Alvaro del Portillo
Rome, le 14 septembre 1980, en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix.Il est un peu plus de dix heures du matin. Le procès touche à sa fin. Aucune preuve ne s’est révélée concluante. Le juge, qui sait que ses ennemis l’ont livré par envie, tente un recours absurde: le choix entre Barabbas, un malfaiteur accusé de vol et d’homicide, et Jésus, qu’on appelle le Christ. Le peuple choisit Barabbas. Pilate s’exclame:
– Que ferai-je donc de Jésus? (Mt 27, 22).
Tous répondent: – Crucifie-le!
Le juge insiste: – Mais quel mal a-t-il fait?
Et ils répondent de nouveau, à grands cris: – Crucifie-le! Crucifie-le!
Pilate prend peur face au tumulte grandissant. Il se fait alors apporter de l’eau et se lave les mains devant le peuple, en disant:
– Je suis innocent du sang de ce juste; à vous de voir (Mt 27, 24).
Et après avoir fait flageller Jésus, il le livre pour qu’ils le crucifient. Le silence se fait dans ces gorges enragées et possédées. Comme si Dieu était déjà vaincu.
Jésus est seul. Qu’ils sont loin les jours où la parole de l’Homme-Dieu inondait les cœurs de lumière et d’espérance; qu’elles sont loin les longues processions de malades qui s’en retournaient guéris, et les clameurs triomphales de Jérusalem fêtant l’entrée du Seigneur, monté sur un âne paisible. Si seulement les hommes avaient voulu donner un autre cours à l’amour de Dieu! Si seulement nous avions connu, toi et moi, le jour du Seigneur! »
« 1 » Jésus prie dans le jardin: Pater mi (Mt 26, 39), Abba, Pater! (Mc 14, 36). Dieu est mon Père, même s’Il m’envoie des souffrances. Il m’aime tendrement, alors même qu’Il me blesse. Jésus souffre, pour accomplir la Volonté du Père… Et moi qui veux aussi accomplir la très sainte Volonté de Dieu en marchant dans les traces du Maître, pourrais-je me plaindre si je rencontre la souffrance comme compagne de route?
Elle sera le meilleur signe de ma filiation, puisqu’Il me traite comme son Divin Fils. Et alors, comme Lui, je pourrai gémir et pleurer, tout seul, dans mon Gethsémani; mais, prostré la face contre terre et reconnaissant mon néant, je ferai monter vers le Seigneur un cri sorti du fond de mon âme: Pater mi, Abba, Pater, … fiat!
« 2 » La capture: … venit hora: ecce Filius hominis tradetur in manus peccatorum (Mc 14, 41). Le pécheur a donc son heure? Oui, et Dieu son éternité! …
Ô chaînes de Jésus! Chaînes auxquelles Il s’est volontairement laissé attacher, attachez-moi, faites-moi souffrir avec mon Seigneur, afin que ce corps de mort s’humilie… Car il n’y a pas de moyen terme: ou c’est moi qui l’anéantis ou c’est lui qui m’avilit. Mieux vaut être esclave de mon Dieu qu’esclave de ma chair.
« 3 » Pendant le simulacre de procès, le Seigneur se tait. Iesus autem tacebat (Mt 26, 63). Après quoi, Il répond aux questions de Caïphe et de Pilate… Pour Hérode, ce velléitaire, cet impur, pas un seul mot (cf. Lc 23, 9): le péché de luxure déprave à tel point qu’il rend même sourd à la voix du Sauveur.
Si tu vois que dans bien des milieux on s’oppose à la vérité, tais-toi et prie, mortifie-toi… et attends. Même dans les âmes qui paraissent les plus perdues subsiste, jusqu’au dernier instant, le pouvoir de revenir à l’amour de Dieu.
« 4 » La sentence est sur le point de tomber. Pilate se moque: ecce rex vester! (Jn 19, 14). Hors d’eux-mêmes, les pontifes répondent: nous n’avons d’autre roi que César (Jn 19, 15).
Seigneur! où sont tes amis? où sont tes sujets? Ils t’ont abandonné. Cette débandade qui dure depuis vingt siècles… Nous fuyons tous la Croix, ta Sainte Croix.
Sang, angoisse, solitude, et une soif insatiable d’âmes… tel est le cortège de la royauté.
« 5 » Ecce homo! (Jn 19, 5). Le cœur se serre à la vue de la très Sainte Humanité du Seigneur, qui n’est plus qu’une plaie.
On lui demandera alors: quelles sont ces blessures dans tes mains? Et Il répondra: J’ai reçu des coups dans la maison de ceux qui m’aiment (Za 13, 6).
Regarde Jésus. Chaque déchirure est un reproche; chaque coup de fouet une occasion de douleur, pour tes offenses et pour les miennes.
En sortant de la ville, au nord-ouest de Jérusalem, se trouve une hauteur appelée Golgotha en araméen, locus Calvariæ en latin, lieu du Crâne ou Calvaire.
Jésus se livre sans défense à l’exécution de la sentence. Rien ne lui sera épargné, et voici que le poids de la croix infamante s’abat sur ses épaules. Mais, par la vertu de l’amour, la Croix se transformera en trône de sa royauté.
Les habitants de Jérusalem, et les étrangers venus, pour la Pâque, se pressent dans les rues de la ville pour voir passer Jésus de Nazareth, le Roi des Juifs. Le tumulte des voix est entrecoupé de courts silences: peut-être lorsque le Christ fixe les yeux sur quelqu’un:
– Si quelqu’un veut venir à ma suite, … qu’il prenne sa croix, chaque jour, et qu’il me suive (Lc 9, 23).
Avec quel amour Jésus embrasse le bois qui va devenir l’instrument de sa mort!
N’est-il pas vrai que, dès que tu cesses d’avoir peur de la Croix, de ce que les gens appellent croix, et que ta volonté s’applique à accepter la Volonté divine, tu es heureux, et que disparaissent tous tes soucis, toutes tes souffrances physiques ou morales?
Douce et aimable est, en vérité, la Croix de Jésus. Avec elle, nulle peine n’a d’importance: seule compte la joie de se savoir corédempteur avec lui. »
« 1 » Le cortège se prépare… Jésus, bafoué, est abreuvé des moqueries de tous ceux qui l’entourent. Lui! Lui qui est passé sur terre en faisant le bien et guérissant chacun de ses infirmités (cf. Hch 10, 38).
C’est le bon Maître qu’ils vont mener au gibet, ce Jésus qui est venu au-devant de nous, nous qui nous étions éloignés.
