappent les rayons de lumière, ainsi les âmes guidées et éclairées par le Saint-Esprit deviennent elles aussi spirituelles et portent aux autres la lumière de la grâce. Du Saint-Esprit proviennent la connaissance des choses futures, l’intelligence des mystères, la compréhension des vérités cachées, la distribution des dons, la citoyenneté céleste, la conversation avec les anges. De Lui proviennent la joie qui ne connaît pas de fin, la persévérance en Dieu, la ressemblance avec Dieu et ce que l’on peut s’imaginer de plus merveilleux: devenir Dieu.
La conscience de la grandeur de la dignité humaine – éminente et ineffable lorsque la grâce fait de nous des enfants de Dieu –, unie à l’humilité, forme un tout dans le chrétien, car ce ne sont pas nos forces qui nous sauvent ou qui nous donnent la vie, mais la faveur divine. Il ne faut jamais oublier cette vérité, faute de quoi notre divinisation se corromprait pour ne plus être que présomption, orgueil; tôt ou tard, devant l’expérience de notre misère et notre faiblesse personnelle, elle finirait par s’effondrer.
Oserai-je dire: je suis saint?, se demandait saint Augustin. Si je disais saint, en tant que sanctificateur n’ayant besoin de personne pour se sanctifier, je serais un orgueilleux et un menteur. Mais si par saint nous entendons celui qui est sanctifie, d’après ce qu’on lit dans le Lévitique: soyez saints parce que moi, Dieu, je suis saint; alors le corps du Christ l’est aussi jusqu’au dernier homme installé aux confins de la terre et, avec sa Tête et sous sa Tête, qu’il dise avec audace: je suis saint.
Aimez la Troisième Personne de la Sainte Trinité, écoutez dans l’intimité de votre ère les motions divines, qui sont autant d’encouragements et de reproches. Que la lumière qui se répand en votre âme éclaire aussi votre chemin sur la terre; et le Dieu de l’espérance vous comblera de paix, pour que cette espérance augmente sans cesse en vous par la vertu du Saint-Esprit.
134 Vivre selon le Saint-Esprit, c’est vivre de foi, d’espérance et de charité; c’est laisser Dieu prendre possession de nous et changer radicalement notre cœur pour le faire à sa mesure. Une vie chrétienne mûre, profonde et forte ne s’improvise pas; elle est le fruit de la croissance en nous de la grâce de Dieu. L’état de la communauté chrétienne des premiers temps nous est décrit dans les Actes des Apôtres en une phrase brève mais pleine de sens: Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communication fraternelle, à la fraction du pain et aux prières.
Voilà comment vécurent les premiers chrétiens et comment nous devons vivre. La méditation de la doctrine de la foi jusqu’à la faire nôtre, la rencontre avec le Christ dans l’Eucharistie, le dialogue personnel – c’est-à-dire une prière sans anonymat – face à face avec Dieu, doivent constituer la substance ultime de notre conduite. Si cela venait à manquer, que resterait-il? Peut-être une réflexion savante, une activité plus ou moins intense, des dévotions et des pratiques de piété. Mais nullement une existence chrétienne véritable, car il y manquerait l’incorporation au Christ, la participation réelle et vécue à l’oeuvre du salut.
Cette doctrine s’applique à n’importe quel chrétien, parce que nous sommes tous également appelés à la sainteté. Il n’y a pas de chrétiens de deuxième catégorie, obliges à mettre en pratique un Évangile au rabais. Nous avons tous reçu le même baptême et, s’il est vrai qu’il existe une grande diversité de charismes et de situations humaines, il n’y a qu’un seul et même Esprit, qui distribue les dons divins, une même foi, une même espérance et une même charité.
Nous pouvons par conséquent nous appliquer cette question de l’Apôtre: Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous?, et la recevoir comme une invitation à entretenir des rapports plus personnels et plus directs avec Dieu. Le Paraclet est malheureusement pour certains chrétiens le Grand Inconnu: un nom que l’on prononce, mais qui n’est pas Quelqu’un, une des trois Personnes du Dieu unique, avec laquelle on parle et dont on vit.
Nous devons, au contraire, Le traiter avec une simplicité habituelle et avec confiance, comme l'Église nous apprend à le faire dans la liturgie. Nous connaîtrons alors davantage Notre Seigneur et, en même temps, nous nous rendrons plus pleinement compte du don immense dont nous sommes bénéficiaires en nous appelant chrétiens. Nous mesurerons toute la grandeur et toute la vérité de cette divinisation, de cette participation à la vie divine, à laquelle je faisais allusion il y a un instant.
Car le Saint-Esprit n’est pas un artiste qui dessine en nous la substance divine comme si elle lui était étrangère; ce n’est pas ainsi qu’Il nous conduit à la ressemblance divine; mais Lui-même, qui est Dieu et procède de Dieu, s’imprime dans le cœur de qui le reçoit comme le cachet sur la cire et, de cette façon, en se communiquant Lui-même et par ressemblance, Il rétablit la nature en accord avec la beauté du modèle divin et rend à l’homme l’image de Dieu.
135 En vue de concrétiser, ne serait-ce que de façon très générale, un style de vie qui nous pousse à fréquenter le Saint-Esprit et, avec Lui, le Père et le Fils, et à entrer en rapports familiers avec le Paraclet, nous pouvons nous arrêter à trois réalités fondamentales: docilité (j’y insiste), vie de prière, union à la Croix.
Docilité, tout d’abord, parce que c’est le Saint-Esprit qui, par ses inspirations, imprime un ton surnaturel à nos pensées, à nos désirs et à nos actes. C’est Lui qui nous pousse à adhérer à la doctrine du Christ et à l’assimiler en profondeur. C’est Lui qui nous éclaire, nous rend conscients de notre vocation personnelle et nous donne la force de réaliser tout ce que Dieu attend de nous. Si nous sommes dociles au Saint-Esprit, l’image du Christ se formera sans cesse davantage en nous et nous nous approcherons ainsi chaque jour davantage de Dieu le Père. Tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu.
Si nous nous laissons guider par ce principe de vie présent en nous qu’est le Saint-Esprit, notre vie spirituelle se développera et nous nous abandonnerons dans les mains de Dieu notre Père avec la spontanéité et la confiance d’un enfant qui se jette dans les bras de son père. Si vous ne retournez à l’état des enfants, vous ne pourrez entrer dans le Royaume des Cieux, a dit le Seigneur. C’est le vieux chemin intérieur de l’enfance, toujours actuel, et qui ne procède ni de la mièvrerie ni d’un manque de qualités humaines, mais d’une maturité surnaturelle qui nous fait approfondir les merveilles de l’amour divin, reconnaître notre petitesse et identifier pleinement notre volonté à celle de Dieu.
136 En deuxième lieu, vie de prière, parce que le don, l’obéissance et la bonté du chrétien naissent de l’amour et s’orientent vers l’amour. Et l’amour conduit à la fréquentation, à la conversation et à l’amitié. La vie chrétienne requiert un dialogue constant avec le Dieu Un et Trine, et c’est à cette intimité que nous conduit le Saint-Esprit. Qui donc chez les hommes connaît les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui? De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu Si nous sommes en rapport constant avec le Saint-Esprit, nous deviendrons également spirituels, nous nous sentirons frères du Christ et enfants de Dieu, de ce Dieu que nous n’hésiterons pas à invoquer comme notre propre Père.
Habituons-nous à fréquenter le Saint-Esprit, car c’est Lui qui doit nous sanctifier; à avoir confiance en Lui, à Lui demander son aide, et à Le sentir près de nous. Notre pauvre cœur s’agrandira peu à peu, nous aurons davantage envie d’aimer Dieu et, pour Lui, toutes les créatures. Et la vision finale de l’Apocalypse se reproduira alors dans notre vie: l’Esprit et l'Épouse, le Saint-Esprit et l'Église – et chaque chrétien s’adressent à Jésus, au Christ, et Lui demandent de venir et d’être avec nous pour toujours.
137 Union à la Croix enfin, parce que, dans la vie du Christ, le Calvaire a précédé la Résurrection et la Pentecôte. Le même processus doit se reproduire dans la vie de chaque chrétien: nous sommes, nous dit saint Paul, cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui pour être aussi glorifies avec Lui Le Saint-Esprit est le fruit de la Croix, du don total à Dieu, de la recherche exclusive de sa gloire et du renoncement absolu à nous-mêmes.
Ce n’est que lorsque l’homme, fidèle à sa grâce, se décide à mettre la Croix au centre de son âme, en se reniant soi-même par amour de Dieu, lorsqu’il est réellement libéré de l’égoïsme et de toute fausse sécurité humaine, c’est-à-dire quand il vit vraiment de la foi, c’est alors, et alors seulement, qu’il reçoit en sa plénitude le grand feu, la grande lumière et la grande consolation du Saint-Esprit.
C’est à ce moment aussi que l’âme se remplit de cette paix et de cette liberté que le Christ nous a gagnées.
et que la grâce du Saint-Esprit nous communique. Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, patience, bonté, douceur, foi, modestie, continence, chasteté. Et où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.
138 Au milieu des limitations inséparables de notre condition présente, car, d’une certaine façon, le pêche continue d’habiter en nous, le chrétien perçoit avec une clarté nouvelle toute la richesse de sa filiation divine, quand il se sent entièrement libre parce qu’il travaille aux choses de son Père, quand sa joie se fait continuelle parce que rien ne peut détruire son espérance.
Ceci se produit aussi, et en même temps, quand il est à même d’admirer toutes les beautés et les merveilles de la terre, d’en apprécier toute la richesse et toute la honte, d’aimer avec toute la loyauté et toute la pureté dont est capable le cœur humain. Quand sa douleur devant le péché ne dégénère pas en un geste amer, désespéré ou hautain, car la componction et la connaissance de la faiblesse humaine le conduisent à s’identifier de nouveau à la soif rédemptrice du Christ et à ressentir plus profondément sa solidarité avec tous les hommes. Quand, enfin, le chrétien éprouve en lui-même, avec certitude, la force du Saint-Esprit, de telle sorte que ses chutes personnelles ne l’abattent pas, mais sont plutôt une invitation à recommencer et à continuer d’être un témoin fidèle du Christ à tous les carrefours de la terre, malgré ses misères personnelles qui, dans ces cas, sont en général des fautes légères, qui troublent à peine l’âme; et, même si elles sont graves, le simple fait d’accourir avec componction au Sacrement de la Pénitence nous redonne la paix de Dieu et fait de nous, à nouveau, de bons témoins de ses miséricordes.
Telle est, résumée, la richesse de la foi, qui parvient à peine à s’exprimer par de pauvres paroles humaines; telle est la vie du chrétien, s’il se laisse guider par le Saint-Esprit C’est pourquoi je ne puis terminer autrement qu’en faisant mienne la demande exprimée par un des chants liturgiques de la fête de la Pentecôte, qui est comme un écho de la prière sans fin de l'Église tout entière: Viens, Esprit Créateur, visiter les âmes de tes fidèles; emplis de la grâce d’en haut les cœurs que tu as créés. Fais-nous connaître le Père, et révèle-nous le Fils, fais-nous toujours croire en Toi, Esprit qui procèdes de l’un et de l’autre.
139 Un regard sur le monde, un regard au peuple de Dieu, en ce mois de mai qui commence, nous permet de contempler le spectacle de cette dévotion mariale, qui se manifeste par tant de coutumes, anciennes ou nouvelles, mais toutes vécues dans le même esprit d’amour.
Le cœur se réjouit de constater combien la dévotion à la Vierge est toujours vivante, et réveille dans les âmes chrétiennes l’élan surnaturel qui les fait agir comme domestici Dei, comme des membres de la famille de Dieu.
Vous aussi sûrement, lorsque vous voyez, en ce mois, tant de chrétiens exprimer de mille manières différentes leur affection pour la sainte Vierge Marie, vous sentez mieux et votre appartenance à l'Église et votre fraternité avec tous ces chrétiens qui sont vos frères. C’est comme une réunion de famille, lorsque les aînés, séparés par la vie, se retrouvent auprès de leur mère à l’occasion d’une fête. Et s’ils se sont parfois disputes, s’ils se sont maltraités, ce jour-là, on n’en parle plus; ce jour-là, ils se sentent unis, ils se retrouvent tous avec une affection commune.
Marie édifie continuellement l'Église, elle la rassemble, elle en assure la cohésion. Il est donc difficile d’avoir une véritable dévotion à la sainte Vierge sans se sentir plus uni aux autres membres du Corps Mystique et également à sa tête visible, le Pape. Voilà pourquoi j’aime redire sans cesse: Omnes cum Petro ad Iesum per Mariam!; tous, avec Pierre, vers Jésus, par Marie. Lorsque nous nous reconnaissons ainsi comme des membres à part entière de l'Église, invités à nous sentir davantage frères dans la foi, nous découvrons mieux la profondeur de cette fraternité qui nous unit à l’humanité tout entière; en effet l'Église a été envoyée par le Christ à toutes les nations et à tous les peuples.
Nous avons tous fait l’expérience de ce que je viens de vous dire: les occasions de constater les effets surnaturels d’une dévotion sincère à la sainte Vierge ne nous ont pas manqué, et chacun d’entre vous pourrait en dire long à ce sujet. Et moi aussi: il me revient en mémoire un pèlerinage que j’ai fait, en 1933, à un sanctuaire de la Vierge, en Castille, à Sonsoles.
Ce n’était pas un pèlerinage au sens habituel du terme, car il n’était ni bruyant, ni massif: nous étions trois. Je respecte et j’aime les autres manifestations publiques de piété, mais, personnellement, je préfère essayer d’offrir à Marie une affection et un enthousiasme analogues, au cours de visites personnelles, ou en petits groupes, avec toute la saveur que donne l’intimité.
Donc lors de ce pèlerinage à Sonsoles, je découvris l’origine de ce titre sous lequel on invoque la Vierge. Détail peut-être sans grande importance, mais manifestation filiale de la piété de cette région. La statue de Notre-Dame que l’on vénère en ce lieu demeura cachée quelque temps, à l’époque des luttes entre chrétiens et musulmans, en Espagne. Au bout de quelques années, elle fut découverte par des bergers qui, selon la tradition, s’exclamèrent: « Quels beaux yeux, ce sont des soleils! "son soles!" »
140 Depuis cette année 1933, lors de visites nombreuses et régulières à divers sanctuaires de Notre Dame, j’ai eu l’occasion de réfléchir et de méditer sur la réalité de cette affection que tant de chrétiens portent à la Mère de Jésus. Et j’ai toujours pensé qu’elle consiste à lui rendre amour pour amour, à lui témoigner notre reconnaissance filiale. En effet Marie est étroitement unie à l’incomparable manifestation de l’amour de Dieu qu’est l’Incarnation du Verbe, qui se fit homme comme nous et prit sur Lui le fardeau de nos misères et de nos péchés. Marie, fidèle à la mission divine pour laquelle elle fut créée, a prodigué et prodigue continuellement ses soins aux hommes, tous appelés à être frères de son Fils Jésus. Et la Mère de Dieu est réellement, maintenant aussi, Mère des hommes. Il en est ainsi parce que le Seigneur l’a voulu. L’Esprit Saint a fait en sorte que cela demeurât par écrit, aux yeux de toutes les générations: Près de la Croix de Jésus se tenaient sa mère, la soeur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’Il aimait, Jésus dit à sa mère: « Femme, voici ton fils ». Puis Il dit au disciple: « Voici ta mère ». A partir de cette heure, le disciple la prit chez lui.
Et Jean, le disciple bien-aimé de Jésus, reçoit Marie, l’introduit dans sa maison, dans sa vie. Les auteurs spirituels ont discerné dans ces paroles que nous rapporte le saint Évangile, une invitation adressée à tous les chrétiens, pour qu’eux aussi mettent Marie dans leur vie. En un sens, ces précisions sont presque superflues; il est bien évident que Marie désire que nous l’invoquions, que nous nous approchions d’elle avec confiance, que nous en appelions à son sens maternel, en la priant de « se montrer notre Mère ».
Mais c’est une Mère qui ne se fait pas prier, qui va même jusqu’à devancer nos prières, parce qu’elle connaît nos besoins et vient rapidement à notre aide, en démontrant, par des actes, qu’elle se souvient constamment de ses enfants. Chacun d’entre nous, lorsqu’il évoque sa propre vie et constate à quel point s’y manifeste la miséricorde de Dieu, peut découvrir mille raisons de se sentir fils de Marie à un titre bien spécial.
141 Les passages de la Sainte Écriture qui nous parlent de Notre Dame, montrent justement comment la Mère de Jésus accompagne son Fils pas à pas en s’associant à sa mission rédemptrice, en se réjouissant et en souffrant avec Lui, en aimant ceux qu’aime Jésus, en s’occupant avec une sollicitude maternelle de tous ceux qui sont à ses cotés.
Rappelons-nous, par exemple, le récit des noces de Cana. Dans la foule des invités d’une de ces bruyantes noces campagnardes où accourent des gens de tous les alentours, Marie s’aperçoit que le vin vient à manquer. Elle seule s’en aperçoit, et immédiatement. Comme ces scènes de la vie du Christ nous paraissent familières! C’est que la grandeur de Dieu se mêle à la vie ordinaire, courante. Et c’est bien le propre d’un femme, d’une maîtresse de maison avisée, que de relever une négligence, d’être attentive aux petits détails qui rendent agréable l’existence humaine; ainsi en est-il de Marie.