« 2 » Comme s’il s’agissait d’une fête, ils ont préparé un cortège, une longue procession. Les juges veulent savourer leur victoire en infligeant un supplice lent et inhumain.
Jésus ne trouvera pas la mort en un clin d’œil… Il a tout le temps nécessaire pour que sa douleur et son amour s’identifient une fois de plus à la Volonté très aimable de son Père. Ut facerem voluntatem tuam, Deus meus, volui, et legem tuam in medio cordis mei (Sal 40, 9): à faire ta volonté, mon Dieu, je me complais, et ta loi est dans mon cœur.
« 3 » Plus tu seras au Christ, plus tu obtiendras de grâce pour ton efficacité terrestre et ton bonheur éternel.
Mais tu dois te décider à suivre le chemin du don de soi: la Croix sur tes épaules, le sourire sur tes lèvres et, dans ton âme, une grande lumière.
« 4 » Tu entends en toi une voix: " Qu’il est pesant ce joug dont tu t’es chargé librement! " … C’est la voix du diable, le fardeau… de ton orgueil.
Demande l’humilité au Seigneur, et toi aussi tu comprendras ces paroles de Jésus: Iugum enim meum suave est, et onus meum leve (Mt 11, 30), que j’aime à traduire librement ainsi: mon joug est la liberté, mon joug est l’amour, mon joug est l’unité, mon joug est la vie, mon joug est l’efficacité.
« 5 » Souvent autour de nous règne comme une sorte de peur de la Croix, de la Croix du Seigneur. Et c’est que l’on a commencé à appeler croix tous les événements désagréables qui surgissent au cours de la vie et qu’on ne sait pas assumer comme un enfant de Dieu, contempler dans une perspective surnaturelle. Ne va-t-on pas jusqu’à enlever les croix qu’ont plantées nos aïeux au bord des chemins…!
Dans la Passion, la Croix a cessé d’être symbole de châtiment: elle est devenue un signe de victoire. La Croix est l’emblème du Rédempteur: in quo est salus, vita et resurrectio nostra, en elle se trouvent notre salut, notre vie et notre résurrection.
La Croix entame, déchire de son poids les épaules du Seigneur. La foule a grossi démesurément. Les légionnaires peuvent à peine contenir le peuple agité et furieux qui, tel un fleuve sorti de son lit, afflue de toutes les ruelles de Jérusalem.
Le corps exténué de Jésus se met à chanceler sous l’énorme Croix. C’est à peine si de son cœur très aimant parvient un souffle de vie à ses membres blessés.
À sa droite et à sa gauche, le Seigneur voit cette multitude, errant comme des brebis sans pasteur. Il pourrait les appeler une par une, par leurs noms, par nos noms. Là sont présents ceux qui ont été nourris lors de la multiplication des pains et des poissons, ceux qui ont été guéris de leurs infirmités, ceux qui ont entendu sa doctrine, au bord du lac, sur la montagne et sous les portiques du Temple.
Une douleur aiguë transperce l’âme de Jésus, et le Seigneur s’écroule, exténué.
Ni toi ni moi ne pouvons rien dire: nous savons maintenant pourquoi la Croix de Jésus pèse tant. Et nous pleurons nos misères, ainsi que la terrible ingratitude du cœur humain. Du fond de notre âme surgit un acte de contrition véritable, qui nous tire de la prostration du péché. Jésus est tombé pour que nous nous relevions: une fois et toujours. »
« 1 » Tu es triste?… Parce que tu as perdu cette petite bataille?
Non! sois joyeux! car, lors de la prochaine, avec la grâce de Dieu et, précisément en raison de ton humiliation présente, tu vaincras.
« 2 » Tant qu’il y a lutte, lutte ascétique, il y a vie intérieure. C’est cela que nous demande le Seigneur: la volonté de vouloir L’aimer par des œuvres, dans les petites choses de chaque jour.
Si tu as été vainqueur dans les petites choses, tu vaincras dans les grandes.
« 3 » " Cet homme se meurt. Il n’y a plus rien à faire… "
C’était il y a bien des années, dans un hôpital de Madrid.
Après s’être confessé, tandis que le prêtre lui donnait son crucifix à baiser, ce gitan s’exclamait à grands cris, sans qu’on parvînt à le faire taire:
– Avec cette bouche pourrie, je ne peux pas embrasser le Seigneur!
– Mais puisque tu vas l’étreindre et l’embrasser très fort, tout de suite, au Ciel!
… Connais-tu une manière plus belle, et terrible à la fois, de manifester sa contrition?
« 4 » Tu parles, et ils ne t’écoutent pas. Et s’ils t’écoutent, ils ne te comprennent pas. Tu es un incompris!… D’accord. En tout cas, si tu veux que ta croix soit à la hauteur de celle du Christ, tu dois, pour l’instant, travailler ainsi, sans que l’on fasse attention à toi. D’autres te comprendront.
« 5 » Comme ils sont nombreux ceux qui, jouets de leur orgueil et de leur imagination, s’immolent sur des calvaires qui ne sont pas ceux du Christ.
La Croix que tu dois porter est divine. Refuse-toi absolument d’en porter une qui soit humaine. Et si tu devais un jour tomber dans ce piège, rectifie aussitôt: il te suffira de penser qu’Il a souffert infiniment plus, par amour pour nous.
À peine Jésus s’est-Il relevé de sa première chute qu’Il rencontre sa Très Sainte Mère, au bord du chemin où Il passe.
Avec un amour immense, Marie regarde Jésus et Jésus regarde sa Mère; leurs regards se croisent, et chaque cœur déverse sa propre douleur dans le cœur de l’autre. L’âme de Marie est plongée dans l’amertume, dans l’amertume de Jésus-Christ.
Ô vous, qui passez par le chemin, considérez et voyez s’il est douleur pareille à ma douleur! (Lm 1, 12).
Mais personne ne se rend compte de rien; personne ne fait attention; personne, sauf Jésus.
La prophétie de Siméon s’est accomplie: un glaive transpercera ton âme (Lc 2, 35).
Dans l’obscure solitude de la Passion, Notre Dame offre à son Fils un baume de tendresse, d’union, de fidélité; un oui à la volonté divine.
Toi et moi, conduits par Marie, nous voulons nous aussi consoler Jésus, acceptant toujours et en tout la Volonté de son Père, de notre Père.
C’est seulement ainsi que nous savourerons la douceur de la Croix du Christ et que nous l’embrasserons avec la force de l’Amour, la portant en triomphe sur tous les chemins de la terre. »
« 1 » Quel homme ne fondrait en larmes s’il voyait la Mère du Christ en un tel tourment?
Son Fils blessé… Et nous, loin, lâches, rebelles à la Volonté divine.