Remarquez aussi que c’est Jean qui raconte la scène de Cana. Il est le seul des évangélistes à avoir recueilli ce trait de sollicitude maternelle. Saint Jean veut nous rappeler que Marie a été présente aux débuts de la vie publique du Seigneur. C’est bien la preuve qu’il a su percevoir en profondeur l’importance de cette présence de Notre Dame. Jésus savait à qui il confiait sa Mère: à un disciple qui l’avait aimée, qui avait appris à la chérir comme sa propre mère et qui était capable de la comprendre.
Pensons maintenant à ces Journées qui suivirent l’Ascension, dans l’attente de la Pentecôte. Les disciples remplis de foi par le triomphe du Christ ressuscité et d’un ardent désir de l’Esprit Saint, veulent se sentir unis, et nous les trouvons cum Maria Matre Iesu, avec Marie, la Mère de Jésus. La prière des disciples accompagne celle de Marie, car c’était la prière d’une famille unie.
Cette fois-ci, celui qui nous transmet ce renseignement est saint Luc, l’évangéliste qui s’est le plus étendu sur l’enfance de Jésus On dirait qu’il veut nous faire bien comprendre que Marie, tout comme elle a joue un rôle de premier plan dans l’Incarnation du Verbe, a également, d’une manière analogue, été présente à l’origine de l'Église, qui est le Corps du Christ.
Dès les premiers moments de la vie de l'Église, tous les chrétiens qui ont recherché l’amour de Dieu, cet amour qui se révèle à nos yeux et s’incarne en Jésus-Christ, ont trouvé la sainte Vierge sur leur chemin et ont fait de mille manières différentes l’expérience de sa maternelle sollicitude. La Très Sainte Vierge peut être appelée en toute vérité Mère de tous les chrétiens. Saint Augustin l’affirmait en une formule lumineuse: Sa charité fit en sorte que naquissent dans l'Église les fidèles, membres de cette tête dont elle est effectivement la mère selon le corps.
Il n’y a donc rien d’étrange à ce que l’un des témoignages les plus anciens de la dévotion à Marie soit justement une oraison pleine de confiance. Je fais allusion à cette antienne, composée il y a des siècles, que nous continuons à redire aujourd’hui encore: Nous nous réfugions sous votre protection, sainte Mère de Dieu! Ne vous montrez pas indifférente à nos prières, dans la détresse; mais délivrez-nous sans cesse de tous les dangers, O Vierge glorieuse et bénie!.
142 C’est de manière spontanée, naturelle, que naît en nous le désir de vivre dans l’intimité de la Mère de Dieu, qui est aussi notre Mère; d’avoir avec elle les rapports que nous aurions avec une personne vivante. En effet, la mort n’a pas eu raison de Celle qui, au contraire, se trouve, corps et âme, aux côtes de Dieu le Père, de son Fils, du Saint-Esprit.
Pour comprendre le rôle que joue Marie dans la vie chrétienne, pour nous sentir attirés vers elle, pour rechercher, dans un élan filial, son aimable compagnie, il n’est pas besoin de grandes démonstrations, bien que le mystère de la Maternité divine soit tellement riche que jamais nous n’en considérerons suffisamment le contenu.
La foi catholique a su reconnaître en Marie un signe privilégié de l’amour de Dieu. Dieu nous appelle désormais ses amis; sa grâce opère en nous; elle nous régénère en nous délivrant du péché; elle nous donne la force de pouvoir refléter d’une certaine manière le visage du Christ, au sein même des faiblesses inhérentes à tout être encore pétri de poussière et de misère. Nous ne sommes pas des naufragés auxquels Dieu a promis le salut, car ce salut agit déjà en nous. Nos relations personnelles avec Dieu ne sont pas celles d’un aveugle avide de lumière, qui gémit dans les affres de l’obscurité, mais celles d’un fils qui se sait aimé de son Père.
C’est de cette affection, de cette confiance, de cette sécurité, que nous parle Marie. Voilà pourquoi son nom touche notre cœur. Les rapports de chacun de nous avec sa propre mère peuvent nous servir d’exemple et de modèle pour nos rapports avec la Dame « au Doux Nom », Marie. Nous devons aimer Dieu avec le cœur avec lequel nous aimons nos parents, nos frères et soeurs, les autres membres de notre famille, nos amis et amies; car nous n’en avons pas d’autre. C’est donc avec ce même cœur, que nous fréquenterons Marie.
Comment se conduit normalement un fils ou une fille avec sa mère? De mille façons, mais toujours avec affection et confiance; une affection qui revêtira dans chaque cas des formes précises, nées de la vie même, jamais figées dans la froideur. Ce seront, au contraire, des coutumes familiales pleines de chaleur, de petites attentions quotidiennes, de celles que l’enfant se doit d’avoir à l’égard de sa mère, et qui manquent à celle-ci si d’aventure il les oublie: un baiser, une caresse en sortant ou en rentrant à la maison, un petit cadeau, quelques mots affectueux.
Dans nos relations avec notre Mère du Ciel, se retrouvent aussi ces gestes de piété filiale qui expriment notre attitude habituelle envers elle. Bien des chrétiens adoptent l’ancienne coutume du scapulaire, ou bien ils ont pris l’habitude de saluer – point n’est besoin de mots, une pensée suffit – les images de Marie qui se trouvent dans tout foyer chrétien ou qui ornent les rues de bien des villes; ou encore ils récitent la merveilleuse prière qu’est le rosaire, où l’âme ne se lasse point de redire toujours les mêmes choses, pas plus que ne s’en lassent les amoureux quand ils s’aiment, où elle apprend à revivre les moments dominants de la vie du Seigneur; ou bien, enfin, ils s’habituent à consacrer à Notre Dame un jour de la semaine, justement celui où nous sommes réunis, le samedi, en lui offrant une petite attention et en méditant plus particulièrement sur sa maternité.
Il existe bien d’autres dévotions mariales qu’il n’est pas nécessaire de rappeler ici maintenant. Elles n’ont pas besoin d’être toutes incorporées à la vie de chaque chrétien – croître en vie surnaturelle est bien différent d’accumuler purement et simplement des dévotions –mais je dois affirmer en même temps que celui qui n’en vit pas au moins quelques-unes, celui qui ne manifeste pas d’une manière ou d’une autre son amour à Marie, ne possède pas la plénitude de la foi.
Ceux qui trouvent démodées les dévotions envers la Très Sainte Vierge, manifestent qu’ils ont perdu de vue le sens profondément chrétien qu’elles contiennent et qu’ils ont oublié la source dont ils procèdent: la foi en la volonté salvatrice de Dieu le Père, l’amour envers Dieu le Fils, qui s’est réellement fait homme et est né d’une femme, la confiance en Dieu le Saint-Esprit, qui nous sanctifie par sa grâce. C’est Dieu qui nous a donné Marie, et nous n’avons pas le droit de la repousser; nous devons au contraire recourir à elle avec l’amour et la joie des enfants.
143 Considérons attentivement ce point, qui peut nous aider à comprendre des choses très importantes, puisque le mystère de Marie nous fait découvrir que, pour nous approcher de Dieu, il nous faut devenir tout petits. En vérité, je vous le dis – affirme le Seigneur en s’adressant à ses disciples – si vous ne changez pas et ne redevenez pas comme les Petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux.
Nous faire tout petits: renoncer à l’orgueil, à l’autosatisfaction; reconnaître que, à nous seuls, nous ne pouvons rien, parce que nous avons besoin de la grâce et du pouvoir de Dieu notre Père pour apprendre à cheminer, et pour persévérer dans le chemin. Être petit exige de s’abandonner comme s’abandonnent les enfants, de croire comme croient les enfants, de demander comme demandent les enfants.
Et tout cela s’apprend dans l’intimité de Marie. La dévotion à la Sainte Vierge n’est ni mièvrerie ni manque de virilité: c’est une consolation et une joie intérieure qui comblent l’âme dans la mesure, justement, où cette dévotion suppose une mise en oeuvre profonde et entière de la foi, qui nous fait sortir de nous-mêmes et mettre toute notre espérance dans le Seigneur: Yahvé est mon pasteur – chante un des Psaumes – je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer. Vers les eaux du repos il me mène, il y refait mon âme. Il me guide par le juste chemin pour l’amour de son nom. Passerai-je un ravin de ténèbres, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi.
C’est parce que Marie est Mère que notre dévotion à son égard nous apprend à être enfants, à aimer pour de bon, sans mesure; à être simples, sans les complications nées de l’égoïsme, parce que nous ne pensons qu’à nous-mêmes; à être joyeux, en sachant que rien ne peut détruire notre espérance. Le commencement de ce chemin menant jusqu’à la folle de l’amour de Dieu est un amour confiant envers la Très Sainte Vierge Marie. C’est ce que j’ai écrit, il y a déjà bien longtemps, dans le prologue à des commentaires du saint rosaire. Depuis lors, j’ai pu m’assurer bien souvent de cette vérité. Je ne vais pas faire ici de grands raisonnements pour commenter cette idée; le vous inviterai plutôt à en faire l’expérience, à la découvrir vous-mêmes en recherchant avec amour la compagnie de Marie, en lui ouvrant vos cœurs, en lui confiant vos joies et vos peines, en lui demandant de vous aider à connaître et à suivre Jésus.
144 Si vous cherchez Marie, vous trouverez Jésus. Et vous apprendrez à comprendre un petit peu ce qu’il y a dans ce cœur de Dieu qui s’anéantit, qui renonce à manifester son pouvoir et sa majesté, pour se présenter à nous sous la forme d’un esclave. En employant le langage de tous les jours, nous pourrions dire que Dieu dépasse les bornes, puisqu’Il. ne se limite pas à ce qui serait essentiel ou indispensable pour nous sauver; Il va plus loin. L’unique forme de conduite ou de mesure qui nous permet de comprendre tant soit peu cette manière d’agir de Dieu, c’est de nous rendre compte qu’elle manque de mesure, de concevoir à quel point elle naît d’une folie d’amour qui Le pousse à prendre notre chair et à se charger du fardeau de nos pêchés.
Comment serait-il possible que nous nous en rendions compte et que nous percevions combien Dieu nous aime, sans devenir à notre tour fous d’amour? Il faut laisser ces vérités de notre foi imprégner notre âme jusqu’à ce qu’elles transforment toute notre vie. Dieu nous aime! Lui, le Tout-Puissant, l’Omnipotent, qui a fait le ciel et la terre.
Dieu va jusqu’à s’intéresser aux plus petits détails concernant ses créatures – vos affaires et les miennes – et il nous appelle un par un, par notre nom. Cette certitude que nous donne la foi nous fait contempler ce qui nous entoure sous un jour nouveau et, bien que tout demeure pareil, nous avons la sensation que tout est différent, parce que tout est expression de l’amour de Dieu.
Notre vie devient alors une prière continuelle, dans une bonne humeur et une paix qui jamais ne s’épuisent, dans un mouvement d’action de grâces s’égrenant au fil des heures. Mon âme exalte le Seigneur, s’exclame Marie, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu’il a jeté les yeux sur son humble servante. Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Saint est son nom.
Notre prière à nous peut accompagner et imiter cette prière de Marie. Comme Elle, nous ressentirons le désir de chanter, de proclamer les merveilles de Dieu, pour que l’humanité entière participe à notre bonheur.
145 L’on ne peut avoir avec Marie ces relations filiales et, en même temps, ne penser qu’à soi, à ses propres problèmes. L’on ne peut entrer dans l’intimité de la Sainte Vierge et s’enfermer dans d’égoïstes problèmes personnels. Marie nous conduit à Jésus, et Jésus est primogenitus in multis fratribus, le premier-né d’une multitude de frères Connaître Jésus, par conséquent, c’est nous rendre compte que notre vie ne peut choisir d’autre orientation que de nous donner totalement au service des autres. Le chrétien ne peut se contenter de s’arrêter à ses problèmes personnels, car il doit vivre en rapport avec l'Église universelle, en pensant au salut de toutes les âmes.
Ainsi, même les affaires que nous pourrions considérer comme les plus intimes et privées – le souci de notre progrès intérieur – ne nous sont pas personnelles, car la sanctification forme un tout indissociable avec l’apostolat. Nous devons lutter dans notre vie intérieure pour développer en nous les vertus chrétiennes, en pensant au bien de toute l'Église, car nous ne pourrions pas faire le bien et faire connaître le Christ s’il n’y avait en nous un effort sincère pour incarner pratiquement dans notre vie l’enseignement de l'Évangile.
Si nous sommes impregnés de cet esprit, nos prières, même lorsqu’elles commencent par des sujets et des propos en apparence personnels, finissent toujours par s’orienter vers le service des autres. Et si nous cheminons la main dans la main avec la Sainte Vierge, Elle nous fera ressentir notre fraternité avec tous les hommes, car nous sommes tous les enfants de ce Dieu dont Elle est Fille, Epouse et Mère.
Il faut que les problèmes des autres soient nos problèmes; la fraternité chrétienne doit être profondément ancrée dans nos âmes, de sorte que personne ne nous soit indifférent. Marie, la Mère de Jésus, qui l’a nourri, élevé et accompagné durant sa vie sur la terre, et qui maintenant se trouve à ses côtés au Ciel, nous aidera à reconnaître ce Jésus qui passe à côté de nous, et qui se présente à travers les besoins de nos frères les hommes.
146 Lors de ce pèlerinage dont je vous parlais au début, tandis que nous marchions vers le sanctuaire de Sonsoles, nous vînmes à passer le long de champs de blé. Les moissons étincelaient au soleil, ondulées par le vent. Il me vint alors à l’esprit un passage de l'Évangile, ces paroles que le Seigneur adressa au groupe des disciples: Ne dites-vous pas: encore quatre mois, avant que vienne la moisson? Eh bien! je vous le dis, levez les yeux et voyez: les champs sont blancs pour la moisson. Et je pensai une fois de plus que le Seigneur voulait infuser dans nos cœurs le même élan, le même feu qui dominait le sien. M’écartant un peu du chemin, je cueillis quelques épis pour en garder le souvenir.
Il faut ouvrir les yeux, savoir regarder autour de nous, et reconnaître ces appels que Dieu nous lance à travers ceux qui nous entourent. Nous ne pouvons vivre le dos tourné à la foule, enfermés dans notre petit monde, car ce n’est pas ainsi que vécut Jésus. Les Évangiles nous parlent abondamment de sa miséricorde, de sa capacité de prendre part à la douleur et aux besoins des autres: Il a pitié de la veuve de Naïm;
Il pleure la mort de Lazare, Il se soucie des foules qui Le suivent et qui n’ont rien à manger, et surtout, Il a aussi pitié des pêcheurs, de ceux qui Cheminent de par le monde sans connaître la lumière ni la vérité: En débarquant, Jésus vit une grande foule et en eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et Il se mit à les instruire longuement.
C’est lorsque nous sommes vraiment les fils de Marie que nous comprenons cette attitude du Seigneur, et que notre cœur s’agrandit et devient accessible à la miséricorde. Alors, les souffrances, les misères, les erreurs, la solitude, l’angoisse, la douleur de nos frères les autres hommes nous font souffrir. Alors nous ressentons l’urgence de les aider dans leurs besoins et de leur parler de Dieu, pour qu’ils sachent s’adresser familièrement à Lui, comme des enfants, pour qu’ils puissent apprécier les délicatesses maternelles de Marie.
147 Remplir le monde de lumière, être sel et lumière: c’est ainsi que le Seigneur a décrit la mission de ses disciples. Porter jusqu’aux derniers confins de la terre la bonne nouvelle de l’amour de Dieu. C’est à cela que tous les chrétiens doivent consacrer leur vie, d’une manière ou d’une autre.
J’irai plus loin. Nous devons être consumes par le désir de ne pas demeurer seuls, nous devons encourager les autres à contribuer à cette mission divine d’apporter joie et paix au cœur des hommes. Dans la mesure où vous progresserez, vous-mêmes – écrit saint Grégoire le Grand –, attirez les autres à vous; ayez ce désir d’avoir des compagnons sur votre chemin vers le Seigneur.
Mais souvenez-vous que, cum dormirent hommes, tandis que les hommes s’étaient assoupis, surgit le semeur d’ivraie, comme dit le Seigneur dans l’une de ses paraboles. Nous, les hommes, nous sommes exposés à nous laisser envahir par le sommeil de l’égoïsme et de la superficialité, à laisser notre cœur se disperser en mille expériences éphémères, à esquiver la recherche en profondeur du véritable sens des réalités terrestres. Triste chose que ce sommeil qui étouffe la dignité de l’homme et le rend esclave de la tristesse!
Il est un cas qui doit nous faire souffrir par-dessus tout: celui des chrétiens qui pourraient donner bien davantage et ne se décident pas, qui pourraient se donner à fond, en vivant toutes les conséquences de leur vocation d’enfants de Dieu, mais qui résistent devant la perspective d’être généreux. Cela doit nous faire souffrir, parce que la grâce de la foi ne nous a pas été conférée pour rester cachée, mais bien au contraire, pour briller devant les hommes; parce qu’en outre, c’est la félicité temporelle et éternelle de ceux qui agissent de la sorte qui est alors en jeu. La vie chrétienne est une merveille divine, dotée de promesses immédiates de satisfaction et de sérénité, à condition, toutefois, que nous sachions apprécier le don de Dieu, en étant généreux sans réserves.
Il faut donc réveiller ceux qui ont pu sombrer dans ce mauvais sommeil; il faut leur rappeler que la vie n’est pas un jeu, mais un trésor divin à faire fructifier. Il faut également montrer le chemin à ceux qui sont pleins de bonne volonté et de louables désirs, mais ne savent pas comment les mettre en pratique. Le Christ nous presse: chacun de vous doit être non seulement apôtre, mais apôtre d’apôtres, qui entraîne les autres, qui les incite à faire connaître Jésus-Christ, eux aussi.
148 Certains se demanderont peut-être comment, de quelle manière, ils peuvent communiquer cette connaissance du Christ aux autres je vous répondrai: avec naturel, avec simplicité, en vivant exactement comme vous le faites au milieu du monde, adonnés que vous êtes à votre travail professionnel et au soin de votre famille, en prenant part à toutes les aspirations nobles des hommes, en respectant la légitime liberté de chacun.
Voilà presque trente ans maintenant que le Seigneur a mis dans mon cœur le désir ardent de faire comprendre cette doctrine à des personnes d’états de vie, de conditions et d’occupations les plus varies: la vie ordinaire peut être sainte et remplie de Dieu, le Seigneur nous appelle à sanctifier nos taches habituelles, parce que la aussi réside la perfection chrétienne. Pensons-y une fois de plus, tout en contemplant la vie de Notre Dame.
N’oublions pas que la presque totalité des journées que Marie a passées sur cette terre se sont déroulées d’une manière bien semblable aux journées de millions d’autres femmes, consacrées elles aussi à leur famille, à l’éducation de leurs enfants, aux tâches du foyer à mener à bien. De tout cela, Marie sanctifie jusqu’au plus petit détail, à ce que beaucoup considèrent à tort comme insignifiant et sans valeur: le travail de chaque jour, les attentions à l’égard des personnes aimées, les conversations et les visites de parents ou d’amis. Vie ordinaire bénie, qui peut être tellement pleine d’amour de Dieu!
Car voila ce qui explique la vie de Marie: son amour. Un amour pousse à l’extrême, jusqu’à l’oubli total de soi, toute contente qu’elle était de se trouver à sa place, là où Dieu la voulait, dans l’accomplissement total de la volonté divine. C’est pourquoi le plus petit de ses gestes n’est jamais banal, mais apparaît, au contraire comme plein de signification. Marie, Notre Mère, est pour nous un exemple et un chemin. Il nous appartient d’essayer d’être comme Elle, dans les circonstances précises où Dieu a voulu que nous vivions.
En agissant de la sorte, nous donnerons à ceux qui nous entourent le témoignage d’une vie simple et normale, non exempte des limitations et des défauts propres à notre humaine mais pourtant cohérente condition En nous voyant égaux à eux en toute chose, les autres se sentiront invités à nous demander: « Comment s’explique votre joie? D’où tirez-vous des forces pour vaincre égoïsme et commodité? Qui vous apprend cette compréhension, cette bonne entente pleine de franchise, cet esprit de service et ce don de vous-même aux autres? »
C’est alors le moment de leur découvrir le secret divin de l’expérience chrétienne, de leur parler de Dieu, du Christ, du Saint-Esprit, de Marie. C’est le moment d’essayer de transmettre, à travers notre pauvre langage, la folie de l’amour de Dieu que la grâce a répandue dans nos cœurs.
149 Saint Jean nous rapporte, dans son Évangile, une merveilleuse expression de la Vierge, au cours d’une scène que nous avons déjà évoquée, les noces de Cana. L’évangéliste nous raconte qu’en s’adressant aux serviteurs, Marie leur recommanda: Tout ce qu’Il vous dira, faites-le. C’est bien de cela qu’il s’agit: amener les âmes à rencontrer Jésus face à face et à Lui demander: Domine, quid me vis facere?, Seigneur, que veux-tu que je fasse?
L’apostolat chrétien – et je me réfère ici, concrètement, à celui d’un chrétien courant, à celui d’un homme ou d’une femme qui vit sans être rien de plus que ses semblables – est une grande catéchèse où, grâce aux rapports personnels et à une amitié loyale et authentique, on éveille chez les autres la faim de Dieu, et où on les aide à découvrir de nouveaux horizons; avec naturel, avec simplicité, vous ai-je dit, par l’exemple d’une foi vécue à fond, par la parole aimable mais toute pleine de la force de la vérité divine.
Vous pouvez compter sur l’aide de Marie, Regina apostolorum. Notre Dame, sans cesser pour autant de se comporter comme une Mère, sait placer ses enfants devant leurs responsabilités précises. Ceux qui s’approchent d’elle et contemplent sa vie, Marie accepte toujours de les mener à la Croix, de leur faire contempler face à face l’exemple du Fils de Dieu. Et dans ce face à face où se décide la vie chrétienne, Marie intercède pour que notre conduite aboutisse à la réconciliation du petit frère – toi et moi – avec le Fils Premier-né du Père.
Nombre de conversions, nombre de décisions de se donner tout entier au service de Dieu ont été précédées d’une rencontre avec Marie. Notre Dame a suscité dans ces âmes un désir de dépassement et elle a stimulé maternellement cette inquiétude; c’est elle qui les a fait aspirer à un changement, à une vie nouvelle. Voilà comment ce « tout ce qu’Il vous dira, faites-le », devient réalité: don amoureux, vocation chrétienne qui illumine dès lors toute notre vie personnelle.
Ce moment de conversation devant le Seigneur, où nous avons médite sur la dévotion et l’affection envers sa Mère, qui est aussi la notre, nous pouvons le conclure en ravivant notre foi. Le mois de mai vient de commencer. Le Seigneur désire que nous ne manquions pas cette occasion de croître en son Amour grâce à cette intimité avec sa Mère. Sachons avoir chaque jour à son égard des attentions d’enfants petites choses, manifestations de délicatesse – qui deviendront de grandes réalités, en fait, de sainteté personnelle et d’apostolat, c’est-à-dire le désir ardent de contribuer sans relâche au salut que le Christ est venu apporter au monde.
Sancta Maria, spes nostra, ancilla Domini, sedes Sapientiæ, ora pro nobis!, Sainte Marie, notre espérance, servante du Seigneur, siège de la sagesse, priez pour nous!
150 En ce jour de la Fête-Dieu, nous allons méditer ensemble sur la profondeur de l’amour du Seigneur, qui L’a amené à demeurer caché sous les espèces sacramentelles. Il nous semble entendre de nos propres oreilles cette prédication qu’Il adressait à la foule: Voici que le semeur est sorti pour semer. Comme il semait, des grains sont tombes au bord du chemin, et les oiseaux sont venus pour les manger. D’autres sont tombes sur les endroits pierreux où ils n’avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu’ils n’avaient pas de profondeur de terre, mais une fois le soleil levé, ils ont été brûlés et, faute de racine, se sont desséchés. D’autres sont tombes parmi les épines et les épines crûrent et les étouffèrent. D’autres sont tombes dans la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente.
La scène est d’actualité. Aujourd’hui le semeur divin sème encore sa semence à la volée L’oeuvre de salut continue de se réaliser, et le Seigneur veut se servir de nous; il désire que nous, les chrétiens, nous ouvrions à son amour tous les chemins de la terre; Il nous invite à propager son message divin, par la doctrine et par l’exemple, jusqu’aux confins du monde. Il nous demande, à nous, citoyens de la société qu’est l'Église, et citoyens de la société civile, d’être chacun un autre Christ dans l’accomplissement fidèle de ses devoirs, en sanctifiant son travail professionnel et les obligations de son état.
Si nous considérons ce monde qui nous entoure, et que nous aimons parce qu’il est l’oeuvre de Dieu, nous y verrons se réaliser la parabole: la parole de Jésus est féconde, elle suscite en de nombreuses âmes la soif de se donner et d’être fidèles. La vie et le comportement de ceux qui servent Dieu ont modifié l’histoire, et même beaucoup de ceux qui ne connaissent pas le Seigneur sont mus, peut-être sans le savoir, par des idéaux dont l’origine se trouve dans le christianisme.
Nous voyons aussi qu’une partie de la semence tombe dans la terre stérile, ou parmi les épines et les broussailles; qu’il y a des cœurs qui se ferment à la lumière de la foi. Si les idéaux de paix, de réconciliation, de fraternité sont acceptés et proclamés, ils sont trop souvent démentis par les faits. Quelques-uns s’acharnent en vain à bâillonner la voix de Dieu, en ayant recours, pour empêcher sa diffusion, soit à la force brutale, soit à une arme moins bruyante mais peut-être plus cruelle parce qu’elle insensibilise l’esprit: l’indifférence.
151 J’aimerais que la considération de tout cela nous amène à prendre conscience de notre mission de chrétiens et à tourner notre regard vers la Sainte Eucharistie, vers Jésus qui, présent parmi nous, nous a constitués comme membres de son corps: vos estis corpus Christi et membra de membro, vous êtes le corps du Christ et vous êtes des membres unis à d’autres membres. Notre Dieu a décidé de demeurer dans le Tabernacle pour nous alimenter, pour nous fortifier, pour nous diviniser, pour rendre efficace notre tâche et notre effort. Jésus est en même temps le semeur, la semence et le fruit des semailles: Il est le Pain de la vie éternelle.
Ce miracle, miracle continuellement renouvelé, de la Sainte Eucharistie, possède toutes les caractéristiques de la façon d’agir de Jésus. Dieu parfait et homme parfait, Seigneur du ciel et de la terre, Il s’offre à nous en nourriture de la manière la plus naturelle et la plus ordinaire. C’est ainsi qu’Il attend notre amour depuis près de deux mille ans. C’est à la fois beaucoup et peu de temps car, quand il y a l’amour, les jours s’envolent.
Il me revient à la mémoire une merveilleuse poésie de Galice, l’une des Complaintes d’Alphonse X le Sage. C’est la légende d’un moine qui, dans sa simplicité, supplia la Vierge Marie de lui laisser contempler le ciel, ne fût-ce qu’un instant. La Vierge accéda à son désir et le bon moine fut transporté au paradis. A son retour, il ne reconnaissait aucun des habitants du monastère: sa prière, bien qu’elle lui eût paru très brève, avait duré trois siècles. Trois siècles, ce n’est rien pour un cœur amoureux. C’est ainsi que je m’explique les deux mille ans d’attente du Seigneur dans l’Eucharistie: c’est l’attente de Dieu, qui aime les hommes, qui nous cherche, qui nous aime tels que nous sommes – limités, égoïstes, inconstants – mais capables de découvrir sa tendresse infinie et de nous donner entièrement à Lui.
C’est par amour et pour nous apprendre à aimer que Jésus est venu sur terre et qu’Il est demeure parmi nous dans l’Eucharistie. Ayant aime les siens qui étaient dans le monde, Il les aima jusqu’à la fin. C’est par ces mots que saint Jean commence le récit de ce qui arriva la veille de la Pâque, lorsque Jésus, nous rapporte saint Paul, prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit et dit: « Ceci est mon corps, qui sera livre pour vous; faites ceci en mémoire de moi. » De même, après le repas, Il prit la coupe en disant: « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; toutes les fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de Moi 4. ».
152 C’est l’instant simple et solennel de l’institution du Nouveau Testament, Jésus abroge l’ancienne économie de la Loi et nous révèle qu’Il sera Lui-même le contenu de notre prière et de notre vie.
Remarquez la joie qui envahit la liturgie d’aujourd’hui: que notre louange soit pleine, qu’elle soit sonore, qu’elle soit joyeuse. C’est la jubilation chrétienne qui chante l’arrivée d’un temps nouveau: l’ancienne Pâque s’est achevée, c’est la nouvelle qui commence. L’ancien fait place au nouveau, l’ombre à la réalité, la nuit est chassée par le jour.
Miracle d’amour. C’est vraiment le pain des enfants: Jésus, le Premier Né du Père Éternel, s’offre à nous en nourriture. Et c’est le même Jésus-Christ qui nous fortifie ici-bas et qui nous attend dans le ciel en tant que commensaux, cohéritiers et concitoyens; en effet ceux qui se nourrissent du Christ mourront de la mort terrestre et temporelle, mais vivront éternellement, parce que le Christ est la vie impérissable.
Pour le chrétien qui se fortifie par la manne impérissable de l’Eucharistie, le bonheur éternel commence dès à présent. Ce qui est vieux appartient au passé: laissons de cote ce qui est périssable; que tout soit nouveau pour nous: les cœurs, les mots et les actes.
Telle est la Bonne Nouvelle. C’est une nouveauté, une nouvelle, en ce sens qu’elle nous révèle une profondeur d’amour que nous ne soupçonnions pas jusqu’alors. Elle est bonne, parce que rien n’est meilleur que de nous unir intimement à Dieu, le Bien de tous les biens. C’est la Bonne Nouvelle, parce que, d’une certaine façon, elle est pour nous une anticipation mystérieuse de l’éternité.
153 Jésus se cache dans le Très Saint Sacrement de l’autel pour que nous osions L’approcher, pour être notre aliment, afin que nous ne fassions qu’un avec Lui. Quand Il a dit sans moi vous ne pouvez rien, Il n’a pas condamné le chrétien à l’inefficacité et ne l’a pas contraint à une quête ardue et difficile de sa Personne. Il est reste parmi nous, totalement disponible.
Lorsque nous nous réunissons devant l’autel tandis que se célèbre le saint Sacrifice de la Messe, lorsque nous contemplons la sainte Hostie exposée dans l’ostensoir, ou lorsque nous l’adorons, cachée dans le Tabernacle, nous devons raviver notre foi, penser à cette existence nouvelle qui vient à nous et nous émouvoir de l’affection et de la tendresse de Dieu.
Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. C’est ainsi que les Écritures décrivent la conduite des premiers chrétiens: rassemblés par la foi des Apôtres dans une unité parfaite, lorsqu’ils participaient à l’Eucharistie, d’un seul cœur dans la prière. Foi, Pain, Parole.
Jésus, dans l’Eucharistie, nous garantit avec certitude sa présence en notre âme; son pouvoir, qui soutient le monde; ses promesses de salut, qui aideront la famille humaine, quand viendra la fin des temps, à habiter pour toujours dans la maison du Ciel, autour de Dieu le Père, de Dieu le Fils et de Dieu le Saint-Esprit, Très Sainte Trinité, Dieu Unique. C’est notre foi tout entière qui intervient lorsque nous croyons en Jésus, en sa présence réelle sous les apparences du pain et du vin.
154 Je ne comprends pas comment l’on peut vivre chrétiennement sans ressentir le besoin d’une amitié constante avec Jésus dans la Parole et dans le Pain, dans la prière et dans l’Eucharistie. Et en revanche, je comprends très bien qu’au cours des siècles les générations successives de fidèles aient concrétisé progressivement cette piété eucharistique. Dans certains cas par des pratiques de masse, pour manifester ainsi publiquement leur foi; et d’autres fois par des gestes silencieux et discrets, dans la paix sacrée de l’église ou dans l’intimité du cœur.
Nous devons avant tout aimer la sainte Messe, qui doit être le centre de notre journée. Si nous vivons bien la Messe, comment ne pas continuer ensuite, pendant le reste de la journée, à penser au Seigneur, en ayant soin de ne pas nous éloigner de Sa présence, pour travailler comme Il travaillait et aimer comme Il aimait? Nous apprenons alors à remercier le Seigneur d’une autre manifestation de sa délicatesse: ne pas avoir voulu limiter Sa présence au moment du Sacrifice de l’autel, mais avoir voulu demeurer dans la sainte Hostie, réservée dans le Tabernacle.
Je vous dirai que le Tabernacle a toujours été pour moi comme Béthanie, cet endroit tranquille et paisible ou se trouve le Christ, où nous pouvons Lui raconter nos préoccupations, nos souffrances, nos espérances et nos joies, avec la simplicité et le naturel avec les quels Lui parlaient ses amis, Marthe, Marie et Lazare. C’est pourquoi, quand je parcours les rues d’une ville ou d’un village, je me réjouis de découvrir, même de loin, la silhouette d’une église; c’est un nouveau Tabernacle, une occasion de plus de laisser l’âme s’échapper, pour être, par le désir, aux cotés du Seigneur dans le saint Sacrement.
155 Quand le Seigneur institua la sainte Eucharistie au cours de la dernière Cène, il faisait nuit, ce qui montrait bien, commente saint Jean Chrysostome, que les temps étaient accomplis La nuit tombait sur le monde, car les rites anciens, les signes qu’autrefois Dieu avait donnés de sa miséricorde infinie envers l’humanité, allaient se réaliser pleinement, ouvrant la voie à une aube authentique: la nouvelle Pâque. L’Eucharistie fut instituée pendant la nuit, comme une préparation au matin de la Résurrection.
C’est aussi dans notre vie que nous avons à préparer cette aube. Il nous faut nous débarrasser de tout ce qui est périmé, dangereux, inutile: découragement, manque de confiance, tristesse, lâcheté. La sainte Eucharistie fait pénétrer chez les enfants de Dieu la nouveauté divine; nous devons répondre in novitate sensus, par le renouvellement de toutes nos pensées et de toutes nos actions. Il nous a été donné une nouvelle source d’énergie, une racine puissante, greffée sur le Seigneur. Nous ne pouvons plus revenir au vieux levain, alors que nous possédons le pain d’aujourd’hui et de toujours.
156 En ce jour de fête, un peu partout dans le monde, les chrétiens accompagnent en procession le Seigneur qui, caché dans l’Hostie, parcourt les rues et les places, comme pendant sa vie terrestre, en allant à la rencontre de ceux qui veulent Le voir, en se plaçant sur le chemin de ceux qui ne Le cherchent pas. Jésus apparaît ainsi une fois de plus au milieu des siens. Comment réagissons-nous devant cet appel du Maître?