Ô ma Mère et ma Souveraine, apprends-moi à prononcer un oui qui, comme le tien, s’identifie au cri que Jésus adressa à son Père: non mea voluntas… (Lc 22, 42): que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse mais celle de Dieu.
« 2 » Que de misère! Que d’offenses! Les miennes, les tiennes, celles de l’humanité tout entière…
Et in peccatis concepit me mater mea! (Sal 51, 7). Comme tous les hommes, je suis né souillé par la faute de nos premiers parents. Ensuite… , mes péchés personnels: rébellions réfléchies, désirées, commises…
Afin de nous purifier de cette pourriture, Jésus a voulu s’humilier et prendre la condition d’esclave (cf. Flp 2, 7), s’incarnant dans les entrailles sans tache de Notre Dame, sa Mère, qui est aussi ta Mère et la mienne. Comme un parmi d’autres, Il a vécu trente années dans l’obscurité, travaillant aux côtés de Joseph. Il a prêché, fait des miracles… Et nous, nous le payons avec une Croix.
As-tu besoin d’autres motifs de contrition?
« 3 » Jésus a espéré cette rencontre avec sa Mère. Que de souvenirs d’enfance! Bethléem, la lointaine Égypte, le village de Nazareth. Maintenant encore Il la veut près de Lui, sur le Calvaire.
Nous avons besoin d’elle!… Lorsqu’un petit enfant prend peur dans l’obscurité de la nuit, il crie: Maman!
De la même manière, je ressens la nécessité de crier, dans mon cœur, souvent: Mère! Maman! ne m’abandonne pas!
« 4 » Pour parvenir à l’abandon, il est nécessaire de parcourir encore un petit bout de chemin. Si tu n’y es pas encore arrivé, ne t’inquiète pas: poursuis ton effort. Viendra le jour où tu ne verras d’autre chemin que Lui – Jésus –, sa très Sainte Mère, et les moyens surnaturels que le Maître nous a laissés.
« 5 » Si nous sommes des âmes de foi comme les saints, nous n’accorderons qu’une importance très relative aux événements d’ici-bas… Le Seigneur et sa Mère ne nous abandonnent pas et, chaque fois que cela sera nécessaire, ils se manifesteront pour remplir de paix et d’assurance le cœur de leurs enfants.
Jésus est exténué. Son pas se fait de plus en plus lourd et les soldats sont pressés d’en finir; voilà pourquoi, sortant de la Ville par la porte Judiciaire, ils réquisitionnent un homme qui venait d’une ferme, un certain Simon de Cyrène, père d’Alexandre et de Rufus, et l’obligent à porter la croix de Jésus (cf. Mc 15, 21).
Par rapport à l’ensemble de la Passion, cette aide représente bien peu de chose. Mais il suffit à Jésus d’un sourire, d’un mot, d’un geste, d’un peu d’amour, pour qu’Il déverse en abondance sa grâce dans l’âme de l’ami. Quelques années plus tard, les fils de Simon, devenus chrétiens, seront connus et estimés parmi leurs frères dans la foi. Tout a commencé par une rencontre fortuite avec la Croix.
Je me suis présenté à ceux qui ne me questionnaient pas, Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas (Is 65, 1).
Parfois, la Croix apparaît sans qu’on la cherche: c’est le Christ qui s’inquiète de nous. Et si jamais, devant cette Croix inattendue, et peut-être plus obscure, ton cœur montrait de la répugnance… ne lui donne pas de consolation. Quand il en demandera, dis-lui doucement, comme en confidence, plein d’une noble compassion: sur la Croix, mon cœur! sur la Croix, mon cœur! »
« 1 » Veux-tu savoir comment remercier le Seigneur de ce qu’Il fit pour nous? … Avec ton amour! Il n’y a pas d’autre chemin.
L’amour se paie avec de l’amour. Mais c’est le sacrifice qui témoigne de l’amour véritable. Courage, donc! Renonce à toi-même et prends ta croix. Tu seras sûr alors de Lui rendre amour pour Amour.
« 2 » Il n’est pas trop tard et tout n’est pas perdu… En dépit de ce que tu penses. Bien que des milliers de voix de malheur le répètent. Bien que des regards moqueurs et incrédules te harcèlent… C’est un bon moment pour prendre la Croix sur tes épaules: la Rédemption est en train de se faire – maintenant! – et Jésus a besoin de beaucoup de Cyrénéens.
« 3 » S’il veut rendre heureuse la personne qu’il aime, un cœur noble ne recule pas devant le sacrifice. Pour soulager un visage qui souffre, les grandes âmes savent vaincre la répugnance et se donner sans compter… Et Dieu mériterait-Il moins qu’un morceau de chair, qu’une poignée d’argile?
Apprends à mortifier tes caprices. Accepte la contrariété sans l’exagérer, sans simagrées, sans… hystérie. Et tu rendras plus légère la Croix du Christ.
« 4 » Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham. Car le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 13, 9-10).
Zachée, Simon de Cyrène, Dimas, le centurion… Maintenant tu sais pourquoi le Seigneur t’a cherché! Remercie-le!… Mais opere et veritate, par des œuvres, et en vérité.
« 5 » Comment aimer pour de bon la Croix Sainte de Jésus? … Désire-la! … Demande au Seigneur des forces pour la faire pénétrer dans tous les cœurs, et aux quatre coins de ce monde! Ensuite… répare, avec joie; et cherche à L’aimer également, uni au battement de tous les cœurs qui ne L’aiment pas encore.
Il n’y a en lui ni grâce ni beauté pour attirer nos regards, ni apparence attirant notre amour. Il était méprisé et abandonné des hommes, homme de douleurs et familier de la souffrance, celui devant qui on se voile la face, méprisé, et de qui nous ne faisions aucun cas (Is 53, 2-3).
Et c’est pourtant le Fils de Dieu qui passe; fou,… fou d’Amour!
Une femme, nommée Véronique, se fraye un chemin à travers la foule, portant un linge blanc, plié, avec lequel elle essuie pieusement le visage de Jésus. Le Seigneur laisse l’empreinte de sa Sainte Face sur les trois parties de ce voile.
Le visage bien-aimé de Jésus, ce visage qui avait souri aux enfants et s’était transfiguré, glorieux, sur le mont Thabor, a comme disparu, masqué par la douleur. Mais cette douleur est notre purification; mais cette sueur et ce sang qui ternissent et estompent ses traits sont notre propreté.
Seigneur! Que je me décide à arracher, par la pénitence, ce pauvre masque que m’ont fait mes misères… Et alors, seulement alors, par le chemin de la contemplation et de l’expiation, ma vie reproduira fidèlement les traits de ta vie. Chaque jour, nous Te ressemblerons davantage.
Nous serons d’autres Christs, le Christ lui-même, ipse Christus. »
« 1 » Nos péchés furent la cause de la Passion: de cette torture qui déformait le visage très aimable de Jésus, perfectus Deus, perfectus homo. Et ce sont aussi nos misères qui, maintenant encore, nous empêchent de contempler le Seigneur, nous présentant de Lui une image opaque et difforme.
Lorsque notre regard est brouillé et que nos yeux se troublent, nous avons besoin d’aller vers la lumière. Et le Christ a dit: ego sum lux mundi! (Jn 8, 12), Je suis la lumière du monde. Et Il ajoute: celui qui me suivra ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.
« 2 » Fréquente assidûment la très Sainte Humanité de Jésus… Et Il fera naître en ton âme une faim insatiable, un désir " incroyable " de contempler sa Face.
Dans ce désir – que rien sur terre ne peut assouvir – tu trouveras très souvent ton réconfort.
« 3 » Saint Pierre écrit: Par Jésus-Christ, Dieu nous a fait don des précieuses et magnifiques promesses afin que grâce à elles vous deveniez participants de la nature divine (2P 1, 4).
Cette divinisation qui s’opère en nous ne signifie pas que nous cessions d’être humains… Hommes, nous le sommes, mais des hommes qui ont horreur du péché grave. Des hommes qui abominent les fautes vénielles et qui, faisant chaque jour l’expérience de leur propre faiblesse, découvrent également la force de Dieu.
Ainsi, rien ne pourra nous arrêter: ni le respect humain, ni les passions, ni cette chair qui se révolte – parce que nous sommes moins que rien – ni l’orgueil, ni… la solitude.
Un chrétien n’est jamais seul. Si tu te sens abandonné, c’est parce que tu ne veux pas regarder ce Christ qui passe si près de toi… avec la Croix, peut-être.
« 4 » Ut in gratiarum semper actione maneamus! Mon Dieu, merci, merci pour tout: pour ce qui me contrarie, pour ce que je ne comprends pas, pour ce qui me fait souffrir.
Les coups sont nécessaires, pour arracher du bloc de marbre ce qui est superflu. C’est ainsi que Dieu sculpte dans les âmes l’image de son Fils. Remercie le Seigneur de ces délicatesses!
« 5 » Lorsque nous, les chrétiens, passons de mauvais moments, c’est que nous ne donnons pas à cette vie tout son sens divin.
Là où la main ressent la piqûre des épines, les yeux découvrent un bouquet de roses splendides, riches de parfum.
Déjà hors des murailles de la ville, le corps de Jésus s’abat de nouveau d’épuisement, tombant pour la seconde fois, parmi les cris de la foule et la bousculade des soldats.
La faiblesse du corps et l’amertume de l’âme ont fait tomber Jésus une nouvelle fois. Tous les péchés des hommes – les miens aussi – pèsent sur sa très Sainte Humanité.
C’étaient nos souffrances qu’Il supportait et nos douleurs dont Il était accablé. Et nous autres, nous L’estimions châtié, frappé par Dieu et humilié. Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur Lui et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris (Is 53, 4-5).
Jésus défaille, mais sa chute nous relève, sa mort nous ressuscite.
À notre récidive dans le mal, Jésus répond par son obstination à nous racheter, par l’abondance de son pardon. Et afin que personne ne désespère, Il étreint la Croix et se relève péniblement.
Que nos trébuchements et nos défaites ne nous éloignent plus jamais de Lui. Tel le faible enfant qui se jette, contrit, dans les bras vigoureux de son père, toi et moi, nous nous assujettissons au joug de Jésus. Seules cette contrition et cette humilité transformeront notre faiblesse humaine en une force divine. »
« 1 » Jésus tombe sous le poids de la Croix… Nous, par attraction vers les choses de la terre.
Il préfère s’écrouler plutôt que de lâcher la Croix. C’est ainsi que le Christ guérit le manque d’amour qui nous jette à terre.
« 2 » Pourquoi ce découragement? À cause de tes misères? À cause de tes défaites, parfois continuelles? À cause d’un mauvais, très mauvais moment, que tu n’attendais pas?
Sois simple. Ouvre ton cœur. Vois, rien n’est encore perdu. Tu peux encore aller de l’avant, et avec plus d’amour, plus d’affection, plus de force.
Réfugie-toi dans la filiation divine: Dieu est ton Père très aimant. Voilà ta sécurité, le mouillage où tu peux jeter l’ancre, quoi qu’il arrive à la surface de cette mer qu’est la vie. Et tu y trouveras la joie, la vigueur, l’optimisme, la victoire!
« 3 » Tu m’as dit: Père, je traverse un très mauvais moment. Et je t’ai répondu, à l’oreille: Prends sur tes épaules une petite partie de cette croix, rien qu’une petite partie. Et si même alors tu n’en as pas la force,… laisse-la tout entière sur les épaules robustes du Christ. Et maintenant, répète avec moi:
Seigneur, mon Dieu, j’abandonne entre tes mains le passé, le présent et l’avenir, ce qui est petit et ce qui est grand, ce qui est peu et ce qui est beaucoup, ce qui est temporel et ce qui est éternel.
Et sois tranquille.
« 4 » Je me suis parfois demandé quel est le plus grand des martyrs: celui qui meurt pour sa foi des mains des ennemis de Dieu ou celui qui consume sa vie, année après année, travaillant sans rien chercher d’autre qu’à servir l’Eglise et les âmes, vieillissant en souriant, inaperçu…
Pour moi, le martyre sans spectacle est plus héroïque… Voilà ton chemin.
« 5 » Pour suivre le Seigneur, pour Le fréquenter intimement, nous devons laisser l’humilité nous piétiner, comme on foule le raisin dans le pressoir.
Si nous foulons aux pieds notre misère – la misère dont nous sommes faits –, alors Il s’installera à son aise dans notre âme. Comme à Béthanie, Il nous parle et nous Lui parlons, – conversation confiante, entre amis.
Parmi les gens qui regardent passer le Seigneur, quelques femmes ne peuvent retenir leur compassion et éclatent en sanglots, se souvenant peut-être des journées glorieuses de Jésus-Christ, quand tous s’exclamaient, émerveillés: bene omnia fecit (Mc 7, 37), Il a bien fait toute chose.
Mais le Seigneur veut donner à ces pleurs un motif plus surnaturel, et Il les invite à pleurer sur les péchés qui sont la cause de la Passion et qui attireront la rigueur de la justice divine:
– Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants… Car, si on traite ainsi le bois vert, qu’en sera-t-il du sec? (Lc 23, 28. 31).