En effet les manifestations extérieures d’amour doivent naître du cœur et avoir leur prolongement dans le témoignage d’une conduite chrétienne. Si la réception du corps du Seigneur nous a renouvelés, nous devons le prouver par nos actes. Que nos pensées soient sincères: qu’elles soient des pensées de paix, de générosité, de service. Que nos paroles soient véridiques, claires, opportunes; qu’elles sachent consoler et aider; surtout, qu’elles sachent apporter aux autres la lumière de Dieu. Que nos actes soient cohérents, efficaces, opportuns; qu’ils aient le bonus odor Christi, la bonne odeur du Christ, parce qu’ils rappelleront sa façon d’agir et de vivre.
La procession de la Fête-Dieu rend le Christ présent dans les villages et les villes du monde. Mais cette présence, je le répète, ne doit pas être l’affaire d’un jour, un bruit que l’on écoute et qui s’oublie. Ce passage de Jésus nous rappelle que nous devons aussi le découvrir dans nos occupations habituelles. A côté de la procession solennelle de ce jeudi, il doit y avoir la procession silencieuse et simple de la vie courante de chaque chrétien, homme parmi les hommes, mais qui a reçu la grâce de la foi et la mission divine d’avoir à actualiser le message du Christ sur la terre. Erreurs, misères, péchés ne vous manquent pas. Mais Dieu est avec les hommes et nous devons nous disposer de telle sorte qu’Il puisse se servir de nous et que son passage parmi les créatures soit incessant.
Demandons donc au Seigneur la grâce d’être des âmes eucharistiques, de nous aider à ce que nos rapports personnels avec Lui se traduisent par la joie, la sérénité, le désir de justice. Nous aiderons alors les autres à reconnaître le Christ, nous contribuerons à Le mettre au faite de toutes les activités humaines. Ainsi se réalisera la promesse de Jésus: et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi.
157 Jésus, vous disais-je au début, est le semeur. Et c’est avec les chrétiens qu’Il poursuit ses semailles divines. Le Christ presse le blé dans ses mains blessées, il l’imbibe de son sang, le lave, le purifie et le lance dans le sillon qu’est le monde. Il jette les grains un à un pour que chaque chrétien, dans son milieu, témoigne de la fécondité de la Mort et de la Résurrection du Seigneur.
Si nous sommes dans les mains du Christ, nous devons nous imprégner de son sang rédempteur, le laisser nous lancer à la volée, accepter notre vie telle que Dieu la veut. Et nous convaincre que, pour donner du fruit, la semence doit être enterrée et mourir. La tige s’élève ensuite et l’épi apparaît. De l’épi viendra le pain, que Dieu transformera en Corps du Christ. Nous nous unissons ainsi de nouveau à Jésus, qui a été notre semeur. Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, à nous tous nous ne formons qu’un corps, car tous nous avons part à ce pain unique.
Ne perdons jamais de vue qu’il ne saurait y avoir de fruit si auparavant il n’y a pas eu de semailles. Il est donc nécessaire de répandre généreusement la Parole de Dieu, de faire en sorte que les hommes connaissent le Christ et que Le connaissant, ils aient faim de Lui. Cette Fête-Dieu – fête du Corps du Christ, Pain de vie – est une bonne occasion pour méditer sur les différentes sortes de faim que l’on rencontre chez les gens: faim de vérité, de justice, d'unité et de paix. A ceux qui ont faim de paix nous répétons avec saint Paul: le Christ est notre paix, pax nostra. Ceux qui cherchent la vérité doivent nous faire rappeler que Jésus est le chemin, la vérité et la Vie. Quant à ceux qui aspirent à l’unité, nous les mettrons en présence du Christ qui prie pour que nous soyons consummati in unum, consommés dans l’unité. La faim de justice doit nous conduire à la source première de la concorde entre les hommes: être et se savoir enfants du Père, frères.
Paix, vérité, unité, justice. Comme il semble difficile parfois de surmonter les barrières qui s’opposent à la bonne entente entre les hommes. Et pourtant nous, les chrétiens, nous sommes appelés à réaliser ce grand miracle de la fraternité: obtenir, avec la grâce de Dieu, que les hommes se traitent chrétiennement, en portant les uns les fardeaux des autres, en vivant le commandement de l’Amour, qui est le lien de la perfection et le résumé de la loi.
158 Nous ne pouvons pas nous cacher qu’il reste beaucoup à faire. Un jour, contemplant peut-être la douce ondulation des épis déjà mûrs, Jésus dit à ses disciples: la moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson Maintenant comme alors, on continue de manquer d’ouvriers qui acceptent de supporter le poids du jour et de la chaleur. Et si nous, qui travaillons, nous ne sommes pas fidèles, il arrivera ce qu’écrit le prophète Joël: La campagne est ravagée, les glèbes sont en deuil. Car les blés sont ravagés, le moût fait défaut, l’huile fraîche tarit. Soyez consternes, laboureurs, lamentez-vous, vignerons, sur le froment et sur l’orge, car elle est perdue la moisson des champs.
Il n’y a pas de récolte si l’on n’est pas dispose à accepter généreusement un travail constant qui peut devenir long et fatigant: labourer la terre, semer la semence, prendre soin des champs, faire la moisson et le battage... C’est dans l’histoire, c’est dans le temps que se construit le Royaume de Dieu. Le Seigneur nous a confié cette tâche à tous, et aucun de nous ne peut s’en sentir exempté. En adorant et en regardant aujourd’hui le Christ dans l’Eucharistie, pensons que l’heure du repos n’est pas encore venue, que la journée continue.
Il est dit dans le livre des Proverbes que qui cultive sa terre sera rassasie de pain Essayons de nous appliquer le sens spirituel de ce passage: celui qui ne laboure pas le champ de Dieu, celui qui n’est pas fidèle à la mission divine de se donner aux autres, en les aidant à connaître le Christ, pourra difficilement comprendre ce qu’est le Pain Eucharistique. Personne n’attache de prix à ce qui ne lui a pas coûté d’effort. Pour apprécier et aimer la Sainte Eucharistie, il est nécessaire de parcourir le chemin du Christ: être blé, mourir à nous-mêmes, renaître pleins de vie et donner du fruit en abondance: cent pour un!.
Ce chemin se résume en un seul mot: aimer. Aimer, c’est avoir le cœur grand, ressentir les préoccupations de ceux qui nous entourent, savoir pardonner et comprendre: se sacrifier, avec Jésus-Christ, pour toutes les âmes. Si nous aimons avec le cœur du Christ, nous apprendrons à servir et nous défendrons la vérité avec clarté et amour. Pour aimer de la sorte, il faut que chacun de vous extirpe de sa vie personnelle tout ce qui gêne la vie du Christ en lui: le goût du confort, la tentation de l’égoïsme, la tendance à briller. Ce n’est qu’en reproduisant en nous cette vie du Christ que nous pourrons la transmettre aux autres; ce n’est qu’en faisant l’expérience de la mort du grain de blé que nous pourrons travailler dans les entrailles de la terre, la transformer de l’intérieur, la rendre féconde.
159 Peut-être pouvons-nous parfois être tentés de penser que tout cela est aussi beau qu’un rêve irréalisable. Je vous ai parlé de renouveler votre foi et votre espérance; demeurez fermes, pleinement assures que nos désirs seront combles par les merveilles de Dieu. Mais il est indispensable que nous nous amarrions réellement à la vertu chrétienne de l’espérance.
Ne nous habituons pas aux miracles qui se réalisent devant nous: ce prodige admirable du Seigneur qui descend chaque jour dans les mains du prêtre. Jésus veut que nous soyons en éveil pour que nous nous convainquions de la grandeur de sa puissance, et pour que nous entendions de nouveau sa promesse: venite post me, et faciam vos fieri piscatores hominum, si vous me suivez, je vous ferai pêcheurs d’hommes, vous serez efficaces et vous attirerez les âmes à Dieu. Nous devons donc avoir confiance en ces paroles du Seigneur, monter dans la barque, saisir les rames, hisser les voiles et nous lancer dans cette mer du monde que le Christ nous remet en héritage. Duc in altum et laxate retia vestra in capturam!: naviguez vers le large, et jetez vos filets pour pêcher.
Ce zèle apostolique que le Christ a mis dans notre cœur ne doit pas s’épuiser – s’éteindre – sous l’effet d’une fausse humilité. S’il est vrai que nous traînons nos misères personnelles, il n’est pas moins vrai que le Seigneur tient compte de nos erreurs. Le fait que les hommes soient des créatures, avec des limites, des faiblesses, des imperfections et l’inclination au péché, n’échappe pas à son regard miséricordieux. Mais Il nous ordonne de lutter, de reconnaître nos défauts; non pour nous en effrayer, mais pour nous repentir et susciter en nous le désir d’être meilleurs.
Nous devons en outre nous rappeler toujours que nous ne sommes que des instruments. Qu’est-ce donc qu’Apollos? Et qu’est-ce que Paul? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi, et chacun d’eux pour la part que le Seigneur lui a donnée. Moi, j’ai planté, Apollos a arrose; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. La doctrine, le message que nous devons répandre, a en lui-même une fécondité infinie, qui ne vient pas de nous, mais du Christ. C’est Dieu lui-même qui s’est engagé à réaliser l’oeuvre du salut, à racheter le monde.
160 Ayons donc foi, sans nous laisser dominer par le découragement, sans nous arrêter à des calculs purement humains. Pour surmonter les obstacles, il nous faut commencer à travailler, en nous mettant à l’ouvrage à fond, afin que notre effort lui-même nous amène à ouvrir de nouveaux sentiers. Le remède à toutes les difficultés consiste à se sanctifier soi-même et à s’en remettre au Seigneur.
Être saints, c’est vivre comme notre Père du ciel a prévu que nous vivions. Vous me direz que c’est difficile. C’est vrai, l’idéal est très élevé. Mais il est en même temps facile, à portée de la main. Quand une personne tombe malade, il arrive parfois que l’on ne parvienne pas à trouver le remède. Il n’en va pas de même dans le domaine du surnaturel. Le remède est toujours là: c’est Jésus-Christ présent dans la sainte Eucharistie, et qui, de plus, nous donne sa grâce dans les autres sacrements qu’Il a institués.
Répétons, en paroles et en actes: Seigneur, J’ai confiance en Toi; ta providence ordinaire, ton aide de chaque jour me suffisent. Nous n’avons pas de raison de demander à Dieu de grands miracles. Nous devons en revanche le supplier d’augmenter notre foi, d’éclairer notre intelligence, de fortifier notre volonté. Jésus reste toujours à nos cotés, et Il se comporte toujours tel qu’Il est.
Depuis le début de cette homélie le vous ai mis en garde contre une fausse divinisation. Ne te trouble pas si tu te découvres tel que tu es: fait de boue. Ne t’inquiète pas. Parce que, toi et moi, nous sommes enfants de Dieu – voilà la bonne divinisation choisis de toute éternité en vertu d’un appel divin: Le Père nous a élus en Jésus-Christ, des avant la création du monde pour être saints et immaculés en sa présence. Nous qui sommes plus particulièrement de Dieu, qui sommes ses instruments malgré notre pauvre misère personnelle, nous serons efficaces si nous ne perdons pas de vue notre faiblesse. Les tentations nous donnent la mesure de notre faiblesse personnelle.
Si vous vous sentez abattus lorsque vous touchez du doigt, peut-être d’une façon particulièrement vive, votre petitesse, c’est le moment de vous abandonner pleinement, avec docilité, dans les mains de Dieu. On raconte qu’un jour un mendiant vint à la rencontre d’Alexandre le Grand et lui demanda l’aumône. Alexandre s’arrêta et ordonna de le faire seigneur de cinq villes. Le pauvre, confus et abasourdi, s’exclama: « je n’en demandais pas tant! » Et Alexandre de lui répondre: « Tu as demande selon ce que tu es, moi je te donne selon ce que je suis. »
Même dans les moments où nous ressentons plus profondément nos limites, nous pouvons et nous devons tourner nos regards vers Dieu le Père, vers Dieu le Fils et vers Dieu le Saint-Esprit, en nous rappelant que nous participons à la vie divine. Il n’y a jamais de raison suffisante pour regarder en arrière: le Seigneur est à nos côtés. Nous devons être fidèles, loyaux, faire face à nos obligations, trouvant en Jésus l’amour et le stimulant qui nous feront comprendre les erreurs d’autrui et surmonter nos erreurs personnelles. Alors toutes ces chutes, les tiennes, les miennes, celles de tous les hommes, serviront, elles aussi, de fondement au royaume du Christ.
Reconnaissons nos maladies, mais affirmons aussi le pouvoir de Dieu. L’optimisme, la joie, la ferme conviction que le Seigneur veut se servir de nous, doivent animer notre vie chrétienne. Si nous nous considérons comme faisant partie de la Sainte Église, si nous nous sentons soutenus par le rocher inébranlable de Pierre et par l’action du Saint-Esprit, alors nous nous déciderons à accomplir notre petit devoir de chaque instant: semer chaque jour un peu. Et la récolte débordera des greniers.
161 Terminons ce moment de prière. Rappelez-vous, tout en savourant dans l’intimité de votre âme l’infinie bonté de Dieu, que le Christ, en vertu des paroles de la consécration, va devenir réellement présent dans l’Hostie, avec son Corps, avec son Sang, avec son Âme et avec sa Divinité. Adorez-Le avec révérence et dévotion; renouvelez en sa présence l’offrande sincère de votre amour; dites-Lui sans peur que vous L’aimez; remerciez-Le de cette preuve quotidienne de miséricorde si pleine de tendresse, et augmentez votre désir de vous rapprocher de Lui avec confiance dans la communion. Moi, je m’émerveille devant ce mystère d’Amour: le Seigneur veut faire de mon pauvre cœur son trône, pour ne pas m’abandonner si je ne me sépare pas de Lui.
Réconfortés par la présence du Christ, nourris de son Corps, nous resterons fidèles au long de cette vie terrestre et, plus tard, dans le ciel, au côte de Jésus et de sa Mère, nous serons vraiment vainqueurs. Où est-elle, ô mort, ta victoire? Où est-il, ô mort, ton aiguillon? Mais grâces soient à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ.
162 Dieu le Père a bien voulu nous accorder, avec le cœur de son Fils, infinitos dilectionis thesauros, d’inépuisables trésors d’amour, de miséricorde et de tendresse. Si nous voulons découvrir à quel point Dieu nous aime – à quel point Il écoute nos prières, et même les prévient – il nous suffira de suivre la pensée de saint Paul: Lui qui n’a pas épargne son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec Lui ne nous accordera-t-Il pas toute faveur?.
C’est de l’intérieur que la grâce rénove l’homme, qu’elle le convertit – de pécheur et de révolté qu’il était – en serviteur bon et fidèle. Et la source de toutes grâces, c’est l’amour que Dieu nous porte et qu’Il nous a révélé, non seulement en paroles mais aussi en actes. L’amour divin est à l’origine du fait que la seconde Personne de la Sainte Trinité, le Verbe, le Fils de Dieu le Père, prenne chair, c’est-à-dire assume notre condition humaine en tout, hormis le péché. Et le Verbe, la parole de Dieu, est Verbum spirans amorem, la Parole dont procède l’Amour.
L’amour se révèle à nous dans l’Incarnation, dans le cheminement rédempteur de Jésus-Christ sur cette terre, jusqu’au sacrifice suprême de la Croix. Et sur cette Croix, il se manifeste par un nouveau signe: l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et aussitôt il sortit du sang et de l’eau Sang et eau de Jésus, qui signifient pour nous le don poussé jusqu’à l’extrême, jusqu’au consummatum est, tout est consomme, par amour.
En considérant une fois de plus, en cette fête, les principaux mystères de notre foi, nous sommes émerveilles de découvrir combien les réalités les plus profondes – cet amour par lequel Dieu le Père livre son Fils, cet amour qui incite le Fils à avancer sereinement vers le Golgotha – se traduisent par des gestes si proches des hommes. Dieu ne s’adresse pas à nous plein de puissance et de domination. Il s’approche de nous en prenant la condition d’esclave et en devenant semblable aux hommes.
Jamais Jésus ne se montre lointain ou altier, bien que, au cours de ses années de prédication, nous le voyions souvent profondément déçu, car l’indignité humaine le fait souffrir. Nous nous rendons compte tout de suite, si nous y pensons un peu, que la violence de ses réactions, et de sa colère, naissent de son amour: elles sont comme de nouvelles invitations à nous détourner de l’infidélité et du pêche. Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant – oracle du Seigneur Yahvé – et non pas plutôt à le voir se détourner de sa conduite et vivre?. Ces mots nous expliquent toute la vie du Christ, ils nous font comprendre pour quoi Il s’est présente à nous avec un Cœur de chair, avec un Cœur comme le notre, preuve évidente de son amour et témoignage constant du mystère inconcevable de la charité divine.