Tes péchés, les miens, ceux de tous les hommes, se dressent devant nous. Tout le mal que nous avons fait, et le bien que nous avons négligé de faire. La vision affligeante des délits et infamies sans nombre que nous aurions commis si Lui, Jésus, ne nous avait réconfortés par la lumière de son regard très aimable.
Qu’une vie est vraiment peu de chose, pour réparer! »
« 1 » Les saints – me dis-tu – fondaient en larmes de douleur en pensant à la Passion de Notre Seigneur. Moi, en revanche…
Peut-être est-ce parce que toi et moi assistons à ces scènes, mais que nous ne les " vivons " pas.
« 2 » Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu (Jn 1, 11). Plus encore, ils le traînent hors de la ville pour le crucifier.
Jésus répond par une invitation au repentir, maintenant, alors que l’âme est en chemin et qu’il en est encore temps.
Contrition profonde de nos fautes. Douleur pour la malice inépuisable des hommes, qui va bientôt être la cause de la mort du Seigneur. Réparation pour ceux qui s’obstinent encore à rendre vain le sacrifice du Christ sur la Croix.
« 3 » Il faut unir, il faut comprendre, il faut pardonner.
Ne dresse jamais une croix, uniquement pour rappeler que certains hommes en ont tué d’autres. Ce serait l’étendard du diable.
La Croix du Christ consiste à se taire, à pardonner et à prier pour les uns et pour les autres, afin que tous obtiennent la paix.
« 4 » Le Maître passe et repasse à maintes reprises, très près de nous. Il nous regarde… Et si tu le regardes, si tu l’écoutes, si tu ne le repousses pas, Il t’apprendra à donner un sens surnaturel à chacune de tes actions… Et alors, toi aussi, où que tu te trouves, tu sèmeras la consolation, la paix et la joie.
« 5 » Tu auras beau aimer beaucoup, tu n’aimeras jamais assez.
Le coefficient de dilatation du cœur humain est énorme. Lorsqu’il aime, il s’élargit dans un crescendo d’affection qui surmonte tous les obstacles.
Si tu aimes le Seigneur, il n’y aura pas une seule créature qui ne puisse trouver refuge dans ton cœur.
Sur le flanc du Calvaire, alors qu’il ne reste plus que quarante ou cinquante pas pour arriver au sommet, le Seigneur tombe pour la troisième fois. Jésus ne tient plus debout: les forces lui manquent et Il gît à terre, épuisé.
Il s’est livré parce qu’Il l’a voulu; maltraité, Il n’ouvrait pas la bouche; tel l’agneau conduit à l’abattoir, et la brebis muette devant ceux qui la tondent (Is 53, 7).
Tous sont contre Lui…: ceux de la ville et les étrangers, les pharisiens, les soldats, et les princes des prêtres… Tous sont ses bourreaux. Sa Mère – ma Mère –, Marie, pleure.
Jésus accomplit la volonté de son Père! Pauvre: Il est nu. Généreux: que pourrait-Il encore donner? Dilexit me, et tradidit semetipsum pro me (Ga 2, 20), Il m’a aimé et s’est livré pour moi, jusqu’à la mort.
Mon Dieu! que je haïsse le péché, et que je m’unisse à Toi, étreignant la Sainte Croix, afin qu’à mon tour j’accomplisse ta Volonté très aimable,… dépouillé de tout attachement terrestre, sans autre visée que ta gloire,… avec générosité, sans rien garder pour moi, m’offrant avec toi dans un parfait holocauste. »
« 1 » Cette fois le Seigneur ne peut plus se relever: le poids de notre misère est trop pesant. Comme un sac, il est porté jusqu’au gibet. Lui, laisse faire en silence.
Humilité de Jésus. Anéantissement de Dieu qui nous élève et nous exalte. Comprends-tu maintenant pourquoi je t’ai conseillé de poser ton cœur à même le sol, afin que les autres puissent le fouler à leur aise?
« 2 » Comme il en coûte d’atteindre le Calvaire!
Toi aussi, tu dois te vaincre pour ne pas abandonner le chemin… Ce combat est une merveille, preuve authentique de l’amour de Dieu qui veut que nous soyons forts, car virtus in infirmitate perficitur (2Co 12, 9), la vertu se fortifie dans la faiblesse.
Le Seigneur sait que, lorsque nous nous sentons faibles, nous nous approchons de Lui, nous prions mieux, nous nous mortifions davantage, nous intensifions notre amour du prochain. C’est ainsi que nous nous sanctifions.
Remercie beaucoup le Seigneur de permettre qu’existent les tentations,… et que tu luttes.
« 3 » Veux-tu suivre Jésus de près, de très près?… Ouvre le saint Évangile et lis la Passion du Seigneur. Non seulement pour la lire, mais pour la vivre. La différence est grande. Lire, c’est se rappeler un événement passé; vivre, c’est se trouver là quand quelque chose arrive, c’est être un personnage parmi d’autres dans la scène.
Alors, laisse ton cœur s’épancher et se blottir près du Seigneur. Et lorsque tu sentiras que ton cœur t’échappe – que tu es lâche, comme les autres –, demande pardon pour tes lâchetés, et pour les miennes.
« 4 » Il te semble que le monde s’écroule.
Autour de toi nulle issue. Impossible, cette fois, de surmonter les difficultés.
Mais aurais-tu oublié, une fois de plus, que Dieu est ton Père? Tout-puissant, infiniment sage, miséricordieux. Il ne peut rien t’envoyer de mauvais. Cela même qui te préoccupe te convient, même si pour le moment, tes yeux de chair sont aveugles.
Omnia in bonum! Seigneur, que ta Volonté très sage s’accomplisse une fois encore, et toujours!
« 5 » Tu comprends maintenant à quel point tu as fait souffrir Jésus, et tu te remplis de douleur: comme il est facile de Lui demander pardon et de pleurer tes trahisons passées! Ton cœur est trop petit pour contenir tous tes désirs de réparation!
Bien. Mais n’oublie pas que l’esprit de pénitence consiste surtout à accomplir, quoi qu’il puisse t’en coûter, le devoir de chaque instant.
Lorsque le Seigneur arrive au Calvaire, on lui donne à boire un peu de vin mélangé à du fiel, sorte de narcotique pour atténuer un peu la douleur de la crucifixion. Mais Jésus, après l’avoir goûté, par reconnaissance pour ce pieux service, n’a pas voulu le boire (cf. Mt 27, 34). Il se livre à la mort avec la pleine liberté de l’Amour.
Puis les soldats dépouillent le Christ de ses vêtements.