163 je ne peux résister au désir de vous confier quelque chose qui est pour moi à la fois une peine et un stimulant: la pensée qu’il y a encore tant d’hommes qui ne connaissent pas le Christ, qui n’ont même pas l’avant-goût de ce bonheur intime qui nous attend au ciel, et qui cheminent sur terre comme des aveugles à la recherche d’une joie dont ils ignorent le vrai nom, ou bien égarés sur des voies qui les éloignent de plus en plus du vrai bonheur. Comme l’on comprend ce qu’a dû ressentir l’apôtre Paul, dans cette nuit qu’il passa à Troade, lorsque, parmi ses rêves, surgit cette vision: un Macédonien était là, debout, qui lui adressait cette prière: « Passe en Macédoine, viens à notre secours! » Aussitôt après cette vision, ils cherchèrent – Paul et Timothée – à partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu les appelait à l’évangéliser.
Ne sentez-vous pas, vous aussi, que Dieu nous appelle, qu’Il nous pousse – à travers tout ce qui se passe autour de nous – à proclamer la Bonne Nouvelle de la venue de Jésus? Mais nous, les chrétiens, nous enlevons bien souvent à notre vocation de sa grandeur, nous sombrons dans la superficialité, nous perdons notre temps en polémiques et en rancœurs. Quand il ne s’agit pas, ce qui est pire encore, du scandale hypocrite de certains, devant d’autres manières que la leur de vivre tel ou tel aspect de la foi, telle ou telle dévotion. Alors, au lieu d’ouvrir eux-mêmes un chemin, et de s’efforcer de vivre selon ce qui leur semble être bon, ils se consacrent à critiquer et à détruire. Il peut bien sûr apparaître, et il apparaît en fait, des déficiences dans la vie des chrétiens. Mais l’important, ce n’est pas nous, ni nos misères: la seule réalité qui compte, c’est Jésus. C’est du Christ que nous devons parler, non de nous-mêmes.
Ce sont certains commentaires relatifs à une prétendue crise de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, qui m’ont inspire les réflexions que je viens de faire. Cette crise n’existe pas; la vraie dévotion fut et reste toujours une attitude vivante, pleine de sens humain et de sens surnaturel. Ses fruits ont été et sont toujours savoureux: la conversion, le don de soi, l’accomplissement de la volonté de Dieu, la pénétration, à la lumière de l’amour, des mystères de la Rédemption.
Je n’en dirai pas autant, par contre, des manifestations de sentimentalisme inefficace, à force de carence de doctrine et d’excès de piétisme. Elles ne me plaisent pas non plus, ces images maniérées, ces figures du Sacré-Cœur incapables de suggérer une dévotion sincère à des personnes douées de bon sens surnaturel chrétien. Mais ce n’est pas faire preuve d’une logique rigoureuse que de faire de certains usages abusifs, qui finissent par disparaître d’eux-mêmes, un problème doctrinal et théologique.
Si l’on peut parler de crise, c’est du cœur des hommes qu’elle naît, car ils n’arrivent pas – par myopie, par égoïsme, par étroitesse de vue – à entrevoir l’insondable amour de Notre Seigneur Jésus-Christ. Dès l’institution de la fête d’aujourd’hui, la liturgie de la sainte Église a su offrir un aliment à la véritable piété, en choisissant pour la lecture de la Messe, un passage des épîtres de saint Paul qui nous propose tout un programme de vie contemplative – connaissance et amour, prière et vie – à partir de cette dévotion au Cœur de Jésus. C’est Dieu lui-même qui, par la bouche de son Apôtre, nous invite à nous avancer sur ce chemin: Que le Christ habite en vos cœurs par la foi, et que vous soyez enracines, fondes dans l’amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu.
Cette plénitude de Dieu nous est révélée et conférée dans le Christ, dans l’Amour du Christ, dans le Cœur du Christ. Car c’est le Cœur de Celui en qui habite, corporellement, toute la Plénitude de la Divinité. Voilà pourquoi, si nous perdions de vue ce grand dessein de Dieu – ce courant d’amour instauré dans le monde par l’Incarnation, la Rédemption et la Pentecôte – nous ne comprendrions plus les délicatesses du Cœur du Seigneur.
164 Conservons présente à l’esprit la richesse que renferment ces mots: Cœur Sacré de Jésus. Lorsque nous parlons du cœur humain, nous ne faisons pas seulement allusion aux sentiments, nous pensons à la personne tout entière qui fréquente, qui aime, qui chérit les autres. Et dans la bouche des hommes qui ont recueilli l'Écriture Sainte pour que nous puissions mieux comprendre les mystères divins, le cœur est considéré comme le résumé, la source, l’expression, le fond ultime des pensées, des paroles et des actes. Un homme vaut ce que vaut son cœur, disons-nous encore aujourd’hui.
C’est du cœur que viennent la joie: Que mon cœur exulte, admis en ton salut; le repentir: Mon cœur est pareil à la cire, il fond au milieu de mes viscères; la louange de Dieu: Mon cœur a frémi de paroles belles; la décision d’écouter le Seigneur: Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt; la veille, entretenue par l’amour: Je dors, mais mon cœur veille. Et tout autant le doute, la crainte: Que votre cœur cesse de se troubler, croyez en Dieu, croyez en moi.
Le cœur ne ressent pas seulement les choses: il sait, il comprend. La loi de Dieu est déposée en lui, c’est en lui qu’elle demeure inscrite. L'Écriture ajoute encore: C’est du trop-plein du cœur que la bouche parle Le Seigneur jette à la face de certains scribes: Pourquoi ces mauvais sentiments dans vos cœurs?. Et pour condenser tous les péchés que l’homme peut commettre, Il affirme: Du cœur, en effet, procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations.
Quand la Sainte Écriture parle du cœur, il ne s’agit pas d’un sentiment passager, provoquant l’émotion ou les larmes. On parle du cœur pour désigner la personne tout entière orientée – corps et âme – comme le Christ Jésus Lui-même l’a montré, vers ce qu’elle considère comme son bien: Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.
C’est pourquoi, en parlant maintenant du Cœur de Jésus, nous donnons tout son poids à cette certitude de l’amour de Dieu et à la vérité de son don à notre égard. Recommander la dévotion à ce Cœur Sacre, c’est nous recommander de nous diriger nous-mêmes avec absolument tout ce que nous sommes: âme, sentiments, pensées, paroles, actions, peines et joies, vers Jésus tout entier.
La vraie dévotion au Cœur de Jésus consiste à connaître Dieu, à nous connaître nous-mêmes, à fixer notre regard sur Jésus, à recourir à Celui qui nous encourage, nous enseigne et nous guide. Cette dévotion n’est superficielle que pour l’homme qui, faute de n’être pas parvenu à être vraiment humain, n’arrive pas à pénétrer la réalité du Dieu incarné.
165 Jésus sur la Croix, le cœur transpercé d’Amour pour les hommes; voilà une réponse éloquente – les paroles sont superflues – à notre question sur la valeur des choses et des personnes. Les hommes, leur vie, leur bonheur ont une telle valeur que le Fils de Dieu Lui-même se livre pour les racheter, les purifier, les élever. Qui sera incapable d’aimer son Cœur si meurtri? se demandait, face à cela, une âme contemplative. Qui donc ne rendra Amour pour Amour? – poursuivait-elle –. Qui n’étreindra un Cœur si pur? Nous qui sommes de chair, nous paierons Amour pour Amour, nous étreindrons notre blesse, celui dont les impies ont transperce les mains et les pieds, le coté et le Cœur. Prions pour qu’Il daigne ceindre notre cœur des liens de son amour et le frapper d’une lance, car il est encore plein de rudesse, inaccessible au repentir.
Ce sont là, depuis toujours, des pensées, des sentiments riches d’affection, des propos que les âmes vibrantes d’amour ont adresse à Jésus. Mais pour bien comprendre ce langage, pour savoir vraiment ce qu’est le cœur humain, le Cœur du Christ et l’amour de Dieu, nous avons besoin de foi, nous avons besoin d’humilité. C’est dans sa foi et son humilité que saint Augustin nous a légué ces paroles fameuses dans tout l’univers: Tu nous a créés, Seigneur, pour être à toi, et notre pas de repos jusqu’à ce qu’il repose cœur ne connaît en toi.
Lorsqu’il fait bon marché de l’humilité, l’homme s’arroge le droit de prendre possession de Dieu, mais il ne le fait pas selon cette voie divine que le Christ Lui-même nous a ouverte en disant: Prenez et mangez, car ceci est mon Corps: il s’efforce, au contraire, de réduire la grandeur divine à ses dimensions purement humaines. La raison, cette froide et aveugle raison qui n’est ni l’intelligence procédant de la foi, ni la droite intelligence de la créature capable de goûter et d’aimer les choses, devient déraison pour qui veut tout soumettre à la pauvreté de ses expériences habituelles, lesquelles rapetissent la vérité surhumaine et revêtent le cœur de l’homme d’une carapace qui le rend insensible aux motions de l’Esprit Saint. Notre pauvre intelligence serait perdue sans le mystérieux pouvoir de Dieu qui fait éclater les frontières de notre misère: Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Alors notre âme retrouvera la lumière et se remplira de joie, à la vue des promesses de l'Écriture Sainte.
Car je sais, moi, le dessein que je forme pour vous, oracle de Yahvé –, dessein de paix et non de malheur, a déclaré le Seigneur par la bouche du prophète Jérémie. La liturgie applique ces paroles à Jésus, parce qu’il nous apparaît clairement que c’est en Lui que Dieu nous aime de cette manière. Il ne vient pas nous condamner, nous jeter à la face notre indigence, notre mesquinerie: Il vient nous sauver, nous pardonner, nous excuser, nous apporter la paix et la joie.
Si nous acceptons cette merveilleuse relation entre le Seigneur et ses enfants, nos cœurs changeront nécessairement. Nous découvrirons, sous nos yeux, un panorama absolument nouveau, tout en relief, en profondeur et en lumière.
166 Mais notez bien que Dieu ne nous dit pas: au lieu de votre cœur, je vous donnerai la volonté d’un pur esprit. Non. Il nous donne un cœur, et un cœur de chair, comme celui du Christ.
Je n’ai pas un cœur pour aimer Dieu et un autre pour aimer autrui, en ce monde. C’est avec le même cœur qui m’a fait aimer mes parents et qui m’a fait aimer mes amis que j’aime le Christ, le Père, l’Esprit Saint et Sainte Marie. Je ne me lasserai jamais de le répéter: nous devons être très humains; sinon, nous ne pourrions pas non plus être divins.
L’amour humain, l’amour d’ici-bas, sur cette terre, nous aide, lorsqu’il est authentique, à savourer l’amour divin. Nous entrevoyons ainsi l’amour qui nous fera jouir de Dieu et celui qui nous unira là-haut, dans le ciel, lorsque le Seigneur sera tout en tous. Si nous commençons à comprendre ce qu’est l’amour divin, nous inclinerons à nous montrer en toutes occasions plus disposés à la compassion, à la générosité, au don de nous-mêmes.
Nous devons donner ce que nous avons reçu, apprendre aux autres ce que nous avons appris; les faire participer – sans vanité, avec simplicité – à cette connaissance de l’amour du Christ. En réalisant chacun votre travail, en exerçant votre profession dans la société, vous pouvez et vous devez transformer totalement vos occupations en occasions de servir. Ce travail soigneusement achevé, qui progresse en faisant progresser, qui tient compte des découvertes de la culture et de la technique, remplit une importante fonction, au profit de l’humanité tout entière, pour peu que nous soyons mus par la générosité et non par l’égoïsme, par le désir du bien de tous et non par le profit personnel: c’est-à-dire s’il est imprégné d’un sens chrétien de l’existence.
Au sein de ce travail, dans la trame même des relations humaines, vous devez faire preuve de la charité du Christ et de ses fruits d’amitié, de compréhension, d’affection humaine, de paix. De même que le Christ est passe en faisant le bien sur tous les chemins de Palestine, vous devez vous aussi répandre avec générosité une semence de paix tout au long de ces chemins humains qui sont la famille, la société civile, les relations nées de votre travail quotidien, la culture, les loisirs. Ce sera la meilleure preuve de ce qu’en votre cœur s’est instauré le Royaume de Dieu: Nous savons, nous, que nous sommes passes de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères écrit l’apôtre saint Jean.
Mais nul ne vit de cet amour s’il ne se forme à l’école du Cœur du Christ. Ce n’est qu’en fixant notre regard sur le Cœur du Christ, et en le contemplant, que nous arriverons à libérer le nôtre de la haine et de l’indifférence: ce n’est qu’ainsi que nous saurons réagir d’une manière chrétienne aux souffrances et à la douleur d’autrui.
Rappelez-vous la scène que nous décrit saint Luc, lorsque le Christ approchait de la ville de Naïm Jésus observait ce cortège endeuillé qu’il croisait par hasard. Il aurait pu passer outre, ou bien attendre un appel, une requête. Pourtant Il ne s’éloigna ni ne demeura dans l’attente. Il prit l’initiative, touché par l’affliction d’une veuve qui avait perdu le seul être qui lui restait, son fils.
L’évangéliste précise que Jésus fut touché de compassion: Il a peut-être été envahi par une émotion sensible, à la mort de Lazare. Jésus n’était pas, Jésus n’est pas insensible à la douleur. Il ne l’est pas non plus à celle qui naît de l’amour, pas plus qu’Il ne prend plaisir à séparer les enfants des parents: Il exerce son pouvoir sur la mort pour donner la vie, afin que ceux qui s’aiment restent proches les uns des autres, en exigeant avant, et en même temps, la prééminence due à l’Amour divin qui doit marquer toute existence authentiquement chrétienne.
Le Christ sait bien qu’une multitude l’entoure qui, saisie par le miracle, proclamera l’événement dans toute la contrée. Mais le Seigneur n’agit pas par artifice, pour la beauté du geste: Il se sent, tout simplement, affecté par la souffrance de cette femme, et Il ne peut s’empêcher de la consoler. Il s’approcha d’elle en disant en effet: ne pleure pas. Cela revenait à lui dire: je ne veux pas te voir en pleurs, car je suis venu sur cette terre pour apporter la joie et la paix. Ensuite vient le miracle, cette manifestation du pouvoir du Christ-Dieu. Mais c’est bien avant que son âme a ressenti cette émotion, signe manifeste de la tendresse du Cœur du Christ-Homme.
167 Si nous ne l’apprenons pas de Jésus, jamais nous n’aimerons. Si nous pensions, comme certains, que garder un cœur pur et digne de Dieu, consiste à le préserver, à ne pas le contaminer au contact de sentiments intensément humains, il en résulterait logiquement que nous serions insensibles à la douleur des autres. Nous ne serions plus capables que d’une charité officielle, sèche, sans âme, et non de la véritable charité de Jésus-Christ, qui est tendresse et chaleur humaine. Et je ne veux pas par là donner créance à des fausses théories qui sont en fait de tristes excuses pour dévier les cœurs – en les écartant de Dieu – et les conduire au danger et à la perdition.
En cette fête d’aujourd’hui, nous devons demander au Seigneur qu’Il nous accorde un cœur bon, capable de sentir s’éveiller en lui la compassion à l’égard des peines des créatures, capable de comprendre que, pour porter remède aux tourments qui assaillent, et bien souvent angoissent, les âmes en ce monde, le véritable baume est l’amour, la charité: toutes les autres consolations servent à peine à distraire un moment pour ne laisser, plus tard, qu’amertume et désespoir.
Si nous voulons aider les autres, nous devons les aimer – j’insiste – d’un amour fait de compréhension, de don de soi, d’affection et d’humilité volontaire. Alors nous comprendrons pourquoi le Seigneur a choisi de résumer toute la Loi en ce double commandement qui n’en fait, en réalité, qu’un seul et unique: l’amour de Dieu et l’amour du prochain, de tout notre cœur.
Vous allez peut-être penser, maintenant, que souvent, nous, les chrétiens – non pas les autres, mais toi et moi –, nous oublions les applications les plus élémentaires de ce devoir. Vous pensez peut-être à tant d’injustices auxquelles on ne porte nul remède, à ces abus qui restent impunis, à ces situations injustes qui se transmettent d’une génération à l’autre sans que l’on songe à leur apporter une solution radicale.
Je ne peux vous proposer une manière concrète de résoudre ces problèmes – et d’ailleurs je n’ai pas à le faire. Mais, en tant que prêtre du Christ, il est de mon devoir de vous rappeler ce que dit la Sainte Écriture. Méditez, dans la scène du jugement que Jésus Lui-même a décrite, ce: Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été prépare par le Diable et ses anges. Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donne à boire, j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et prisonnier, et vous ne m’avez pas visité.
Un homme ou une société qui demeure passif devant les tribulations ou les injustices, qui ne s’efforce pas de les soulager, n’est pas à la mesure de l’amour du Cœur du Christ. Les chrétiens – tout en conservant leur liberté d’étudier et de mettre en oeuvre différentes solutions, en fonction d’un pluralisme légitime –, doivent avoir en commun ce même désir de servir l’humanité. Sinon, leur christianisme ne sera pas la Parole et la Vie de Jésus: ce sera un déguisement, une mascarade devant Dieu et devant les hommes.
168 Mais je dois, en outre, vous proposer une autre considération: nous devons lutter sans défaillance pour faire le bien, justement parce que nous savons combien il nous est difficile, à nous les hommes, de nous décider sérieusement à pratiquer la justice; et il s’en faut de beaucoup que la vie des hommes soit inspirée par l’amour plutôt que par la haine ou l’indifférence! Il ne nous échappe pas davantage que, même si nous parvenons à assurer une raisonnable distribution des biens et une harmonieuse organisation de la société, nous n’aurons pas éliminé pour autant la douleur due à la maladie, à l’incompréhension ou à la solitude, à la mort des êtres que nous chérissons, à la conscience que nous avons de nos propres limitations.