De la plante des pieds à la tête, il n’y a en lui rien d’intact: blessures, meurtrissures, plaies ouvertes, ni soignées, ni bandées, ni soulagées par de l’huile (Is 1, 6).
Les bourreaux prennent ses vêtements et en font quatre parts. Mais la tunique est sans couture; aussi se disent-ils entre eux:
– Ne la déchirons pas; mais tirons au sort pour savoir qui l’aura (Jn 19, 24).
C’est ainsi que l’Écriture s’accomplit une fois de plus: ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré au sort ma tunique (Sal 22, 19).
C’est la spoliation, le dépouillement, la pauvreté la plus absolue. Rien n’est resté au Seigneur, si ce n’est un morceau de bois.
Pour arriver à Dieu, le Christ est le chemin; mais le Christ est sur la Croix, et pour monter sur la Croix il faut avoir le cœur libre, détaché des choses de la terre. »
« 1 » Du prétoire au Calvaire, ont plu sur Jésus les insultes de la populace en furie, se sont abattues sur Lui la rigueur des soldats, les railleries du Sanhédrin… Outrages et blasphèmes… Pas une plainte, pas le moindre mot de protestation. Pas même quand, sans ménagement, ils arrachent les vêtements collés à sa peau.
Je comprends maintenant que je suis un insensé de me chercher des excuses et de prononcer tant de vaines paroles. Ferme résolution: travailler et souffrir pour mon Seigneur, en silence.
« 2 » Le corps blessé de Jésus est vraiment un retable de douleurs…
Par contraste, me reviennent en mémoire tant de commodité, tant de caprices, tant de laisser-aller, tant de mesquinerie… Et cette fausse compassion avec laquelle je traite ma chair.
Seigneur! par ta passion et par ta Croix, donne-moi la force de vivre la mortification des sens et d’arracher tout ce qui m’écarte de Toi.
« 3 » Toi qui te démoralises, je vais te répéter quelque chose de très consolant: Dieu ne refuse pas sa grâce à celui qui fait ce qu’il peut. Notre Seigneur est Père, et si un de ses enfants lui dit, dans la paix de son cœur: mon Père du Ciel, me voici, aide-moi… S’il s’adresse à la Mère de Dieu, qui est notre Mère, il va de l’avant.
Mais Dieu est exigeant. Il demande un amour véritable; Il ne veut pas de traîtres. Il faut être fidèles à cette lutte surnaturelle qui consiste à être heureux sur terre à force d’esprit de sacrifice.
« 4 » Les vrais obstacles qui te séparent du Christ
– l’orgueil, la sensualité… –, se surmontent par la prière et par la pénitence. Et prier, et se mortifier, c’est aussi s’occuper des autres et s’oublier soi-même. Si tu vis de la sorte, tu verras que la plupart de tes ennuis disparaîtront.
« 5 » Lorsque nous luttons pour être véritablement ipse Christus, le Christ lui-même, alors l’humain et le divin s’entremêlent dans notre vie. Tous nos efforts – même les plus insignifiants – acquièrent une valeur d’éternité, car ils s’unissent au sacrifice de Jésus sur la Croix.
Maintenant, ils crucifient le Seigneur, et à côté de Lui deux voleurs, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche. Pendant ce temps Jésus dit:
– Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23, 34).
C’est l’amour qui a conduit Jésus au Calvaire. Et une fois sur la Croix, tous ses gestes et toutes ses paroles sont des gestes et des paroles d’amour, d’amour serein et fort.
Dans un geste de Prêtre éternel, sans père ni mère, sans généalogie (cf. Hb 7, 3), Il ouvre ses bras à l’humanité tout entière.
En même temps que les coups de marteau qui clouent Jésus, résonnent les paroles prophétiques de la Sainte Écriture: Ils ont troué mes mains et mes pieds. Je peux compter tous mes os; ils me regardent et m’observent (Sal 22, 17-18).
– Mon peuple, que t’ai-Je fait? En quoi t’ai-Je attristé? Réponds-moi! (Mi 6, 3).
Et nous, l’âme déchirée de douleur, nous disons sincèrement à Jésus: je suis à Toi, à Toi je me donne et je me cloue à la Croix avec joie, pour être, à tous les carrefours du monde, une âme dédiée à Toi, à ta Gloire, à la Rédemption, à la corédemption de l’humanité tout entière. »
« 1 » Voici Jésus cloué sur la Croix. Les bourreaux ont exécuté sans pitié la sentence. Le Seigneur a laissé faire, avec une mansuétude infinie.
Tant de tourments n’étaient pas nécessaires. Il aurait pu éviter cette amertume, ces humiliations, ces mauvais traitements, ce jugement inique, et la honte du gibet, les clous et le coup de lance. Mais Il a voulu souffrir tout ceci pour toi et pour moi. Et nous autres, ne saurions-nous pas nous aussi correspondre?
Il est fort possible qu’un jour, seul face à un crucifix, les larmes te viennent aux yeux. Ne les retiens pas… Mais fais en sorte que ces pleurs aboutissent à une résolution.
« 2 » J’aime tant le Christ sur sa Croix que chaque crucifix est comme un reproche affectueux de mon Dieu: … Je souffre, et toi… tu es lâche. Je t’aime, et toi… tu m’oublies. Je te supplie, et toi… tu refuses. Je suis là, avec un geste de Prêtre éternel, souffrant tout ce qu’il est possible de souffrir, par amour pour toi… et toi, tu te plains de la moindre incompréhension, de la plus petite humiliation…
« 3 » Comme elles sont belles, ces croix situées sur les cimes des montagnes, au sommet des grands monuments, au pinacle des cathédrales… Mais il faut planter aussi la Croix dans les entrailles du monde.
C’est là que Jésus veut être élevé: dans le bruit des usines et des ateliers, dans le silence des bibliothèques, dans le brouhaha des rues, dans la quiétude de la campagne, dans l’intimité des familles, dans les assemblées, dans les stades… Partout où il use sa vie, honnêtement, un chrétien doit, par son amour, mettre la Croix du Christ, qui attire à lui toutes choses.
« 4 » Après tant d’années, ce prêtre fit une découverte merveilleuse, il comprit que la Sainte Messe est un véritable travail, operatio Dei, travail de Dieu. Et en la célébrant, ce jour-là, il éprouva douleur, joie et fatigue. Il sentit dans sa chair l’épuisement d’une tâche divine.
Au Christ également la première Messe, la Croix, coûta bien des efforts.