Face à tous ces maux de la vie, le chrétien n’a qu’une réponse possible, mais c’est une réponse définitive: le Christ sur la Croix; Dieu qui souffre et qui meurt, Dieu qui nous offre son cœur, qu’une lance a percé, par amour pour nous tous. Notre Seigneur déteste les injustices et condamne celui qui les commet. Mais, comme Il respecte la liberté de chaque individu, Il permet qu’elles existent. Dieu Notre Seigneur ne provoque pas la douleur de ses créatures, mais Il la tolère parce que – à la suite du péché originel – elle fait partie de la condition humaine. Et pourtant, son Cœur plein d’Amour pour les hommes l’a incité à charger la Croix sur ses épaules, avec toutes ces tortures que sont notre souffrance, notre tristesse, notre angoisse, notre faim et notre soif de justice.
L’enseignement du christianisme sur la douleur ne constitue pas un programme de consolations faciles. C’est d’abord une doctrine d’acceptation de cette douleur, inhérente à toute la vie humaine. Je ne peux pas vous dissimuler – non sans joie, car j’ai toujours prêché dans ce sens et je me suis efforcé de vivre en sachant que là où se trouve la Croix, se trouve Jésus-Christ, l’Amour incarné – que la douleur s’est introduite bien des fois dans ma vie: plus d’une fois, j’ai eu envie de pleurer. En d’autres moments, J’ai senti croître en moi un lourd désarroi face à l’injustice et au mal. Et j’ai constaté avec amertume mon impuissance, et que, malgré mes désirs et mes efforts, je ne parvenais pas à remédier à ces situations injustes.
Quand je vous parle de la douleur, ce n’est pas simple théorie. Et le ne me contente pas non plus de faire appel à l’expérience des autres, quand je vous affirme: si, face à la réalité de la souffrance, vous sentez parfois votre âme vaciller, il n’y a qu’un remède: regarder le Christ. La scène du Calvaire atteste aux yeux de tous que les afflictions doivent être sanctifiées en union avec la Croix.
Car si nos épreuves sont assumées chrétiennement, elles ont valeur de réparation, de rachat de nos fautes, de participation au destin et à la vie de Jésus, qui a voulu, par amour des hommes, éprouver toutes les formes de douleurs et tous les genres de tourments. Il est né, Il a vécu, Il est mort dans la pauvreté; Il a été attaqué, insulté, diffamé, calomnié et condamné injustement; Il a connu la trahison, l’abandon de ses disciples; Il a fait l’amère expérience de la solitude, du châtiment et de la mort. Aujourd’hui encore, le Christ continue à souffrir dans ses membres, dans l’humanité tout entière qui peuple cette terre et dont Il est la Tête, le Fils premier-né, et le Rédempteur.
La douleur entre dans les plans de Dieu. Voilà la réalité, quoiqu’il nous en coûte de le comprendre. A Jésus-Christ aussi, parce qu’Il était homme, elle fut difficilement supportable: Père si tu le veux, éloigne de moi cette coupe! Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne C’est dans cette tension, entre le supplice et l’acceptation de la volonté du Père, que Jésus marche sereinement vers la mort, en pardonnant à ceux qui le crucifient.
Pourtant, le fait de reconnaître le sens surnaturel de la douleur, représente, en même temps, la conquête suprême. Jésus, en mourant sur la Croix, a vaincu la mort; Dieu tire de la mort la vie. Il n’est pas digne d’un enfant de Dieu de se résigner à cette tragique mésaventure; il doit au contraire se réjouir par avance de la victoire. Au nom de l’amour victorieux du Christ, nous les chrétiens, nous devons nous élancer sur tous les chemins de la terre pour devenir par nos paroles et par nos actes des semeurs de paix et de joie. Nous devons lutter – pacifiquement – contre le mal, contre l’injustice, contre le péché, afin de proclamer par là que l’actuelle condition humaine n’est pas définitive; que l’amour de Dieu, constamment manifeste dans le Cœur du Christ, assurera le triomphe glorieux et spirituel de l’humanité.
169 Nous évoquions tout à l’heure les événements de Naïm. Nous pourrions, maintenant, en citer d’autres, car les Évangiles abondent en scènes semblables. Ces récits ont touche, et ils ne cesseront pas de le faire, le cœur des hommes, car ils ne traduisent pas seulement la compassion d’un homme pour ses semblables: ce qu’ils révèlent essentiellement, c’est l’immense charité du Seigneur. Le Cœur de Jésus, c’est le cœur de Dieu incarne, l’Emmanuel, Dieu avec nous.
L'Église, unie au Christ, naît d’un Cœur blesse. De ce Cœur transperce de part en part, nous arrive la Vie. Comment ne pas rappeler ici, ne serait-ce qu’au passage, les sacrements, à travers lesquels Dieu agit en nous et nous fait participer à la force rédemptrice du Christ? Comment ne pas rappeler avec une gratitude particulière le très Saint Sacrement de l’Eucharistie, le Saint Sacrifice du Calvaire et son constant renouvellement sous une forme non sanglante dans notre Messe? Jésus s’offre à nous comme aliment: parce que Jésus est venu à nous, tout a changé, et nous recevons des forces – l’aide de l’Esprit Saint – qui comblent notre âme, dirigent nos actions, notre manière de penser et de sentir. Le Cœur du Christ est pour le chrétien une source de paix.
Ce don de soi que le Seigneur nous demande, n’est pas seulement fonde sur nos désirs, ni sur nos forces, dont nous éprouvons si souvent la limitation et l’impuissance. Il prend appui en tout premier lieu sur les grâces que nous a obtenues l’amour du Cœur de Dieu fait Homme. Voila pourquoi nous pouvons et nous devons persévérer dans cette vie intérieure propre aux enfants du Père qui est aux Cieux, sans admettre ni découragement, ni lassitude. J’aime montrer comment le chrétien, dans son existence ordinaire et courante, dans les plus petits détails, dans les circonstances normales de sa journée, met en oeuvre la foi, l’espérance et la charité, qui sont les ressorts essentiels de l’âme soutenue par l’aide divine; et comment, dans la pratique de ces vertus théologales, il rencontre la joie, la force et la sérénité.
Voilà quels sont les fruits de la paix du Christ, de cette paix qui nous est apportée par son Cœur Sacre. Car – redisons-le une fois de plus – l’amour de Jésus pour les hommes, est un aspect insondable du mystère divin, de l’amour du Fils pour le Père et pour l’Esprit Saint. L’Esprit Saint ce lien d’amour entre le Père et le Fils, trouve dans le Verbe un Cœur humain.
Il n’est pas question de parler de ces réalités fondamentales de notre foi sans éprouver la limitation de notre intelligence et sans mesurer les grandeurs de la Révélation. Mais si nous ne pouvons pas pleinement embrasser ces vérités, même si devant elles notre raison reste saisie, nous les croyons humblement et fermement; nous savons bien, forts du témoignage du Christ, qu’elles existent. Que l’amour, au sein de la Trinité, se répand sur tous les hommes à travers l’Amour du Cœur de Jésus!
170 Vivre dans le Cœur de Jésus, nous unir intimement à Lui, c’est donc devenir la demeure de Dieu. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père , nous a annoncé le Seigneur. Le Christ et le Père, dans le Saint-Esprit, viennent donc dans notre âme pour y établir leur demeure.
Lorsque nous comprenons – si peu que ce soit ces verités fondamentales, notre manière d’être se transforme. Nous avons faim de Dieu, et nous faisons nôtres ces paroles du Psaume: Mon Dieu, je te cherche de tous mes sens, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau.. Et Jésus, qui a suscité Lui-même ces élans, vient à notre rencontre pour nous dire: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi. Il nous offre son Cœur pour que nous trouvions le repos et la force. Si nous accueillons son appel, nous éprouverons la vérité de ses paroles: notre faim, notre soif croîtront au point de désirer que Dieu établisse en notre cœur le lieu de son repos et qu’Il n’éloigne pas de nous sa chaleur et sa lumière.
Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur? Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé!. Nous nous sommes rapprochés un peu de ce feu de l’amour divin; que son impulsion ébranle nos vies, nous pousse à transmettre le feu divin d’une extrémité à l’autre du monde, pour le répandre chez ceux qui nous entourent: afin qu’eux aussi découvrent la paix du Christ et, avec elle, le bonheur. Un chrétien qui vit uni au Cœur de Jésus, ne peut avoir d’autre but que la paix dans la société, la paix dans l'Église, la paix dans son âme, la paix de Dieu, qui sera consommée lorsque son Règne viendra jusqu’à nous.
Marie, Regina pacis, Reine de la Paix, toi qui as eu la foi, toi qui as cru à l’accomplissement de la promesse de l’ange, aide-nous à croître dans la foi, à être fermes dans l’espérance, à pénétrer profondément dans l’Amour. Car c’est bien ce qu’attend de nous aujourd’hui ton Fils, lorsqu’Il nous révèle son Cœur Très Sacre.
171 – Assumpta est Maria in cœlum, gaudent angeli La joie règne parmi les anges et les hommes parce que Marie a été élevée au ciel, corps et âme, par Dieu. Pourquoi ressentons-nous aujourd’hui cette joie profonde qui fait que notre cœur semble vouloir bondir de la poitrine, et que notre âme s’inonde de paix? C’est que nous célébrons la glorification de notre Mère et qu’il est naturel que nous, ses enfants, nous nous réjouissions spécialement de voir de quelle façon la Très Sainte Trinité l’honore.
Le Christ, son très saint Fils et notre frère, nous l’a donnée pour Mère au Calvaire, en disant à saint Jean: voici ta Mère. Et nous l’avons reçue, avec le disciple bien-aimé, en cette heure d’immense affliction. Sainte Marie nous a recueillis dans la douleur, alors que s’accomplissait l’ancienne prophétie: et un glaive te transpercera l’âme... Nous sommes tous ses enfants; elle est la Mère de l’humanité entière. Et maintenant l’humanité commémore son ineffable Assomption: Marie, fille de Dieu le Père, mère de Dieu le Fils, épouse de Dieu le Saint-Esprit, monte au ciel. Au-dessus d’elle, il n’y a que Dieu, et Lui seul.
172 Remarquez cependant que, si Dieu a voulu exalter sa Mère, Marie n’en a pas moins connu durant sa vie terrestre la douleur, la fatigue, les clairs-obscurs de la foi. A cette femme du peuple qui, un jour, éclata en louanges envers Jésus en s’exclamant: Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins qui t’ont allaité, le Seigneur répondit: Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent! C’était l’éloge de sa Mère, de son fiat – « que cela se fasse » – sincère, généreux, sans limite, qui se manifeste, non par des actions voyantes, mais par un sacrifice quotidien, silencieux et caché.
En méditant ces vérités, nous comprenons un peu mieux la logique de Dieu; nous nous rendons compte que ce n’est pas la réalisation des grands faits d’armes que nous imaginons parfois qui fait la valeur surnaturelle de notre vie, mais l’acceptation fidèle de la volonté divine et la générosité dans le sacrifice de chaque jour.
Si nous voulons devenir « divins », si nous voulons nous revêtir de la plénitude de Dieu, il nous faut commencer par être très humains, en assumant face à Lui notre condition d’hommes ordinaires, et en sanctifiant notre apparente petitesse. Ainsi vécut Marie. Celle qui est pleine de grâces, qui est l’objet de toutes les faveurs de Dieu, qui a été établie au-dessus des anges et des saints, a mené une existence normale. Marie est une créature comme nous-mêmes, avec un cœur comme le nôtre, capable de joies et d’allégresse, de souffrances et de larmes. Avant que Gabriel ne lui fasse connaître la volonté de Dieu, Notre Dame ignore qu’elle a été choisie de toute éternité pour être la Mère du Messie. Elle se considère comme peu de chose: c’est pourquoi elle reconnaît ensuite, avec une humilité profonde, que le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses.
Quel contraste entre la pureté, l’humilité et la générosité de Marie et notre misère, notre égoïsme. Il est normal que, après l’avoir découvert, nous ressentions le désir de l’imiter; nous sommes des créatures de Dieu, comme Elle, et notre effort pour être fidèle suffit pour que, en nous aussi, le Seigneur fasse de grandes choses. Notre petitesse ne sera pas un obstacle: car Dieu choisit ce qui a peu de prix, pour qu’ainsi éclate davantage la puissance de son amour.
173 Notre Mère est un modèle de réponse à la grâce et, si nous contemplons sa vie, le Seigneur nous éclairera pour que nous sachions diviniser notre existence ordinaire. Tout au long de l’année, lorsque nous célébrons les fêtes mariales, et bien souvent chaque jour, nous chrétiens, nous pensons à la Vierge. Si nous profitons de ces instants pour imaginer comment se comporterait Notre Mère dans ces taches qui nous incombent, peu à peu nous imiterons son exemple et nous finirons par lui ressembler, comme les enfants ressemblent à leur mère.
Commençons par imiter son amour. La charité ne s’arrête pas aux sentiments; elle doit se manifester en paroles et, avant tout, en actes. La Vierge n’a pas seulement prononcé un fiat, mais elle a accompli, à tout moment, sa ferme et irrévocable décision. Nous devons agir de même: lorsque l’amour de Dieu nous pousse et que nous découvrons ce qu’Il veut, nous devons nous engager à être fidèles, loyaux, et à l’être vraiment. Car ce n’est pas en me disant « Seigneur, Seigneur », qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux.
Nous devons imiter l’élégance naturelle et surnaturelle de Marie. C’est une créature privilégiée dans l’histoire du salut: en Elle, le Verbe s’est fait chair et a demeure parmi nous. Elle fut un témoin plein de délicatesse et qui passa inaperçu; elle ne voulut pas recevoir de louanges, car elle n’ambitionnait pas la gloire pour elle-même. Marie est témoin des mystères de l’enfance de son Fils, mystères normaux si l’on peut s’exprimer ainsi: à l’heure des grandes miracles, des acclamations des foules, elle s’efface A Jérusalem, lorsque le Christ – montant un petit âne – est acclamé comme Roi, Marie n’est pas là. Mais on la retrouve près de la Croix, lorsque tout le monde fuit. Cette conduite a la saveur naturelle de la grandeur, de la profondeur et de la sainteté de son âme.
Efforçons-nous d’imiter son obéissance à la volonté de Dieu, obéissance où se mêlent harmonieusement noblesse et soumission. Chez Marie, rien ne rappelle l’attitude de ces vierges folles qui obéissent, il est vrai, mais sans réfléchir. Notre Dame écoute avec attention ce que Dieu veut d’elle; elle médite ce qu’elle ne comprend pas; elle interroge sur ce qu’elle ne sait pas. Ensuite, elle s’applique de tout son être à accomplir la volonté divine: je suis la servante du Seigneur; qu’il m’advienne selon ta parole! Quelle merveille! Sainte Marie, notre exemple en toutes choses, nous apprend maintenant que l’obéissance à Dieu n’est pas servilité, qu’elle ne subjugue pas notre conscience. Au contraire, elle nous incite intérieurement à découvrir la liberté des fils de Dieu.
174 Le Seigneur vous a sans doute déjà accordé de découvrir d’autres aspects de cette réponse fidèle de la Très Sainte Vierge; aspects qui se présentent spontanément et nous invitent à la prendre pour modèle: sa pureté, son humilité, sa force de caractère, sa générosité, sa fidélité... Je voudrais vous parler de l’un d’entre eux, qui les comprend tous, car il est la condition du progrès spirituel: la vie de prière.
Si nous voulons profiter des grâces que notre Mère attire sur nous aujourd’hui, et suivre à tout moment les inspirations de l’Esprit Saint, pasteur de nos âmes, nous devons nous attacher sérieusement à développer notre vie d’intimité avec Dieu. Nous ne pouvons pas nous dissimuler sous l’anonymat; si la vie intérieure n’est pas une rencontre personnelle avec Dieu, elle n’existe pas. La superficialité n’est pas chrétienne. Admettre la routine, dans la lutte ascétique, équivaut à signer l’acte de décès de l’âme contemplative. Dieu nous recherche un par un et nous devons Lui répondre, un par un: me voici, Seigneur, puisque tu m’as appelé.
Prier, nous le savons tous, c’est parler avec Dieu; mais de quoi, demandera-t-on peut-être, de quoi donc, si ce n’est des choses de Dieu et de celles qui remplissent notre journée? De la naissance de Jésus, de son chemin sur cette terre, de sa vie cachée et de sa prédication, de ses miracles, de sa Passion Rédemptrice, de sa Croix et de sa Résurrection. Puis, en présence du Dieu unique en trois Personnes, avec la Médiation de sainte Marie et l’intercession de saint Joseph, Notre Père et Seigneur – que j’aime et que je vénère tant –, nous parlerons de notre travail de tous les jours, de notre famille, de nos amis, de nos grands projets et de nos petites misères.
Le thème de ma prière, c’est ma vie. C’est ainsi que je procède et, lorsque je considère ma situation, une résolution surgit tout naturellement, ferme et décidée: celle de changer, de devenir meilleur et d’être plus docile à l’amour de Dieu. Une résolution sincère, concrète, et qui s’accompagnera toujours d’une demande pressante, mais pleine de confiance, à l’Esprit Saint, pour qu’Il ne nous abandonne pas, car tu es, Seigneur, ma citadelle.