« 5 » Avant de commencer à travailler, place un crucifix sur la table ou près de tes instruments de travail. De temps en temps, jette-lui un coup d’œil… Quand tu sentiras venir la fatigue, ton regard se tournera vers Jésus, et tu retrouveras des forces nouvelles pour persévérer dans ton effort.
Car ce crucifix est plus que le portrait d’un être cher – les parents, les enfants, la femme, la fiancée. Il est tout: ton Père, ton Frère, ton Ami, ton Dieu, et l’Amour de tes amours.
Au faîte de la Croix, est écrit le motif de la condamnation: Jésus de Nazareth, Roi des Juifs (Jn 19, 19). Et tous ceux qui passent là l’insultent et se moquent de Lui.
– S’il est roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix (Mt 27, 42).
Un des voleurs prend sa défense:
– Il n’a fait aucun mal… (Lc 23, 41).
Puis il adresse à Jésus une demande humble et pleine de foi:
– Seigneur, souviens-toi de moi quand Tu viendras dans ton royaume (Lc 23, 42).
– En vérité Je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis (Lc 23, 42).
Près de la Croix se tient Marie, sa Mère, avec d’autres saintes femmes. Jésus la regarde, regarde ensuite le disciple qu’Il aime et dit à sa Mère:
– Femme, voici ton fils.
Puis Il dit au disciple:
– Voici ta mère (Jn 19, 26-27).
Le ciel s’obscurcit et la terre est plongée dans les ténèbres. Il est près de trois heures lorsque Jésus s’exclame:
– Eli, Eli, lamma sabachtani? C’est-à-dire: mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-Tu abandonné? (Mt 27, 46).
Après quoi, sachant que tout est sur le point d’être consommé, Il dit, afin que s’accomplisse l’Écriture:
– J’ai soif (Jn 19, 28).
Les soldats trempent une éponge dans du vinaigre et, la fixant à une branche d’hysope, la lui portent à la bouche. Jésus goûte le vinaigre et dit: – Tout est accompli (Jn 19, 30). Le rideau du Temple se déchire, et la terre tremble tandis que le Seigneur s’exclame en un grand cri:
– Père, Je remets mon esprit entre tes mains (Lc 23, 46).
Et il expire.
Aime le sacrifice, source de vie intérieure. Aime la Croix, autel du sacrifice. Aime la douleur, au point de boire, comme le Christ, la lie du calice. »
« 1 » Et inclinato capite, tradidit spiritum (Jn 19, 30).
Le Seigneur a exhalé son dernier soupir. Les disciples l’avaient très souvent entendu dire: " meus cibus est… ", ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre (Jn 4, 34).
Il l’a accomplie jusqu’au bout, avec patience, avec humilité, sans rien garder pour Lui… Obœdiens usque ad mortem (Flp 2, 8): obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une Croix!
« 2 » Une Croix. Un corps fixé au bois par des clous. Le côté ouvert. Près de Jésus, il n’y a plus que sa Mère, quelques femmes et un adolescent. Les Apôtres, où sont-ils? Et ceux qui ont été guéris de leurs infirmités: les boîteux, les aveugles, les lépreux?… Et ceux qui L’ont acclamé?… Personne ne répond! Le Christ est entouré de silence.
Il se peut qu’un jour tu ressentes, toi aussi, la solitude du Seigneur sur la Croix. Prends alors appui sur Celui qui est mort, et ressuscité. Cherche refuge dans les plaies de ses mains, de ses pieds, de son côté. Ta volonté de recommencer en sera renouvelée, et tu reprendras ton chemin avec une décision et une efficacité plus grandes.
« 3 » Il est une fausse ascétique qui représente le Seigneur sur la Croix, hargneux, révolté. Un corps déformé qui semble menacer les hommes: vous m’avez brisé, mais Je rejetterai sur vous mes clous, ma croix et mes épines.
Ceux-là méconnaissent l’esprit du Christ. Il a souffert tout ce qu’Il a pu – et comme Il est Dieu, Il pouvait tant! –; mais Il aimait plus qu’il ne souffrait… Et après sa mort Il consentit qu’une lance ouvrît une autre plaie, pour que toi et moi trouvions refuge contre son Cœur très aimant.
« 4 » J’ai très souvent répété ce vers de l’hymne eucharistique: peto quod petivit latro pœnitens, et je m’émeus toujours: demander, comme le larron repenti!
Il a reconnu que lui méritait bien ce châtiment atroce… Et un seul mot lui a suffi pour ravir le cœur du Christ et ainsi s’ouvrir les portes du Ciel.
« 5 » Sur la Croix pend le corps désormais sans vie du Seigneur. Et les gens, voyant ce qui venait de se passer, s’en retournaient en se frappant la poitrine (Lc 23, 48).
Maintenant que tu es repenti, promets à Jésus qu’avec son aide, tu ne le crucifieras plus. Dis-le avec foi. Dis et répète: Je t’aimerai, mon Dieu, parce que depuis le jour de ta naissance, depuis ton enfance, Tu t’es abandonné dans mes bras, sans défense, et confiant en ma loyauté.
Marie, submergée par la douleur, est près de la Croix. Et Jean est avec elle. Mais il se fait tard, et les Juifs insistent pour que l’on emporte le Seigneur.
Après avoir obtenu de Pilate la permission que requiert la loi romaine pour enterrer les condamnés, un sénateur nommé Joseph, homme bon et juste, originaire d’Arimathie, arrive au Calvaire. Il ne s’est associé ni au dessein ni aux actes des autres. Au contraire, il est de ceux qui attendent le Royaume de Dieu (Lc 23, 50-51). Nicodème est venu avec lui, lui qui précédemment était allé trouver Jésus de nuit, et il apporte un mélange de myrrhe et d’aloès, d’environ cent livres (Jn 19, 39).
Ces hommes n’étaient pas connus publiquement comme disciples du Maître; ils n’étaient pas présents au moment des grands miracles et ne l’avaient pas accompagné lors de son entrée triomphale à Jérusalem. Maintenant, en des circonstances difficiles, alors que les autres ont fui, ils ne craignent pas de se déclarer en faveur de leur Seigneur.
À eux deux ils prennent le corps de Jésus et le déposent dans les bras de sa Très Sainte Mère. La douleur de Marie se ravive.
– Où est parti ton Bien-aimé, ô la plus belle des femmes? Où s’est tourné ton Bien-aimé, que nous le cherchions avec toi? (Ct 6, 1).
La Très Sainte Vierge est notre Mère, et nous ne voulons, ni ne pouvons la laisser seule. »
« 1 » Il est venu sauver le monde, et les siens l’ont renié devant Pilate.
Il nous a montré le chemin du bien, et ils le traînent sur le chemin du Calvaire.
Il a donné l’exemple en tout, et ils lui préfèrent un voleur homicide.
Il est né pour pardonner, et ils le condamnent – sans motif – au supplice.
Il est arrivé par des sentiers de paix, et ils lui déclarent la guerre.
Il était la Lumière, et ils le livrent au pouvoir des ténèbres.
Il apportait l’Amour, et ils le paient avec de la haine.
Il est venu pour être Roi, et ils le couronnent d’épines.
Il s’est fait esclave pour nous libérer du péché, et ils le clouent sur la Croix.
Il a pris chair pour nous donner la Vie, et nous le récompensons par la mort.
« 2 » Je ne m’explique pas l’idée que tu te fais du chrétien.
Crois-tu qu’il est juste que le Seigneur soit mort crucifié et que toi tu te contentes de te laisser vivre?
Te " laisser vivre ", est-ce le chemin dur et étroit dont parlait Jésus?
« 3 » N’admets pas le découragement dans ton apostolat. Tu n’as pas échoué, pas plus que le Christ n’a échoué sur la Croix. Courage!… Continue d’avancer à contre-courant, protégé par le Cœur Maternel et très Pur de Notre Dame: Sancta Maria, refugium nostrum et virtus! Tu es mon refuge et ma force.
Sois tranquille. Sois serein… Dieu a très peu d’amis sur terre. Ne désire pas quitter ce monde. Ne fuis pas le poids des jours, même si parfois ils nous semblent interminables.
« 4 » Si tu veux être fidèle, sois très marial.
Depuis l’ambassade de l’Ange jusqu’à son agonie au pied de la Croix, notre Mère n’a eu d’autre cœur et d’autre vie que ceux de Jésus.
Approche-toi de Marie avec la tendre dévotion d’un fils, et Elle t’obtiendra cette loyauté et cette abnégation que tu désires.
« 5 » " Je ne vaux rien, je ne peux rien, je ne possède rien, je ne suis rien… "
Mais Tu es monté sur la Croix pour que je puisse m’approprier tes mérites infinis. Et sur la Croix je recueille également – ils m’appartiennent parce que je suis son fils – les mérites de la Mère de Dieu, et ceux de saint Joseph. Et je m’empare des vertus des saints et de celles de tant d’âmes qui se donnent à Dieu…
Et puis, je jette un coup d’œil sur ma vie et je dis: ah! mon Dieu, que voilà une nuit bien obscure! De temps à autre seulement brillent quelques points lumineux, par l’action de ta grande miséricorde et d’un peu de ma correspondance… Je t’offre tout cela, Seigneur; je n’ai rien d’autre.
Tout près du Calvaire, dans un jardin, Joseph d’Arimathie s’était fait tailler dans le roc un sépulcre neuf. Et parce que c’est la veille de la grande Pâque des Juifs, on y dépose Jésus. Puis Joseph roula une grosse pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla (Mt 27, 60).
Jésus est venu au monde sans rien et c’est sans rien, pas même le lieu où Il repose, qu’Il s’en est allé.
La Mère du Seigneur – ma Mère – et les femmes qui ont suivi le Maître depuis la Galilée, après avoir tout observé avec attention, s’en vont aussi. La nuit tombe.
Maintenant tout est fini. L’œuvre de notre Rédemption s’est accomplie. Nous sommes de nouveau enfants de Dieu, car Jésus est mort pour nous et sa mort nous a rachetés.Empti enim estis pretio magno! (1Co 6, 20), toi et moi avons été achetés à grand prix.Nous devons faire nôtres la vie et la mort du Christ. Mourir par la mortification et par la pénitence, pour que vive en nous le Christ, par l’Amour. Et suivre alors les pas du Christ, soucieux de coracheter toutes les âmes.
Donner sa vie pour les autres. C’est la seule façon que nous ayons de vivre la vie de Jésus-Christ et de ne faire qu’un avec Lui.
« 1 » Profitant de leurs hautes fonctions, Nicodème et Joseph d’Arimathie – disciples du Christ, en secret
– intercèdent pour Lui. À l’heure de la solitude, de l’abandon total et du mépris,… ils se manifestent alors audacter (Mc 15, 43)… avec un courage héroïque!
Moi, je monterai avec eux jusqu’au pied de la Croix, j’étreindrai le Corps froid, le cadavre du Christ, avec le feu de mon amour… Je Le déclouerai par mes actes de réparation et mes mortifications,… je L’envelopperai dans le linge neuf de ma vie limpide, et je L’enterrerai dans le roc vivant de ma poitrine, d’où personne ne pourra me L’arracher, et là, Seigneur, tu te reposeras!
Même si le monde entier t’abandonnait et te méprisait,… serviam! je te servirai, Seigneur.
« 2 » Sachez que vous avez été tirés de votre genre de vie insensé… non par des choses périssables, argent ou or, mais par le sang précieux du Christ (1P 1, 18-19).
Nous ne nous appartenons plus. Jésus-Christ nous a rachetés par sa Passion et par sa mort. Nous vivons de sa vie. Il n’y a plus qu’une seule manière de vivre sur la terre: mourir avec le Christ et ressusciter avec Lui, jusqu’à ce que nous puissions dire avec l’Apôtre: ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20).
« 3 » Source inépuisable de vie que la Passion de Jésus.
Parfois, revit en nous l’élan joyeux qui conduisit le Seigneur à Jérusalem, parfois, la douleur de l’agonie qui s’est terminée sur le Calvaire… Ou la gloire de son triomphe sur la mort et sur le péché. Mais il s’agit toujours, toujours! de l’amour – joyeux, douloureux, glorieux – du Cœur de Jésus-Christ.
« 4 » Pense d’abord aux autres. Ainsi tu passeras par la terre, en commettant certes des erreurs, – elles sont inévitables – mais en laissant derrière toi un sillage de bien.
Et quand sonnera l’heure de ta mort, qui viendra inexorablement, tu l’accueilleras avec joie, comme le Christ; car, comme Lui, nous ressusciterons nous aussi pour recevoir la récompense de son Amour.
« 5 » Lorsque je me sens capable de toutes les horreurs et de toutes les erreurs qui ont été commises par les personnes les plus misérables, je comprends bien que je peux ne pas être fidèle… Mais cette incertitude est une des bontés de l’Amour de Dieu, qui m’amène à saisir, tel un enfant, les bras de mon Père, et à lutter un peu plus chaque jour pour ne pas m’écarter de Lui.
Je suis sûr alors que la main de Dieu ne m’abandonnera pas. Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit, cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles? Même s’il s’en trouvait une pour l’oublier, moi, Je ne t’oublierai jamais! (Is 49, 15).