Nous sommes des chrétiens ordinaires, nous exerçons les professions les plus variées; nos activités empruntent des voies ordinaires; tout se déroule selon un rythme prévisible. Nos journées semblent toutes pareilles, presque monotones... C’est vrai, mais cette vie, qui paraît si commune, a une valeur divine; elle intéresse Dieu, car le Christ veut s’incarner dans nos occupations, et animer jusqu’aux plus humbles de nos actions.
C’est là une réalité surnaturelle, nette et sans équivoque; ce n’est pas une simple considération destinée à consoler, à réconforter ceux qui n’arriveront pas à inscrire leurs noms dans le livre d’or de l’histoire. Le Christ s’intéresse à ce travail que nous devons réaliser – mille et mille fois – au bureau, à l’usine, à l’atelier, à l’école, aux champs, lorsque nous exerçons un métier manuel ou intellectuel. Le Christ s’intéresse aussi à ce sacrifice caché qui consiste à ne pas déverser sur les autres le fiel de notre mauvaise humeur.
Pensez à cela dans la prière. Profitez-en pour dire à Jésus que vous L’adorez, et c’est alors que vous serez pleinement contemplatifs au milieu du monde, parmi les bruits de la rue: partout. Voilà la première leçon que nous pouvons tirer de notre commerce intime avec Jésus-Christ Cette leçon, c’est Marie qui saura le mieux nous l’enseigner, car la sainte Vierge a toujours conservé cette attitude de foi, de vision surnaturelle à l’égard de tout ce qui survenait autour d’elle: elle gardait fidèlement tous ces souvenirs en son cœur. Lc 2, 51.
Supplions aujourd’hui sainte Marie de nous rendre contemplatifs, de nous apprendre à bien comprendre les appels incessants que le Seigneur renouvelle à la porte de notre cœur. Prions-la: Mère, tu nous as amené Jésus sur cette terre, Lui qui nous révèle l’amour de Dieu notre Père; aide-nous à Le découvrir, au milieu des multiples occupations de chaque jour; apprends à notre intelligence et à notre volonté à écouter la voix de Dieu et les appels de la grâce.
175 Mais ne pensez pas seulement à vous: ouvrez grand votre cœur pour qu’il puisse contenir l’humanité entière. Pensez, avant tout, à ceux qui vous entourent à vos parents, à vos frères, à vos amis, à vos compagnons –et cherchez comment vous pourriez les amener à approfondir leur amitié avec Notre Seigneur. Si ce sont des personnes droites et honnêtes, capables de s’approcher davantage de Dieu, placez-les de façon spéciale sous la protection de Notre Dame. Et priez aussi pour tant et tant d’âmes que vous ne connaissez pas, parce que nous autres hommes, nous sommes tous embarqués sur le même bateau.
Soyez loyaux et généreux. Nous faisons partie d’un seul corps, le Corps Mystique du Christ, de l'Église sainte à laquelle sont appelés bien des hommes qui cherchent la vérité avec droiture. C’est pourquoi nous avons la grave obligation de montrer aux autres la qualité et la profondeur de l’amour du Christ. Le chrétien ne peut être égoïste; s’il l’était, il trahirait sa propre vocation. Ce n’est pas une attitude chrétienne que de se contenter de conserver son âme en paix – fausse paix que celle-là –et de se désintéresser du bien des autres. Si nous avons accepté l’authentique signification de la vie humaine – que la foi nous a révélée –, il est impensable que nous restions tranquilles, convaincus que nous agissons bien, alors que nous ne nous efforçons pas de façon pratique et concrète d’approcher les autres de Dieu.
Dans l’apostolat, il y a un obstacle réel: une fausse conception du respect, la crainte d’aborder des thèmes spirituels, parce que nous pressentons qu’une telle conversation ne sera pas opportune dans certains milieux, parce qu’elle risquera de froisser les susceptibilités. Combien de fois ces pensées masquent-elles l’égoïsme! Il ne s’agit pas de froisser qui que ce soit, mais plutôt de servir. Bien que nous en soyons personnellement indignes, la grâce de Dieu fait de nous des instruments capables d’être utiles aux autres et de leur communiquer cette bonne nouvelle: Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.
Avons-nous le droit de nous introduire ainsi dans la vie des autres? Oui, et c’est même nécessaire. Le Christ s’est bien introduit dans notre vie sans nous en demander la permission! C’est ainsi qu’Il a agi Lui aussi avec les premiers disciples: comme Il longeait la mer de Galilée, Il aperçu ut Simon et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. Et Jésus leur dit: « Venez à ma suite et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. » Chacun garde la liberté, la fausse liberté de répondre non à Dieu, comme ce jeune homme encombré de richesses, dont saint Luc nous parle. Mais le Seigneur, et nous aussi – car Il nous l’a ordonné: allez par le monde entier, proclamez la bonne nouvelle, nous avons le droit et le devoir de parler de Dieu, de ce sujet humain entre tous, car le désir de Dieu est ce qu’il y a de plus profond au cœur de l’homme.
Sainte Marie, Regina apostolorum, reine de tous ceux qui aspirent ardemment à faire connaître l’amour de ton Fils, toi qui comprends si bien nos misères, demande pardon pour notre vie; pour ce qui, en nous, aurait pu être flamme et fut cendre; pour cette lumière qui a cessé d’éclairer, pour ce sel qui est devenu insipide. Mère de Dieu, toi qui obtiens tout ce que tu demandes, donne-nous, en même temps que le pardon, la force de vivre vraiment de foi et d’amour, pour pouvoir apporter aux autres la foi du Christ.
176 La meilleure manière de ne jamais perdre notre audace apostolique, cette soif authentique de servir tous les hommes, n’est autre que la plénitude de la vie de foi, d’espérance et d’amour; en un mot, la sainteté je ne vois pas d’autre recette que celle-là: la sainteté personnelle.
Aujourd’hui, en union avec toute l'Église, nous célébrons le triomphe de la Mère, de la Fille et de l'Épouse de Dieu. Et, tout comme nous nous réjouissons, au moment de la Résurrection du Seigneur, trois jours après sa mort, nous nous réjouissons maintenant parce que Marie, après avoir accompagné Jésus de Bethléem à la Croix, est à côte de Lui, avec son corps et avec son âme, et jouit de la gloire pour toute l’éternité. Telle est la mystérieuse économie divine: Notre Dame, en raison de sa participation complète à l’oeuvre de notre salut, devait suivre de près les pas de son Fils: la pauvreté de Bethléem, la vie cachée de travail ordinaire à Nazareth, la manifestation de la divinité à Cana de Galilée, les outrages de la Passion, le divin Sacrifice de la Croix et l’éternelle béatitude du Paradis.
Tout cela nous concerne directement, car ce chemin surnaturel doit être aussi le nôtre. Marie nous montre que cette vole est praticable et qu’elle est sûre. Elle nous a précédé sur le chemin de l’imitation du Christ, et la glorification de Notre Mère représente pour nous la ferme espérance de notre salut. C’est pourquoi nous l’appelons spes nostra et causa nostræ laetitiæ, notre espérance et la cause de notre joie.
Nous ne pourrons jamais perdre l’assurance d’arriver à être saints, de répondre aux appels de Dieu, et de persévérer jusqu’au bout. Dieu, qui a commencé en nous l’oeuvre de notre sanctification, la mènera à son terme. Car si le Seigneur est pour nous, qui peut être contre nous? Lui qui n’a pas épargne son propre Fils, mais L’a livré pour nous tous, comment ne nous fera-t-Il pas don de tout avec Lui?
En cette fête, tout nous invite à la joie. La ferme espérance de notre sainteté personnelle est un don de Dieu. Mais l’homme ne peut demeurer passif. Rappelez-vous ces mots du Christ: Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive Vous voyez? La croix, chaque jour. Nulla dies sine cruce! pas un jour sans la Croix: pas une seule journée sans nous charger de la croix du Seigneur, sans prendre sur nous son joug. C’est pourquoi je n’ai pas voulu omettre non plus de vous rappeler que la joie de la Résurrection est la conséquence de la douleur de la Croix.
N’ayez crainte, cependant, car le Seigneur lui-même nous a dit: Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau: c’est moi qui vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école: je suis doux et humble de cœur; et vous trouverez du soulagement pour votre être, car mon joug est agréable et mon fardeau léger. Venez – commente saint Jean Chrysostome –, non pas pour rendre compte mais pour être délivres de vos péchés venez, car je n’ai pas besoin de votre gloire, celle que vous pouvez m’apporter: j’ai besoin de votre salut.. n’ayez pas peur, en entendant parler de joug, car il est doux; n’ayez pas peur si je parle de fardeau, car il est léger.
Le chemin de notre sanctification personnelle passe, chaque jour, par la Croix: ce n’est pas un chemin morose, car c’est le Christ lui-même qui nous aide: et avec Lui il n’y a pas de place pour la tristesse. In lætitia, nulla dies sine cruce! me plaît-il de répéter; avec l’âme débordante de joie, pas un jour sans la Croix.
177 Revenons de nouveau au sujet que l'Église nous propose: Marie a été élevée au Ciel, corps et âme. Les anges exultent d’allégresse! je pense aussi à la joie de saint Joseph, son très chaste Époux, qui l’attendait au Paradis. Mais revenons sur terre. La foi nous confirme qu’ici-bas, en cette vie, nous sommes en pèlerinage, en voyage, et que les sacrifices, la douleur et les privations ne nous manqueront pas. Mais la joie doit être toujours en contrepoint de notre chemin.
Servez le Seigneur dans la joie. Il n’existe pas
d’autre manière de Le servir. Dieu aime celui qui donne avec joie, celui qui se donne tout entier, dans un sacrifice joyeusement consenti, parce qu’il n’y a aucune raison pour être triste.
Vous allez penser, peut-être, que cet optimisme est excessif, car tous les hommes font l’expérience de leurs insuffisances et de leurs échecs; tous éprouvent la souffrance, la fatigue, l’ingratitude, la haine peut-être. Si nous, les chrétiens, nous sommes des hommes comme les autres, comment pourrions-nous échapper à ces traits constants de la nature humaine?
Ce serait naïveté que de nier la présence continuelle de la douleur, du découragement, de la tristesse et de la solitude sur cette terre qui est la nôtre. Mais la foi nous a appris avec certitude que tout cela n’est pas le produit du hasard, que le destin de la créature n’est pas d’aller à l’anéantissement de ses désirs de bonheur. La foi nous apprend que tout a un sens divin, car tout relève de l’appel qui nous conduit vers la demeure du Père. Cette manière d’entendre surnaturellement l’existence terrestre du chrétien ne simplifie pas la complexité humaine; mais elle assure à l’homme que cette complexité peut être traversée par le nerf de l’amour de Dieu, par ce câble, robuste et indestructible, qui relie notre vie sur terre à la vie définitive dans la Patrie.
La fête de l’Assomption de Notre Dame nous fait toucher du doigt cette joyeuse espérance. Nous sommes encore pèlerins, mais Notre Mère nous a précédés et nous montre déjà la fin du chemin: elle nous répète qu’il est possible d’y parvenir et que, si nous sommes fidèles, nous y parviendrons. Car la Très Sainte Vierge n’est pas seulement un exemple pour nous, elle est aussi le secours des chrétiens. Et devant notre requête – Monstra te esse Matrem – elle ne sait ni ne veut refuser à ses enfants les soins de sa maternelle sollicitude.
178 La joie est un bien qui appartient au chrétien. Elle ne disparaît que devant l’offense à Dieu: car le péché vient de l’égoïsme, et l’égoïsme engendre la tristesse et, même alors, cette joie demeure enfouie sous les braises de l’âme, car nous savons que Dieu et sa Mère n’oublient jamais les hommes. Si nous nous repentons, s’il jaillit de notre cœur un acte de douleur, si nous nous purifions par le saint sacrement de la pénitence, Dieu s’avance à notre rencontre et nous pardonne. Alors, il n’y a plus de tristesse: il est tout à fait juste de se réjouir puisque ton frère que voici était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouve.
Ces paroles terminent l’admirable épilogue de la parabole du fils prodigue, que nous ne nous lasserons jamais de méditer: voici que le Père s’avance à ta rencontre; il inclinera sa tête sur ton épaule, il te donnera un baiser, gage d’amour et de tendresse; il te fera remettre un vêtement, un anneau et des chaussures. Tu crains encore une réprimande: il te rend ta dignité; tu crains un châtiment: il te donne un baiser; tu as peur d’un mot de reproche: il prépare un festin à ton intention.
L’amour de Dieu est insondable. S’Il agit ainsi à l’égard de celui qui l’a offensé, que ne fera-t-Il pas pour honorer sa Mère, l’immaculée, Virgo fidelis, la Très Sainte Vierge, toujours fidèle?
Si tel est l’amour de Dieu, alors que le fond du cœur humain est si souvent traître, misérable, qu’en sera-t-il du Cœur de Marie, qui n’a jamais oppose le moindre obstacle à la volonté de Dieu?
Voyez comme la liturgie de cette fête insiste sur l’impossibilité de comprendre l’infinie miséricorde du Seigneur à l’aide de raisonnements humains; plutôt que d’expliquer, elle chante; elle frappe l’imagination afin que chacun mette toute son ardeur à louer. Car nous n’irons jamais assez loin: un grand signe apparut dans le ciel: une Femme vêtue du soleil, la lune sous les pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête. Le roi est tombe amoureux de ta beauté Comme elle resplendit, la fille du roi, avec son vêtement brode d’or!.
La liturgie va se terminer sur des paroles de Marie, qui réunissent à la fois la plus grande humilité et la plus grande gloire: toutes les générations à venir, en effet, me diront bienheureuse, car le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Cor Mariæ dulcissimum, iter para tutum; Cœur très doux de Marie, accorde-nous la force et la sécurité tout au long de ce chemin sur la terre: sois, toi-même, notre chemin, car tu connais le sentier et le raccourci infaillible qui mènent, par ton amour, à l’amour de Jésus-Christ.
179 L’année liturgique s'achève. Dans le saint Sacrifice de l’Autel, nous renouvelons l’offrande faite au Père de la Victime, le Christ, qui est, comme nous le lirons dans quelques instants dans la Préface, Roi de sainteté et de grâce, Roi de justice, d’amour et de paix. En contemplant la sainte Humanité de Notre Seigneur vous ressentez tous une immense joie en votre âme: un Roi avec un cœur de chair comme le nôtre; l’auteur de l’univers et de chacune de ses créatures, qui n’impose pas sa domination mais mendie un peu d’amour en nous montrant en silence les plaies de ses mains.
Pourquoi tant de gens L’ignorent-ils? Pourquoi entendons-nous encore cette dure clameur: nolumus hunc regnare super nos, nous ne voulons pas qu’Il règne sur nous? Il y a ainsi sur terre des millions d’hommes qui s’opposent à Jésus-Christ, ou plutôt à son ombre, car le Christ, ils ne Le connaissent pas; ils n’ont pas vu la beauté de son visage et ne savent rien de sa merveilleuse doctrine.
Ce triste spectacle me donne l’envie de réparer. En écoutant cette clameur incessante, faite d’actes abominables plus que de mots, je ne peux m’empêcher de crier très fort: opportet illum regnare, il faut qu’Il règne.
180 Pensons un peu à ce Christ, à cet Enfant plein de grâce que nous avons vu naître à Bethléem. Il est le Seigneur du monde, et tous les êtres, aux cieux et sur la terre, ont été créés par Lui; Il a réconcilié toutes choses avec le Père, rétablissant la paix entre le ciel et la terre, par son sang qu’Il a versé sur la Croix. Aujourd’hui le Christ règne à la droite du Père. Aux disciples interdits qui contemplaient les nuages après l’Ascension du Seigneur, les deux anges vetus de blanc affirment: hommes de Galilée, pourquoi regardez-vous le ciel? Ce Jésus que vous avez vu monter au ciel reviendra de la même manière que vous venez de Le voir monter.
Les rois règnent par Lui. Mais, alors que les rois et les autorités humaines passent, le royaume du Christ durera toute l’éternité, car son royaume est un royaume éternel et sa domination demeure de génération en génération.
Le royaume du Christ n’est ni une façon de parler, ni une image de rhétorique. Le Christ vit, même en tant qu’homme, avec ce même corps qu’Il a assumé dans l’Incarnation, qui est ressuscite après la Croix et qui subsiste, uni à son âme humaine, et glorifie dans la Personne du Verbe. Le Christ, Dieu et Homme véritable, vit et règne, et Il est le Seigneur du monde. Lui seul maintient en vie tout ce qui existe.
Alors pourquoi n’apparaît-Il pas maintenant dans toute sa gloire? Parce que, bien qu’Il soit dans le monde, son royaume n’est pas de ce monde, Jésus avait répondu à Pilate: Je suis Roi. Et je suis né pour cela, pour rendre témoignage à la vérité; quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. Ceux qui attendaient du Messie un pouvoir temporel, visible, se trompaient: le royaume de Dieu n’est pas fait de nourriture et de boisson, mais de justice, de paix et de la joie de l’Esprit Saint.
Vérité et Justice, paix et joie en l’Esprit Saint: voila le royaume du Christ, l’action divine qui sauve les hommes et qui culminera quand l’histoire s’achèvera et que le Seigneur, assis au plus haut des cieux, viendra pour juger définitivement les hommes.
Quand le Christ commence sa prédication sur la terre, Il ne propose pas de programme politique, mais Il dit: faites pénitence, parce que le royaume des cieux est proche. Il charge ses disciples d’annoncer cette bonne nouvelle et leur apprend à demander dans la prière l’avènement du royaume. Voila le royaume de Dieu et sa justice. Voilà en quoi consiste une vie sainte et ce que nous devons rechercher en premier lieu, la seule chose qui soit vraiment nécessaire.
Le salut que prêche Notre Seigneur Jésus-Christ est un appel lancé à tous. Il en est comme d’un roi qui célébrait les noces de son fils et envoya ses serviteurs inviter les convives aux noces. Et le Seigneur nous révèle que le royaume des cieux est au milieu de nous.
On n’est jamais exclu du salut si l’on se soumet docilement aux exigences amoureuses du Christ, si l’on naît de nouveau, si l’on se fait semblable aux tout-petits, en toute simplicité d’esprit, si l’on écarte de son cœur ce qui l’éloigne de Dieu Jésus ne veut pas seulement des paroles, Il veut aussi des actes, et des efforts courageux, car seuls ceux qui luttent mériteront l’héritage éternel.
La perfection du royaume, le jugement définitif de salut ou de condamnation, ne sont pas de ce monde. Aujourd’hui, le royaume est comparable aux semailles, à la croissance du grain de sénévé A la fin, il en sera comme du filet que l’on hale sur la plage: on en sortira, pour leur faire connaître un sort différent, ceux qui ont accompli la justice et ceux qui ont commis l’iniquité. Mais, tant que nous vivons ici-bas, le royaume est semblable au levain que prit une femme et qu’elle mélangea à trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la masse ait fermenté.
Qui comprend ce qu’est ce royaume que le Christ propose, se rend compte qu’il vaut la peine de mettre tout en œuvre pour le conquérir: il est cette perle que le marchand acquiert en vendant tout ce qu’il possède; il est le trésor trouve dans un champ. Il est difficile de conquérir le royaume des cieux et personne n’est assuré d’y parvenir: seule l’humble clameur de l’homme repentant peut en ouvrir les portes à deux battants. Un des larrons crucifies avec Jésus le supplie: Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume. Il lui répondit: En vérité, je te le dis, des aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.
181 Comme Tu es grand, ô notre Seigneur et notre Dieu! C’est Toi qui donnes à notre vie un sens surnaturel et une efficacité divine. C’est grâce à Toi que l’amour pour ton Fils nous fait répéter avec toute la force de notre être, avec notre âme et avec notre corps: opportet illum regnare! alors même que retentit la complainte de notre faiblesse. Car, comme Tu le sais, nous sommes des créatures (et quelles créatures!) dont non seulement les pieds, mais le cœur et la tête sont faits de glaise. Élevés au plan divin, nous vibrerons exclusivement pour Toi.
Le Christ doit avant tout régner en notre âme. Mais que pourrions-nous Lui répondre s’Il nous demandait: et toi, comment me laisses-Tu régner en toi? je Lui répondrais que pour qu’Il règne en moi, j’ai besoin de sa grâce en abondance. C’est le seul moyen pour que tout, le moindre battement de cœur, le moindre souffle, le moindre regard, le mot le plus anodin, la sensation la plus élémentaire se transforme en un hosanna à mon Christ Roi.
Si nous voulons que le Christ règne, nous devons agir en conséquence et commencer par Lui faire don de notre cœur. Si nous n’agissions pas ainsi, parler de la royauté du Christ ne serait que clameur dépourvue de sens chrétien, que manifestation extérieure d’une foi qui n’existerait pas, qu’utilisation frauduleuse du nom de Dieu pour des transactions humaines.
Si la condition, pour que Jésus règne en ton âme et en la mienne, était qu’Il trouve en nous une demeure digne, nous aurions de quoi nous désespérer. Mais sois sans crainte, fille de Sion: voici venir ton roi, monté sur le petit d’une ânesse. Voyez de quel pauvre animal Jésus se contente pour trône. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais personnellement cela ne m’humilie pas de me reconnaître âne aux yeux du Seigneur: j’étais une brute devant toi. Et moi, qui restais devant toi, tu m’as saisi par ma main droite, tu me conduis par le licol.
Rappelez-vous les traits caractéristiques de l’âne, non de ceux du vieil âne, têtu et rancunier qui se venge d’une ruade traîtresse, mais de ceux de l’âne jeune, aux oreilles dressées comme des antennes, austère dans sa nourriture, obstiné dans le travail, au trot allègre et décidé. Certes, il existe des centaines d’animaux plus beaux, plus habiles et plus cruels, mais c’est lui qu’a choisi le Christ pour se présenter en roi au peuple qui l’acclamait. Car Jésus n’a que faire de l’astuce calculatrice, de la cruauté des cœurs froids, de la beauté qui brille mais qui n’est qu’apparence. Notre Seigneur aime la joie d’un cœur jeune, la démarche simple, la voix bien posée, le regard limpide, l’oreille attentive à sa parole affectueuse. C’est ainsi qu’Il règne dans l’âme.
182 Si nous laissons le Christ régner en notre âme nous ne dominerons pas les hommes, mais nous les servirons. Service. Comme j’aime ce mot! Servir mon Roi et, pour Lui, tous ceux que son sang a rachetés! Si les chrétiens savaient servir! Confions au Seigneur notre décision d’apprendre à accomplir cette mission de service, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons connaître le Christ et L’aimer. Le faire connaître et Le faire aimer.
Comment Le ferons-nous connaître? D’abord par l’exemple. Rendons-Lui témoignage en nous soumettant volontairement à Lui dans toutes nos activités, car Il est Seigneur de toute notre vie, car Il est la raison unique, la raison dernière de notre existence. Ensuite, après avoir témoigné par notre exemple, nous serons en mesure de parler de sa doctrine afin de la transmettre. Le Christ n’a pas agi autrement. Cœpit facere et docere, Il a d’abord enseigné par ses oeuvres, puis par sa prédication divine.
Pour servir les autres par amour du Christ, nous devons être très humains. Si notre vie n’est pas humainement valable, Dieu ne bâtira rien en elle, car d’ordinaire Il ne construit pas sur le désordre, sur l’égoïsme et sur la prétention. Nous devons comprendre tous les hommes, vivre en harmonie avec tous, les excuser tous, et pardonner à tous. Bien sur, nous ne dirons pas que l’offense à Dieu n’est pas une offense; nous n’appellerons pas juste ce qui est injuste, ni bien ce qui est mal. Nous ne répondrons pas au mal par un autre mal, mais par une doctrine claire et par des actions droites, noyant ainsi le mal dans une abondance de bien. Alors, le Christ régnera dans notre âme et dans celles de ceux qui nous entourent.
Certains essaient d’instaurer la paix dans le monde en oubliant de mettre l’amour de Dieu dans leur propre cœur et de servir les créatures par amour de Dieu. Comment une mission de paix peut-elle être réalisée de la sorte? La paix du Christ est celle du royaume du Christ; et le royaume de Notre Seigneur doit se fonder sur le désir de sainteté, sur l’humble disposition à recevoir la grâce, sur une noble action de justice et sur un débordement divin d’amour.
184 Lorsque, comme il en a le devoir, le chrétien travaille, il ne doit ni évincer ni faire fi des exigences propres à la nature. Si par bénir les activités humaines on entend les réduire à néant ou en diminuer l’efficacité, alors je me refuse à utiliser ces mots. En ce qui me concerne, je n’ai jamais aimé que les activités humaines courantes affichent, telle une enseigne postiche, un qualificatif confessionnel. Il me semble en effet, bien que je respecte l’opinion contraire, que c’est risquer d’utiliser inutilement le saint nom de notre foi, sans compter que l’étiquette de catholique a pu parfois justifier des attitudes et des opérations plutôt douteuses.
Parce que le monde et tout ce qu’il renferme, sauf le péché, est bon, étant l’oeuvre de Dieu Notre Seigneur, le chrétien, au coude à coude avec tous ses concitoyens, doit se consacrer à tout ce qui est terrestre, en luttant sans relâche – de façon positive, avec amour – pour éviter les offenses à Dieu. Il doit défendre toutes les valeurs qui dérivent de la dignité de la personne.
Et s’il est une valeur qu’il devra toujours rechercher de façon spéciale, c’est bien la liberté personnelle. Ce n’est que dans la mesure où il défend la liberté personnelle des autres, et sa conséquence la liberté individuelle, qu’il pourra défendre la sienne. C’est la seule attitude cohérente, sur le plan humain et chrétien. Je le répète – et je ne cesserai de le répéter: le Seigneur nous a octroyé gratuitement un grand don surnaturel, la grâce divine, et un merveilleux présent humain, la liberté personnelle qui, pour ne pas se corrompre ni se transformer en licence, exige de nous une intégrité et un ferme engagement de refléter dans notre conduite la loi divine, parce que là où est l’Esprit de Dieu, là se trouve la liberté.
Le Royaume du Christ est un royaume de liberté. Il ne contient que des esclaves qui se sont enchaînes, librement, par amour de Dieu. Servitude bénie! Servitude d’amour qui nous libère! Sans la liberté nous ne pouvons pas répondre à la grâce; sans la liberté nous ne pouvons pas nous donner librement au Seigneur pour le plus surnaturel des motifs: parce que nous en avons envie.
Certains de ceux qui m’écoutent en ce moment me connaissent depuis de nombreuses années déjà et ils peuvent témoigner combien, pendant toute ma vie, j’ai prêché la liberté personnelle unie à la responsabilité individuelle. Je l’ai cherchée et je la cherche, de par toute la terre, comme Diogène cherchait un homme. Et je l’aime chaque jour davantage, plus que toute autre chose sur la terre, car c’est un trésor que nous n’apprécierons jamais assez.
Quand je parle de liberté personnelle, je n’en fais pas pour autant allusion à d’autres problèmes, peut-être très intéressants, mais qui ne relèvent pas de ma mission sacerdotale. Je sais qu’il ne me revient pas de parier des problèmes de l’heure, séculiers, qui relèvent du domaine temporel et civil, puisque le Seigneur a voulu laisser ces matières à la libre et sereine discussion des hommes. Je sais aussi que, s’il veut échapper aux factions, le prêtre ne doit ouvrir la bouche que pour mener les âmes à Dieu, à sa doctrine spirituelle de salut, aux sacrements institués par Jésus-Christ, et à la vie intérieure qui nous rapproche du Seigneur et fait de nous ses enfants et, par conséquent, les frères de tous les hommes sans exception.
Nous célébrons aujourd’hui la fête du Christ Roi. Je ne sors pas de ma fonction de prêtre en disant que si quelqu’un voyait dans le royaume du Christ un programme politique, c’est qu’il n’aurait pas compris le sens profond de la fin surnaturelle de la foi et serait à deux pas d’imposer aux consciences un fardeau qui n’est pas celui de Jésus, dont le joug est doux et le fardeau léger Aimons vraiment tous les hommes et aimons le Christ par-dessus tout. Nous n’aurons alors pas d’autre solution que d’aimer la liberté légitime des autres et de vivre avec eux en bonne intelligence et en paix.
185 Peut-être objecterez-vous que peu de gens veulent entendre cela et moins encore veulent le mettre en pratique Il est évident que la liberté est une plante forte et saine qui s’acclimate mal aux pierres, aux épines et aux chemins battus par les gens. Cela avait été annonce avant même la venue du Christ sur la terre.
Souvenez-vous du psaume 2: pourquoi ces nations en tumulte, ce vain grondement des peuples? Les rois de la terre se lèvent, les princes conspirent contre Yahvé et son Oint. Vous voyez, il n’y a rien de nouveau. Il s’opposaient au Christ avant qu’Il ne naisse; ils s’opposaient à Lui alors que ses pieds foulaient pacifiquement les sentiers de Palestine; et maintenant encore ils Le persécutent en attaquant les membres de son Corps, mystique et royal. Pourquoi tant de haine, pourquoi un tel acharnement contre la simplicité candide, pourquoi partout cet écrasement de la liberté de chaque conscience?
Brisons ses entraves, faisons sauter son joug Ils brisent le joug suave, ils rejettent Son fardeau, merveilleux fardeau de sainteté et de justice, de grâce, d’amour et de paix. L’amour les met en rage et ils se moquent de la bonté d’un Dieu qui a la faiblesse de renoncer à utiliser ses légions d’anges pour se défendre Si le Seigneur acceptait de transiger, de sacrifier quelques innocents pour faire plaisir à une majorité de coupables, alors ils pourraient bien essayer de s’entendre avec Lui. Mais Dieu ne raisonne pas ainsi. En véritable Père, Il est prêt à pardonner à des milliers d’hommes qui font le mal, pourvu qu’il y ait seulement dix justes. Ceux qui sont mus par la haine ne peuvent comprendre cette miséricorde. L’impunité dont ils croient jouir sur la terre les pousse vers toujours plus d’injustice.
Celui qui siège dans les cieux s’en amuse, Yahvé les tourne en dérision. Puis dans sa colère Il leur parle, dans sa fureur Il les frappe d’épouvante. Oh comme elle est légitime, la colère de Dieu, comme sa fureur est juste, et grande sa clémence!
C’est moi qui ai sacre mon roi sur Sion, ma sainte montagne. J’énoncerai le décret de Yahvé: Il m’a dit: Tu es mon fils, oui, aujourd’hui, je t’ai engendré. Dans sa miséricorde, Dieu le Père nous a donné son Fils pour Roi. Il s’attendrit en menaçant. Il annonce sa colère, mais nous donne son amour. Tu es mon fils: Il s’adresse au Christ et Il s’adresse à toi et à moi, si nous acceptons d’être alter Christus, ipse Christus.
Les mots sont impuissants à exprimer l’émotion qui étreint notre cœur devant la bonté de Dieu. Il nous dit: tu es mon fils. Non pas un étranger, ni un serviteur traite avec bienveillance, ni un ami, ce qui serait déjà beaucoup. Un fils! Il nous permet de vivre envers Lui la piété filiale et même, j’oserai l’affirmer, cette audace des fils auxquels leur Père ne peut rien refuser.
186 Beaucoup s’acharnent à se comporter de façon injuste? C’est vrai, mais le Seigneur insiste: demande, et je te donnerai les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre; tu les briseras avec un sceptre de fer, comme vases de potier tu les fracasseras. Ce ne sont pas des promesses sans importance: elles viennent de Dieu. Nous ne pouvons donc pas les passer sous silence. Ce n’est pas pour rien que le Christ est le Rédempteur du monde, et qu’Il règne en souverain à la droite du Père. C’est l’annonce terrible de ce qui attend chacun d’entre nous quand la vie aura passé (car elle passe), et de ce qui nous attend tous quand l’histoire s'achèvera, si notre cœur s’endurcit dans le mal et le désespoir.
Bien qu’Il puisse toujours vaincre, Dieu préfère néanmoins convaincre: et maintenant, rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre! Servez Yahvé avec crainte, baisez ses pieds avec tremblement; s’Il entrait en colère, vous péririez: d’un coup prend feu sa colère. Le Christ est le Seigneur, le Roi. Et nous, nous vous annonçons la Bonne Nouvelle: la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur à nous, leurs enfants; Il a ressuscité Jésus. Ainsi est-il écrit au psaume deux: Tu es mon Fils moi-même aujourd’hui je t’ai engendré...
Sachez-le donc, frères, c’est par lui que la rémission des péchés vous est annoncé. L’entière justification que vous n’avez pu obtenir par la Loi de Moïse, c’est par Lui que quiconque croit l’obtient. Prenez donc garde que n’arrive ce qui est dit dans les prophètes: Regardez contempteurs, soyez dans la stupeur et disparaissez! Parce que de vos jours je vais accomplir une œuvre que vous ne croiriez pas si on vous la racontait.
C’est l’oeuvre du salut, le règne du Christ dans les âmes, la manifestation de la miséricorde de Dieu. Heureux qui s’abrite en Lui. Nous, chrétiens, avons le droit d’exalter la royauté du Christ. En effet, bien que l’injustice abonde et que beaucoup ne désirent pas ce règne d’amour, l’oeuvre du salut éternel se dessine peu à peu au milieu de ce théâtre du mal qu’est l’histoire humaine.
187 Ego cogito cogitationes pacis et non afflictionis, mes pensées sont des pensées de paix et non de malheur, dit le Seigneur. Soyons des hommes de paix, des hommes de justice; faisons le bien et le Seigneur ne sera pas pour nous juge, mais ami, frère et Amour.
Que les anges de Dieu nous accompagnent au long de notre route joyeuse sur la terre. Avant la naissance de notre Rédempteur, écrit saint Grégoire le Grand, nous avions perdu l’amitié des anges. La faute originelle et nos péchés quotidiens nous avaient éloignés de leur pureté lumineuse... Mais à partir du moment où nous avons reconnu notre Roi les anges nous on reconnus pour concitoyens
Et comme le Roi des cieux a voulu prendre notre chair terrestre, les anges ne s’éloignent plus de notre misère. Ils n’osent plus considérer comme inférieure à la leur cette nature qu’ils adorent et voient exaltée au-dessus d’eux en la personne du Roi des cieux; et ils n’éprouvent plus de honte à considérer l’homme comme un compagnon.
Marie, la sainte Mère de notre Roi, la Reine de notre cœur, prend soin de nous comme Elle seule sait le faire. Mère compatissante, trône de la grâce, nous te demandons de nous apprendre à composer, avec notre vie et avec la vie de ceux qui nous entourent, vers après vers, le poème simple de la charité, quasi fluvium pacis, tel un fleuve de paix. Car Tu est un océan de miséricorde inépuisable: les fleuves se jettent tous dans la mer et la mer ne se remplit pas.